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Belgique

Sotieta Ngo, directrice générale du CIRÉ, sur la crise d’accueil des demandeurs d’asile : "quand on est au bout des capacités d’accueil, on en trouve d’autres"

L'invitée de Matin Première

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Par Théa Jacquet sur la base d'une interview de Thomas Gadisseux

Depuis septembre 2021, soit plus d’un an, plusieurs milliers personnes n’ont d’autre choix que de dormir dehors, dans l’indifférence générale. Un an que la Belgique est ébranlée d’une nouvelle crise de l’accueil. Pour cause, l’État fédéral manque à ses engagements en ne proposant pas de place d’accueil à chaque personne qui introduit une demande d’asile.

Il est impossible de chiffrer le nombre de personnes privées de dignité, et c’est précisément là que réside le problème principal selon Sotieta Ngo, directrice générale de l’asbl CIRÉ (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), invitée au micro de Thomas Gadisseux dans Matin Première.

"Les autorités, et ça fait plus d’un an que ça dure, ne comptent pas qui se présente chaque jour, qui est accueilli et qui doit être mis à la rue, qui se représente le lendemain et qui est accueilli. Donc on sait par les personnes qui se chargent des maraudes combien de personnes sont retrouvées sur un bout de carton, sous une tente, combien de personnes viennent demander un repas. […] On sait que ce sont plusieurs milliers de personnes, sans savoir exactement qui, avec quelles pathologies, quel profil, quel âge (on sait qu’il y a des mineurs). On essaie de faire face à une grande inconnue", pointe la représentante.

Plusieurs milliers de personnes donc, mais quelle est la proportion de places manquantes par rapport au nombre de demandes ? "Depuis deux jours, Fedasil (l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, ndlr) semble parvenir à réintégrer des personnes qui étaient à la rue et ça faisait des mois qu’on ne voyait plus ce phénomène. On voyait plutôt chaque jour le nombre de personnes à la rue augmenter", note Sotieta Ngo.

Pour autant, la tension entre les places existantes et les places nécessaires demeure, selon elle, criante. "On voit que dès qu’un site ouvre avec 250 places, c’est rempli en une ou deux journées. Puis on voit aussi qu’il y a un site qui est occupé par des personnes qui sont restées sur le carreau, elles ont ouvert un squat et c’est le Palais des droits (à Schaerbeek, ndlr). Elles sont 700. Ce site s’est rempli en trois semaines", précise-t-elle.

Alors qu’un avis d’expulsion a été rendu par un juge, les autorités locales sont mises à mal, car elles ne savent pas comment évacuer le bâtiment dans lequel des cas de gales ont été déplorés. "Je ne sais pas ce qu’il faudrait encore de plus pour qu’enfin on ait des solutions structurelles coordonnées. Un mort ? Qu’est-ce que le fédéral attend avec toutes les condamnations qui sont déjà là aussi pour qu’on puisse organiser et coordonner concrètement des solutions", rapportait Cécile Jodoigne (DéFI), bourgmestre de Schaerbeek, à la RTBF.

Un État "voyou"

Dans pareil contexte où les condamnations en justice se comptent par milliers, les associations de terrain disent faire face à un "État voyou". "On entend notre secrétaire d’État à l’Asile et la Migration (la CD&V Nicole de Moor, ndlr) 'on est plein, on est au bout de nos capacités'. Mais quand on est au bout de nos capacités, on en trouve d’autres. Et on ne peut pas supporter cette situation où des mineurs, des femmes, des personnes âgées, des personnes malades sont laissées sur un bout de carton, où MSF doit ouvrir une clinique de guerre comme dans les camps de réfugiés", dénonce la directrice générale de CIRÉ.

Et d’ajouter : "Aujourd’hui […], c’est une indifférence criminelle […] d’entendre les responsables chez le Premier ministre ou partout dans les partenaires du gouvernement nous dire 'on espère qu’il ne va pas y avoir de drame'. C’est intolérable".

Quels sont les besoins à court terme ?

