Belgique

Sous-effectif, misère scientifique, la grogne monte au sein de l’Awap, l’Agence Wallonne du Patrimoine

Par Lucie Dendooven

Ce week-end, ce sont les journées du Patrimoine en Wallonie. L’occasion pour beaucoup de franchir les portes de lieux rares et précieux, impossibles à visiter le reste de l’année. Mais connaissez-vous les agents qui gèrent ce Patrimoine wallon ? Aujourd’hui, ils n’ont pas vraiment le cœur à la fête.

Les audits internes et externes ont beau se succéder et la direction affirmer devant nos caméras du magazine Investigation, en janvier dernier, que tout va pour le mieux, l’AWAP, l’agence wallonne du patrimoine s’enlise bel et bien dans une crise de fonctionnement. Et avec elle, le patrimoine wallon se retrouve en danger. Ses agents ont décidé d’une action symbolique à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des journées du Patrimoine.

Une agence qui fonctionne mal depuis sa création

Créée récemment en 2018, l’Awap est le résultat de la fusion de l’Institut du patrimoine wallon et de l’administration du patrimoine. Mais la greffe ne prend pas : manque de moyens, personnel en sous-effectif, misère scientifique. De 2018 à 2022, le personnel de l’Awap a fondu de 400 à 340 personnes.

Pour une raison simple : le personnel parti à la pension n’a été remplacé qu’une fois sur cinq. Pendant ce temps, le personnel est déboussolé : le ciel lui tombe sur la tête. Les burn-out explosent dans leurs rangs. Certains d’entre eux ont témoigné à notre micro au cours de notre Investigation ‘Patrimoine en péril’et leur parole est édifiante :" On nous a annoncé l’Awap comme une belle machine transparente, transversale. Ça allait être fluide et ça allait tout seul. Mais rien ne fonctionne. Je pense, qu’actuellement, nous n’avons pas d’avenir au niveau du patrimoine. On a nommé un nouveau manager à la tête de l’institution qui est plutôt un liquidateur. Il est là pour faire des économies, pour encore faire des coupes dans le budget, pour encore réduire le personnel. Je pense qu’on va devenir une petite administration qui valide les choix des politiques et des promoteurs. "

L’attaque est virulente mais elle témoigne surtout du ras-le-bol du personnel de l’institution. Benoît Lemaire, le manager de crise, arrivé à la rescousse après le départ pour cause de burn-out du directeur nommé, nous tient lui, à l’époque, un tout autre discours : " Aujourd’hui, nous parlons projet, relations avec les usagers. Nous parlons très peu de mal-être. Nous sommes aujourd’hui dans des projets. "

La ministre de tutelle, Valérie de Bue, de son côté, propose d’adapter les missions aux moyens humains et donc de réécrire le code du Patrimoine. Mais, selon ses agents, c’est justement en défaveur de ce patrimoine.

Des fouilles archéologiques en rade faute de combattants

Dans un communiqué syndical, le personnel tire, aujourd’hui, la sonnette d’alarme. Dans la situation actuelle, l’institution n’est plus en mesure de prendre en charge le patrimoine dans le respect minimal des missions établies par le code du Patrimoine et encore moins celles qui sont régies par les conventions internationales en la matière.

Stéphane Jaumonet, secrétaire fédéral CGSP-AMio nous explique qu’ au-delà d’un problème de personnel, c’est vraiment la structure mise en place au sein de l’Awap qui pose problème aujourd’hui. : "Certaines directions doublonnent tandis qu’ailleurs, on manque cruellement de personnel. La structure est complètement déséquilibrée. Des tâches comme l’informatique, l’économat, la comptabilité, autrefois réalisées par l’administration wallonne doivent aujourd’hui être assumées par le personnel de l’Awap. Nous sommes donc face à une accumulation des tâches."

L’Awap dispose d’une dotation de 57 millions d’euros qui ne devrait pas être revue à la baisse mais qui peine à être consommée et pourrait être, à terme, remise en question.

13% du budget dépensé

Actuellement 13% du budget des fouilles archéologiques ont réellement été dépensés. En cause, le manque croissant de personnel qui empêche d’intervenir sur le terrain.

Stéphane Jaumonet nous explique : "Certains chantiers sont abandonnés, faute de personnel pour les prendre en charge. L’Awap manque cruellement d’archéologues et de techniciens de fouilles. Certaines fouilles doivent s’arrêter faute de combattants. La semaine dernière encore, au château d’Ohey il ne restait plus qu’un archéologue et deux fouilleurs sur un chantier qui réclamait vingt personnes sur le site !".

La situation n’est pas meilleure dans le Hainaut où, un agent que nous appellerons par un nom d’emprunt, Colette témoigne : "Actuellement, même les chantiers de fouilles prioritaires ne peuvent plus être pris en charge. Il s’agit de fouilles préventives qui sont effectuées avant qu’un chantier immobilier ne démarre. Quand l’archéologie fonctionne bien, on prévient l’aménageur et on se place dans le calendrier des travaux d’aménagement pour réaliser quelques mois de fouilles préventives nécessaires. Les archéologues de l’Awap ont une moyenne d’âge élevée et certains ne sont plus capables d’effectuer des fouilles sur le terrain car il n’y a plus de remplacement du cadre depuis pas mal d’années. Faute de personnel, nous ne pouvons plus assumer la formation de jeunes techniciens de fouilles et nous ne pouvons pas honorer nos agendas. Nous n’avons plus les équipes minimales en interne pour effectuer les chantiers de fouilles. Nous n’arrivons plus qu’à réaliser un chantier par province. Par ailleurs, le personnel recruté est administratif et plus du tout habilité à se rendre sur un chantier de fouille."

La privatisation programmée des missions archéologiques wallonnes

Un autre agent, son nom d’emprunt, Charles affirme qu’il y a une politique délibérée de freinage des dépenses du budget opérationnel via l’inspecteur des finances : "Des collègues passent plusieurs mois à monter des dossiers et se voient systématiquement refuser leur dossier, une, deux, trois fois d’affilée."

Selon Charles, la direction tout pour externaliser les chantiers de fouilles archéologiques de l’Awap. Mais en réalité, les budgets proposés par l’Awap pour faire appel à des prestataires privés sont trop faibles pour créer ce marché privé. Charles en conclut : "Nous jouons dans une pièce faussée. Les agents de l’Awap sont obligés faute de personnel de faire appel à des prestataires externes qui n’existent pas en réalité, en tout cas pas à la hauteur des besoins."

A côté de cela, la direction de l’Awap réquisitionne ses agents pour étaler 600 m2 de sable sur le site du Grand-Hornu en préparation d’un spectacle de pyrotechnie en ouverture des week-ends du patrimoine. Ce sable devra ensuite être retiré !!! Pour Stéphane Jaumonet, aucun doute : "Le bling bling d’un spectacle pyrotechnique passe avant le travail patrimonial. Ca démontre le manque de respect de la direction pour son personnel et son travail. Ne vous étonnez pas, dès lors, que le personnel de l’Awap manifeste devant la ministre avec un râteau et un petit seau de plage."

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