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Sortie BD : Blake & Mortimer, Huit heures à Berlin

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Un nouveau Blake & Mortimer, c’est toujours un événement. Ne fût-ce que parce que les albums actuels de cette série se placent systématiquement sur le podium des trois meilleures ventes annuelles, hors manga. Pourtant, il en sort un chaque année. À tel point que les deux héros britanniques ont vécu plus d’aventures sous la plume de leurs divers repreneurs que sous celle d’Edgar P. Jacobs, leur créateur.

À chaque parution d’un nouveau Blake & Mortimer, on se demande si le nouvel opus sera à la hauteur. Tout dépend de ce qu’on cherche. Le lectorat de cette série est souvent nostalgique des émotions de sa jeunesse, pour ne pas dire qu’il en est prisonnier. Pour les créateurs qui tentent de prolonger l’œuvre, le défi est donc de poser leur touche personnelle, de rendre hommage à un auteur qui les a fait rêver et… de ne pas décevoir les fans "hard core". Le trio qui est derrière Huit heures à Berlin a parfaitement résolu l’équation.

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Au scénario, deux hommes aguerris et multicasquettes dont la culture bédéphilique, cinématographique, littéraire et même tout simplement historique est un atout indéniable. Tous les deux éditeurs – l’un dirige toujours Denoël Graphic, l’autre a récemment quitté Dupuis après une carrière exemplaire -, tous les deux scénaristes, amis de longue date. Bocquet est par ailleurs romancier et biographe. Quant à Fromental, il a une longue expérience dans le cinéma (il a écrit plusieurs films d’animation primés). Autant dire que quand ces deux-là décident de se faire plaisir sur un Blake et Mortimer, ils ne laissent rien au hasard. Et c’est ce qui frappe dans ce Huit heures à Berlin.

Un extrait de "Blake et Mortimer : Huit heures à Berlin"
Un extrait de "Blake et Mortimer : Huit heures à Berlin" © Dargaud Benelux

La mécanique quasi hitchcockienne est parfaitement huilée. Les événements s’emboîtent, d’abord volontairement séparés les uns des autres, pour se rejoindre ensuite dans un de ces récits d’espionnage sur fond de pacte faustien dont Jacobs avait le secret. On a un ancien scientifique nazi, un Olrik tapi dans l’ombre, des corps écorchés, un mystère archéologique, une visite secrète prévue à Berlin en pleine guerre froide. On pense à La Marque Jaune, dont les auteurs reprennent ici l’idée d’avancées scientifiques liées au cerveau, sans en faire ni la copie ni la suite. On pense aussi à la seconde partie de l’œuvre de Jacobs, qui se place comme ce nouveau récit dans les années soixante, sur fond de guerre froide, et dont S.O.S. Météores représente l’apogée. L’époque est d’ailleurs à peu près la même.

La couverture du dernier Blake et Mortimer, "Huit heures à Berlin"
La couverture du dernier Blake et Mortimer, "Huit heures à Berlin" © DARGAUD Benelux

Huit heures à Berlin est un récit d’espionnage avant tout, digne de John Le Carré ou de Graham Greene, l’auteur britannique du Troisième Homme que vénère Jean-Luc Fromental. Quoique. La part faustienne du récit porte une autre signature. Chez Jacobs, l’espionnage en tant que tel était toujours au second plan. Par-dessus tout, comptait l’aspect fantastique, l’interrogation sur ce que serait le futur du monde occidental – avec une nette préférence pour les scénarios les plus pessimistes. C’est la grande différence entre l’œuvre originale et celle des repreneurs, quels qu’ils soient. Pour satisfaire le lectorat de la série (on parle quand même de 3 à 400.000 acheteurs annuels, ce n’est pas négligeable !), l’éditeur a fixé des règles précises : pas question de placer les aventures de Blake et Mortimer de nos jours. La part de mystère liée aux avancées scientifiques de l’après-guerre, la part de foi dans le progrès et dans la science qui sous-tend les scénarios de Jacobs et les motivations du Professeur Mortimer, les courses-poursuites en clair-obscur, tout cela n’est pas compatible avec les smartphones et les réseaux sociaux ! La plupart des autres scénaristes ont donc choisi de placer leurs histoires dans les années 50, période magique qui s’achève avec l’Expo 58 et ses suites. Ici, en préférant le milieu des années 60, les auteurs rendent hommage à un autre filon jacobsien, plus politique. Et on ne peut que s’en réjouir. Même si, en transposant l’action dans un carcan de faits s’étant réellement produits, les deux scénaristes ont pris le risque de s’éloigner de la ligne du Maître.

Un extrait de "Blake et Mortimer : Huit heures à Berlin"
Un extrait de "Blake et Mortimer : Huit heures à Berlin" © Dargaud Benelux

Mais Huit heures à Berlin n’est pas qu’un scénario. C’est un album de bande dessinée. Et à ce titre, il faut aborder la question du dessin. De tous les dessinateurs qui se sont frottés à Blake & Mortimer, Antoine Aubin est le plus fidèle à l’esprit de Jacobs et à sa manière de travailler. On retrouve le souci du détail, la recherche de poses hiératiques qui ont fait les grandes heures de la série, la rigueur dans les couleurs autant que dans la mise en scène. Il a fallu sept ans au dessinateur pour venir à bout de ce livre, mais le résultat est là.

Tout ce qui, dans le scénario, pourrait éloigner de la série originale, est oublié aussitôt qu’on regarde le dessin. Bien sûr, personne ne peut être Edgar P. Jacobs, pas plus qu’un dessinateur ne peut être Franquin, Hugo Pratt ou Hergé. Mais il y a chez Aubin ce petit quelque chose qui le place à part dans les repreneurs de la série, tout comme le premier qui s’y essaya en 1996, le regretté Ted Benoît.

Le podcast : Partition pour Blake & Mortimer ou Les 10 vies d'Edgard P.Jacobs

Au gré des dix épisodes de 26 minutes de Partition pour Blake & Mortimer, vous entendrez la voix du Maître, parlant de son enfance, de sa jeunesse sur les planches de l’opéra de Lille, de son expérience aux côtés d’Hergé, de la création, bien sûr.

Mais vous entendrez aussi nombre de témoins ou biographes : François Rivière et Benoît Mouchart, qui ont signé sa biographie aux Impressions Nouvelles, Benoît Peeters, biographe d’Hergé, des auteurs de bande dessinée, aussi, comme Jacques Tardi, François Schuiten, Johan De Moor, Jean Van Hamme, André Juillard ou encore Étienne Schréder, et bien d’autres encore.

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