"Ça fait un an qu’on dit qu’il faut mettre les personnes à l’abri parce que ça fait un an que des personnes dorment sur un bout de carton à la place d’un lit dans un centre", rappelle Sotieta Ngo. Une situation inhumaine qui dure du fait des autorités fédéral et locales qui ne cessent de se renvoyer la balle.

Il s’agit moins d’un problème de coordination que d’un problème de choix politique faits depuis plusieurs années, pour cette dernière. "Le modèle d’accueil des demandeurs d’asile, ce sont des grands centres d’accueil. Ce modèle a atteint ses limites", avance la directrice générale du CIRÉ.

La première mesure urgente à prendre pointée par l’asbl est ainsi une mise à l’abri. "Quelque type de mise à l’abri que ce soit. Il faut penser aux hôtels. On nous dit chez le Premier ministre 'il y a un blocage politique sur les hôtels', mais c’est insupportable d’entendre ça", poursuit Sotieta Ngo.

"Il faut aussi créer des places pour que petit à petit, les personnes puissent réintégrer le réseau d’accueil et puis il faut adopter des mesures de sortie du réseau d’accueil. Ça veut dire que des personnes qui s’y trouvent doivent en sortir, mais pas n’importe comment. Aujourd’hui, la simple mesure qui a été prise de sortie, c’est faire sortir à la va-vite des demandeurs d’asile qui travaillent, mais il faut quand même savoir qu’on va faire sortir des personnes qui ont un CDD saisonnier de six mois. Que va-t-il se passer de ces gens ? Ils vont se retrouver à la rue ou aux portes du CPAS", soutient-elle.

Des mots qui ne suffisent plus

"Vu la situation actuelle et l’hiver qui approche, des mesures supplémentaires s’imposent pour faire face à la situation. L’important à cet égard est de ne pas se concentrer uniquement sur les mesures nécessaires à court-terme, mais aussi de penser sur le long terme. Le plan hivernal que j’ai élaboré en matière d’accueil s’est inscrit dans le prolongement des mesures structurelles que nous avons déjà prises précédemment, comme la décision de conserver 5400 places tampon au terme de cette crise", déclarait récemment Nicole de Moor. 

Des mots qui ne suffisent plus pour l'asbl CIRÉ. "Il faut cesser cette communication de politique, il faut retrouver un peu d’humilité et travailler. Avant (d’être désignée secrétaire d’État, Nicolas de Moor) était chercheuse sur la matière, donc elle connaît très bien les conséquences de ce qu’elle fait ou de ce qu’elle ne fait pas", indique Sotieta Ngo.

Pour cette dernière, il importe autant de travailler sur des mesures urgentes que sur des mesures à long terme. "Lorsque dans sa note de politique générale présentée la semaine dernière, elle nous dit 'tout le monde n’a pas pu dormir à l’abri, il faut qu’on y travaille', ça ne suffit pas. 'Il faut qu’on y travaille', mais qu’elle ouvre des hôtels. Ses prédécesseurs l’ont fait. Il faut qu’elle reconstruise la confiance avec les communes et les CPAS", poursuit-elle.

Une crise d’accueil dans la continuité de celle de 2015 ?

L'État de droit on le piétine chaque jour. La dignité humaine n’existe pas.

Après le gouvernement de Charles Michel (MR) moult fois critiqué par le CIRE pour sa gestion de la crise de l'accueil, le gouvernement d'Alexander De Croo (Open Vld) n'est-il que la simple continuité ? "En tout cas, il n’y a pas de virage, c’est sûr. Pas une totale continuité parce qu’on l’a dit, le communication s’est largement adoucie. On entend les mots de la secrétaire d’État, on entend des mots comme 'État de droit', mais dans les faits, l’État de droit on le piétine chaque jour. La dignité humaine n’existe pas", appuie Sotieta Ngo.

Et de conclure : "On a des mineurs, des jeunes Syriens de 15 ans dans la rue, qui dorment sur leur carton et qu’on laisse disparaître. On va prévenir Child Focus pour des disparitions inquiétantes, qui sont le fait de l’État. Donc pas de virage, pas de continuité, mais vraiment un État voyou".

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