Historiquement rapide
"En 4 mois, c’est un record", commente Raoul Delcorde, professeur invité à l’UCLouvain. "Mais les circonstances de la guerre sont si dramatiques qu’il fallait marquer, symboliquement, cette ouverture de l’Union à l’Ukraine".
L’ancien ambassadeur de Belgique en Pologne rappelle que l’attachement de l’Ukraine à l’Europe, "marqué de tâches de sang", n’est pas si récent : "J’ai vu depuis Varsovie le soulèvement de la place Maïdan en 2014 et ses milliers d’Ukrainiens rassemblés avec des drapeaux européens pour demander un accord d’association à l’époque et renvoyer l’ancien président ukrainien pro-russe. C’était le début de la crise entre l’Ukraine et la Russie".
Un chemin encore long
Entre le moment où la demande d’adhésion est acceptée et l’adhésion proprement dite, dans un cadre politique et juridique stricts, le chemin sera encore long. "Les difficultés auxquelles on va se heurter correspondent précisément aux critères d’adhésion", explique Raoul Delcorde.
"Le premier à avoir à l’esprit, quand on parle de l’Ukraine, c’est tout d’abord des institutions stables. Or en Ukraine, c’est compliqué, il y a beaucoup de corruption. C’est un pays qui reste très loin dans la liste du classement international. L’Union européenne avait déjà essayé d’aider les Ukrainiens, via différentes assistances civiles, à restructurer leur système judiciaire, mais l’Etat de droit est encore très faible dans le pays. Le deuxième critère, c’est une économie de marché. Or l’Ukraine est un pays où les oligarques sont encore puissants. Le troisième critère fait référence à l’acquis communautaire. Il s’agit de l’absorption dans le droit interne ukrainien de plus de 150.000 pages de normes européennes, c’est aussi un très gros travail".
Approfondir l’Union avant de l’élargir
Le professeur cite aussi, en quatrième critère, la capacité d’absorption de l’Union européenne de nouveaux Etats membres : "Cela fait quelque temps qu’on a plus d’adhésion, parce qu’un certain nombre de pays, et non des moindres, considèrent qu’il faut d’abord approfondir l’Union avant de l’élargir". C’est le cas des Pays-Bas ou du Danemark qui ne souhaitent pas de négociations d’adhésion trop rapides.
"Une fois le statut acquis, la question n’est plus "si" mais "quand" le pays pourra rejoindre le "club"", écrit Le Soir. Et ça peut être long, très long. "La demande d’adhésion de la Pologne a été entérinée en 1994, mais elle n’a rejoint l’Union qu’en 2004, en étant dans une bien meilleure situation que l’Ukraine", rappelle Raoul Delcorde qui relève la bonne volonté des Ukrainiens à entamer une réforme de leur système judiciaire et économique, mais entrevoit de longues négociations à venir.
Centre de gravité vers l’Europe centrale
"La décision du Conseil européen, la semaine prochaine, sera surtout symbolique. C’est une manière de marquer, vis-à-vis de la Russie, le fait que l’Ukraine fait partie de la famille européenne", poursuit l’ambassadeur honoraire de Belgique, reprenant les termes de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
"Si demain, l’Ukraine devient un Etat membre de l’Union européenne, son centre de gravité va balancer vers l’Europe centrale, car l’Ukraine + la Pologne = l’Allemagne en termes de population. Cela ne sera pas sans conséquences", prédit Raoul Delcorde. "Je pense notamment aux fonds structurels qui permettent de remettre l’économie à flot. Cela représente des injections massives de capitaux et vue la situation générale de l’économie européenne et mondiale, ce ne sera pas évident. C’est aussi pour ça que des pays comme les Pays-Bas ou le Danemark sont plus frileux, ça va coûter très cher".
Les chefs d’Etat et de gouvernement se réuniront en sommet européen les 23 et 24 juin prochains pour décider de l’octroi ou non à l’Ukraine du statut de pays candidat à l’Union européenne.