Chroniques

Stib et neutralité : le goût amer de la défaite

Stib et neutralité : le goût amer de la défaite

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Par Bertrand Henne - Les coulisses du pouvoir

La Stib n’ira pas en appel de la décision du tribunal de travail la condamnant pour discrimination fondée sur les convictions religieuses et le genre. Les travailleuses qui le voudront pourront donc porter le voile. Cette décision a le goût de la défaite. Non pas parce que la neutralité inclusive serait nuisible. Mais parce que le conseil d’administration de la Stib n’est pas le lieu idéal pour en décider.

Petit comité

Après des heures de débats assez tendus, le comité de gestion a donc voté contre l’appel (PS-ECOLO et Groen), pour l’appel (DEFI et deux directeurs de la Stib), égalité. 3 voix contre 3 c’est le vote du président Groen qui a fait pencher la balance. Un vote très serré, trop serré. Cela pourrait être un motif invoqué par le commissaire du gouvernement (VLD) pour annuler cette décision ce qui forcerait le gouvernement Bruxellois à se pencher sur la question.

Et inutile de vous dire que le gouvernement Bruxellois ne veut pas de cette patate chaude car les divisions du comité de gestion s’y inviteraient. Divisions entre tenants de la neutralité exclusive (pas de signe convictionnel, on retrouve DEFI, le VLD, certains socialistes) et tenant de la neutralité inclusive (les signes convictionnels sont autorisés on retrouve Ecolo, certains Groen, certains socialistes nord et sud).

Bref vous l’aurez compris c’est surtout le PS qui se retrouverait écartelé si le gouvernement Bruxellois devait trancher. Le brave commissaire du gouvernement VLD risque d’avoir quelques notifications WhatsApp dans les prochains jours.

Islam…

Le débat est vif, c’est même le débat le plus sensible entre partis francophones depuis des années. D’abord, ne tournons pas autour du pot, ce qui crispe c’est qu’il concerne la présence de l’Islam dans l’espace public et la liberté des femmes. Deux sujets qui divisent d’abord les féministes. C’était assez intéressant de voir les réactions à l’interview de Rajae Maouane hier, qui laissait entendre que IVG et liberté du port du foulard dans les services publics étaient les deux faces d’une même lutte pour les droits humains. Inutile de vous dire que certaines féministes n’ont pas apprécié qu’on compare un combat mené contre l’emprise du patriarcat religieux sur le corps des femmes avec le port du voile dans les services publics. Le conseil des femmes francophones de Belgiques a dégainé ceci hier je cite sa présidente Sylvie Lausberg :

Si le voile peut revêtir différentes significations pour les femmes qui souhaitent le porter, il représente pour d’autres un signe de soumission à une vision inégalitaire de la société, sur base de leur sexe.

…et laïcité.

Au-delà de l'Islam et des droits des femmes, ce dossier nous ramène aux questions de laïcité, de rapport entre l’Etat et le religieux. Ces questions qui historiquement dans ce pays, sont toujours très vives. Pensons à la guerre scolaire ou l’IVG avec l’impossibilité de régner du roi.

Ce qui s’est passé hier à la Stib est pourtant une défaite. Par parce que cela entérine une neutralité inclusive. Ce serait juger du fond ce que je m’interdis de faire ici. Mais parce que ce n’est pas le lieu ou doit se tenir ce débat aussi important.

Comme on l’a souvent rappelé durant cette pandémie, la question des libertés fondamentales doit se traiter au parlement, en l’occurrence ici au parlement bruxellois. Et pas par des assises de la neutralité pour mettre ça au frigo. Mais par le vote de lois, de réglementations qui s’appliquent à toutes et tous les Bruxellois et bruxelloises. Ne pas se saisir d’un sujet parce qu’il est trop sensible, trop clivant, trop touchy, c’est avoir déjà fait son deuil de la fonction civilisatrice du débat parlementaire.

En fait c’est exactement l’inverse qu’il faut faire, c’est parce qu’une question divise, que le conflit de valeurs semble irréductible, que la société se clive qu’il faut que le parlement sorte de sa tanière pour s’imposer comme le lieu légitime pour débattre et décider. Le risque est d’avoir un débat qui divise des partis, la majorité et la société Bruxelloise. Mais sans débat et décision au parlement, on sauvera peut-être les partis divisés, au sauvera peut-être le gouvernement bruxellois, mais les fractures de la société vont s’approfondir, encore et encore. La réalité s’imposera demain encore plus durement qu’aujourd’hui. Il faut un débat et une décision du parlement, maintenant.

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