Monde

Soupçons de corruption au Parlement européen : comment faire pour mettre fin à "la culture de l’impunité"? Les 10 recettes de Tranparency International

Le siège du Parlement européen à Bruxelles.

© Tous droits réservés

Les perquisitions au Parlement européen et aux domiciles de plusieurs eurodéputés jettent cette institution dans la tourmente. Des soupçons de corruption liés aux intérêts du Qatar ont déclenché une vaste enquête.

Les lobbys sont omniprésents dans le fonctionnement de l’Europe. Le lobbying en soi n’est pas illégal, il est même légitime. Mais les lobbyistes, et ils sont nombreux à Bruxelles, 35.000, doivent s’enregistrer dans un registre de transparence, consultable par tous et les élus doivent déclarer leur rencontre avec eux dans le cadre de leur travail législatif. Et bien sûr les élus ne peuvent pas recevoir de sommes d’argent, ce serait de la corruption, ce qui pourrait être le cas de l’affaire actuelle au Parlement européen qui dépasse donc le lobbying, et la corruption, c’est complètement illégal.

 

Des règles peu contraignantes pour les lobbys

Mais au-delà de cela, se pose le problème de l’encadrement du lobbyisme. Un problème ancien qui va peut-être devoir être pris à bras-le-corps vu la tournure des évènements, explique l’ONG "Transparency International" (un lobby qui travaille lui-même sur le lobbying).

Actuellement la transparence sur les contacts avec les lobbys au Parlement européen est toute relative. L’obligation de publication des rencontres ne concerne que les rapporteurs, shadow rapporteurs (ceux de l’opposition) et les présidents des commissions, que si le dossier abordé concerne une législation, dans un délai d’une semaine après le vote en plénière.

Il y a deux ans déjà on constatait que 37% des députés européens déclaraient leur rencontre avec les lobbys. Aujourd’hui, on progresse, mais ce ne sont que 58% des eurodéputés ont publié au moins une rencontre avec un lobby depuis le début de leur mandat. Les autres, rien du tout. Et aucune sanction n’intervient en cas de non-publication.

10 recettes pour améliorer la transparence

Raphaël Kergueno, chargé de plaidoyer auprès de Transparency International, nous a expliqué ce que pourrait faire le Parlement européen pour s’améliorer sur ce point. L’ONG publie d’ailleurs un petit guide à l’usage du Parlement européen, un manuel en 10 points, dont certains assez techniques, mais dont nous passons ici en revue les principaux.

  • Une première chose à changer serait une vérification proactive des déclarations de contacts avec les lobbys, suggère Raphaël Kergueno. Pour l’instant, les députés qui ne déclarent rien ne sont pas contrôlés : c’est comme s’ils n’avaient pas eu de contact dans le cadre de leur travail législatif. "Donc les lobbyistes peuvent rencontrer des députés européens sans se déclarer sur ce registre. Les députés ont estimé qu’ils ont un mandat libre, même si on les a régulièrement alertés que c’était aussi une mesure de protection, ce registre, car il proscrit certaines pratiques, il y a un code de conduite. Quand on voit les accusations de corruption aujourd’hui, c’est une mesure de protection qui a fait défaut".
  • "Le Parlement pourrait au moins décider dès aujourd’hui de forcer les députés à publier les rencontres avec les lobbyistes des pays tiers", poursuit Raphaël Kergueno. Vu que la seule obligation concerne les rencontres débouchant sur une législation européenne, tout le reste se fait sur base volontaire, surtout quand ce sont des rencontres avec des entités non enregistrées, ce qui est souvent le cas de groupes non européens, comme par exemple une entreprise qatarie…
  • Transparency International prône aussi une obligation générale de déclarer les rencontres et de s’enregistrer comme lobbyiste.
  • Autre élément : mettre en place une structure capable de vérifier et de sanctionner. Une autorité indépendante de déontologie, appelée de ses vœux par Transparency International, par des députées comme Nathalie Loiseau (Renew) et d’ailleurs imaginée, de façon assez complexe, par la Commission européenne. Complexe et donc lent, Tranparency International préconise d’agir vite et recommande surtout que les questions de déontologie et d’éthique ne soient plus laissées au Bureau du Parlement européen avec les chefs de groupes politiques car "ils se protègent eux-mêmes". A la place, il faudrait une entité externe ou interne mais indépendante. Actuellement, c’est un comité consultatif composé de députés qui recommande au président du Parlement. Celui-ci ou celle-ci ne prend pas ou très peu de sanctions dans la pratique. L’ONG envisage donc sur le modèle français une autorité liée au pouvoir judiciaire, par exemple le Parquet européen.
  • Enfin, Transparency International souhaite qu’au-delà de la liberté d’expression, les autorités belges se penchent sur tous les membres du Parlement européen et tous les membres du personnel des institutions qui ont eu un message politique concernant le Qatar pour voir qui aurait modifié son discours.

Le Parlement européen se retrouve dans une culture de l’impunité

Transparency International travaille depuis des années sur la question et en vient à la conclusion que "le Parlement européen se retrouve un peu dans une sorte de culture de l’impunité par rapport aux questions de déontologie", juge Raphaël Kergueno de l’ONG Transparency International. "Les sanctions prévues ne sont presque jamais appliquées ou alors une fois tous les cinq ans. Ce qui laisse penser à certains, qu’on peut s’en tirer si on fait des choses beaucoup plus graves".

"On les avertit mais à chaque fois, c’est une fin de non-recevoir", note-t-il, en mentionnant les déclarations de revenus extérieurs qui semblent encore trop vagues et non suivies de vérification, les dépenses d’allocations parlementaires qui ne sont pas du tout contrôlées…

"On est surpris par l’ampleur du scandale actuel, dit l’ONG, mais on n’est pas surpris qu’il ait lieu".

 

Manon Aubry (LFI) veut aussi de nouvelles règles

Une réflexion qui fait écho à celle de Manon Aubry, eurodéputée La France Insoumise : "Je ne suis pas surprise. J’ai pu voir directement l’ingérence du Qatar dans les négociations. A tous les étages, j’ai pu voir comment le groupe socialiste mais aussi la droite au PPE ont systématiquement voulu défendre les intérêts du Qatar, profitant du huis clos des négociations", dit-elle en brandissant son fil Twitter qui reprend une suite d’événements étonnants.

"Tout était bon pour défendre les intérêts du Qatar. Du jamais vu au Parlement européen depuis que j’y suis", ajoute la députée LFI qui a bataillé pour obtenir une résolution du Parlement sur les violations des droits humains au Qatar face à des arguments "qui étaient clairement ceux du Qatar".

"A un tel point qu’on se demandait si le Qatar n’était pas dans la salle de négociations. On a la réponse : manifestement, il y était". Manon Aubry demande aussi pour son groupe un débat et une résolution sur le sujet, une commission d’enquête et la mise en place de nouvelles règles éthiques.

 

Et les autres institutions ?

Au Conseil, comme ce sont les représentants des Etats-membres qui règlent eux-mêmes la transparence de leurs rencontres avec les lobbys, il existe donc 27 règles différentes, et certains publient d’autres pas. La présidence tournante publie toujours.

A la Commission, les règles sont un peu plus strictes. Les déclarations d’intérêts financiers sont contrôlées pour les commissaires avant leur entrée en fonction. Pareil pour le personnel. Et les rencontres sont obligatoirement enregistrées et publiées au niveau le plus élevé (commissaires, les membres des cabinets et les directeurs généraux).

L’Europe est sous l’influence des lobbys ?

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous