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Sur les pas de compositrices : d'Hildegarde von Bingen à Sofia Goubaïdulina

Alma Maria Mahler-Werfel

© Getty Images

Dans Voyages, Axelle Thiry nous embarque vers des destins de compositrices, faisant escale dans l’un ou l’autre atelier de ces femmes qui ont marqué la musique classique.

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Hildegarde, la poétesse qui voue sa vie à la religion

Il y a près de 1000 ans naissait Hildegarde von Bingen. Elle est la dixième enfant et ses parents la vouent à l’église. Elle deviendra compositrice, poétesse, théologienne, médecin et réussira à fonder son propre monastère de femmes indépendantes. Elle sera célébrée et estimée de son vivant, mais aussi confrontée à de sévères critiques.

Hildegarde von Bingen aime les mises en scène liturgiques fastueuses, ce qui n’est pas toujours bien vu et on lui reproche aussi de transgresser les limites imposées aux femmes. Elle reçoit un jour une lettre de mise en garde de la supérieure d’un couvent. "On a entendu dire, je cite qu’une pratique inhabituelle est en usage chez vous ; on dit en effet que vos nonnes, aux jours de fête, chantent les psaumes debout dans le chœur, les cheveux déliés et parées de voile de soie blanche éclatants dont le bord touche le sol. Elles ont sur la tête une couronne dorée où sont harmonieusement incrustées des croix sur les côtés et sur la nuque, et une image de l’agneau sur le front. On dit aussi que les sœurs ont à leur doigt des anneaux d’or. Tout cela en dépit de l’avertissement du premier pasteur de l’Église qui interdit de telles choses."

Hildegarde répond que tout comme la femme mariée doit se parer pour son mari pour lui plaire, la jeune fille ayant épousé le Christ doit de même se présenter à l’autel dans sa parure d’épousée. Et quand on lui rappelle la règle qui veut que la femme doit se taire dans l’église, elle les invite à la plus grande circonspection avant de prononcer une sentence qui fermerait la bouche à celles qui chantent les louanges du seigneur.

Kaija Saariaho, la contemporaine

Kaija Saariaho est une figure importante de la musique contemporaine. Compositrice finlandaise, Kaija Saariaho est influencée par la musique spectrale et mêle une recherche sur le timbre, l’électroacoustique et le multimédia. En l’an 2000, elle compose Sept papillons. C’est la première œuvre qu’elle écrit après son opéra L’amour de loin et elle a été en partie composée pendant les répétitions de l’opéra à Salzbourg. On y découvre le désir de trouver un nouveau monde qui n’a rien à voir avec l’opéra.

Après avoir exploré des valeurs éternelles comme l’amour, les aspirations, la mort, Kaija Saariaho se tourne vers la métaphore de l’éphémère : le papillon. Elle compose des miniatures. Chacune d’elles explore un aspect différent d‘un mouvement fragile qui semble n’avoir ni début ni fin.

Fanny Mendelssohn, destin d’une époque

Fanny et Felix Mendelssohn ont été élevés un peu comme des jumeaux. Ils suscitent l’admiration de Goethe et de tous ceux qui les écoutent. Mais quand il s’agit d’entrer dans la vie professionnelle, Fanny s’aperçoit à son grand désespoir, que tout ce qui est souhaitable pour Félix ne l’est pas pour elle. Elle doit renoncer à la vie de musicien, ou à l’édition de ses compositions, parce qu’elle est une femme.

En 1846, un an avant sa mort, elle a l’audace de publier une sélection de ses œuvres, mais avoue qu’elle est pleine de crainte. Fanny écrit : "J’ai aussi peur de mes frères à l’âge de 40 ans que de mon père quand j’en avais 14. J’espère ne pas vous faire honte, je ne suis pas une femme libre." Elle signe environ 400 œuvres et se révèle une compositrice très talentueuse. A sa mort, le critique anglais Henry Chorley écrit : "Si Madame Hensel avait été la fille d’un homme pauvre, elle aurait été connue du monde entier aux côtés de Madame Schumann et de Madame Pleyel, comme une femme pianiste de la plus haute qualité. Comme son frère, elle avait dans ses compositions une touche de vivacité méridionale. Plus féminin que le sien, son jeu montrait une forte ressemblance avec celui de son frère par sa flamme, sa solidité, sa netteté. Elle était comme lui complètement douée et accomplie."

Francesca Caccini, première femme à composer un opéra

L’époque baroque est florissante pour les compositrices en Italie. Francesca Caccini vit à Florence, un centre culturel étincelant. Sous le mécénat des Médicis elle peut exercer ses talents de chanteuse et de compositrice. À Florence, des philosophes, des poètes, des musiciens se réunissent régulièrement, leurs discussions ont contribué à la naissance de l’opéra dans la ville. Francesca Caccini collabore avec le poète Michelangelo Buonarotti le Jeune, le petit-neveu du célèbre peintre Michel-Ange. Malheureusement, beaucoup de ses compositions sont maintenant perues.

Francesca est aussi professeur de chant et de musique. Elle fonde un ensemble vocal féminin qui se produit fréquemment à la cour. Quand Charles de Médicis se rend à Rome, il emmène quelques musiciens renommés dont Francesca. Elle fait aussi des tournées de concert avec son mari musicien. Elle est très admirée à son époque en tant que musicienne et compositrice. Elle joue du luth, de la guitare et du clavecin. Claudio Monteverdi dit de Francesca Caccini qu’elle chante admirablement.

Ethel Smyth, l’anglaise résolue

Ethel Smyth est une compositrice anglaise. Elle voit le jour en 1858. Elle est pensionnaire dans un internat et elle écrira : "Je persiste à croire que le raccommodage des bas comptait parmi les choses les plus importantes que j’ai pu y apprendre."

Elle a 17 ans quand elle prend sa première leçon d’harmonie avec Alexander Ewing, un officier musicien amateur passionné d’opéra. Elle apprend la composition et elle étudie les parties des opéras de Richard Wagner. Elle voudrait devenir compositrice mais son père y est hostile et il met un terme à ses leçons de musique. Elle veut aller étudier à Leipzig. Ethel Smyth ne souhaite pas se marier. Elle rompt ses fiançailles avec William, le frère d’Oscar Wilde, au bout de quelques semaines. Elle écrira à sa mère que les femmes qui composent ne peuvent s’occuper des maris et des enfants. Elle ajoute : "Même si j’étais amoureuse de Brahms et qu’il répondait à mon amour, je dirais non."

Ethel Smyth parvient à aller étudier à Leipzig. C’est une période très heureuse pour elle, qui est dans un état d’enthousiasme effréné. Plus tard, la jeune compositrice rencontre Brahms mais malgré toute l’admiration qu’elle a pour son art, elle est irritée par son opinion sur les femmes même si elle concorde avec les habitudes de l’époque. Ethel Smyth se lance par la suite dans la composition et met en chantier un opéra en 2 actes, Fantasio, d’après la comédie d’Alfred de Musset. Elle n’a plus beaucoup de contacts avec les musiciens de son pays et elle se sent "comme un enfant qui se serait perdu dans un rêve heureux".

Ethel Smyth fait connaissance avec Clara Schumann, l’une des plus grandes pianistes de son temps. Franz Liszt écrivait au sujet de Clara : "Il y a chez elle une supériorité réelle, un sentiment profond et vrai, une élévation constante." Clara est aussi la femme d’un des plus grands compositeurs de son époque et forme avec Robert Schumann un couple mythique. Clara n’abandonne pas la composition et écrit notamment un trio avec piano en sol mineur qu’elle achève le 12 septembre 1846 pour leur sixième anniversaire de mariage. Robert la rejoint sur ce terrain l’année d’après en composant son premier trio pour piano, en ré mineur. Du coup, Clara juge durement son propre trio : "Malgré quelques passages agréables et une forme assez réussie, c’est seulement un ouvrage de femme, auquel la force fait défaut, et parfois l’invention." Elle le juge même, en comparaison avec celui de Robert, "insipide, efféminé et sentimental". Elle en conclut qu’une femme ne doit pas prétendre composer. Clara Schumann restera une compositrice méconnue, comme exclue d’un monde réservé aux hommes, même si elle brille de tous ses feux comme pianiste.

Le destin bridé d’Alma Mahler

Je voudrais accomplir quelque chose de grandiose. Je voudrais composer un opéra vraiment bon, ce qu’aucune femme n’est encore certainement parvenue à faire. Je voudrais devenir quelqu’un et cela m’est impossible. Pourquoi ? Je ne manque pas de talent, mais seulement du sérieux qui est toujours indispensable dans toute ambition, dans toute démarche artistique.

- Alma Mahler

Alma Schindler est la fille du célèbre peintre viennois Emil-Jakob Schindler. Elle est née en 1879. Elle a grandi à Vienne dans une famille cultivée. Elle aime s’entourer d’artistes et d’intellectuels qui tombent souvent sous son charme.

Max Burckhard lui envoie un jour comme cadeau de Noël deux paniers à linge contenant une petite bibliothèque classique. Il lui fait découvrir Nietzsche. C’est une révélation. Alma est peintre, musicienne. Elle compose des lieder. Et toute sa vie, elle suscite la passion de grands génies. Alma est sensible au talent. Elle exalte les dons. Elle a partagé sa vie avec Gustav Mahler, le peintre Oskar Kokoschka, l’architecte Walter Gropius et l’écrivain Franz Werfel.

Elle étudie la composition auprès d’Alexander von Zemlinsky. Elle compare les leçons avec lui à un bain d’eau minérale. Pétillant, rafraîchissant, bienfaisant… Ils vivent aussi une passion intense. A 20 ans, Alma Mahler avait déjà écrit plus de cent lieder, des pièces instrumentales, l’esquisse d’un opéra. Elle était douée. Ambitieuse. Elle voulait être chef d’orchestre. Gustav Klimt, son premier amour, écrivait : "Alma est belle, intelligente, spirituelle. Elle a tout ce qu’un homme exigeant peut exiger d’une femme, et cela en abondance. Je crois que, partout où elle apparaît, dans le monde masculin, elle est maîtresse, souveraine."

Sofia Goubaïdoulina, le soleil

Sofia Goubaïdoulina est une compositrice russe, née en 1931. En 1981, le violoniste Gidon Kremer interprète son concerto Offertorium et la fait connaître du monde musical international.

Sofia Goubaïdoulina a dédié son Cantique du Soleil (1997) à Mstislav Rostropovitch. Elle confie que cette œuvre est en relation avec la nature et la qualité de la personnalité du musicien qui, dans son imaginaire, est en permanence associé à l’illumination du soleil, à l’éclat du soleil, à l’énergie du soleil. La singulière puissance et la profondeur de la sonorité de son violoncelle ont stimulé son imagination en quête d’un geste musical très large, qui l’a autorisé à prendre le risque d’utiliser le texte du Cantique du Soleil, certaines fois appelé Cantique des Créatures de Saint-François d’Assise, écrit au début du 12e siècle.

Programmation musicale :

Hildegarde VON BINGENKaritas, Psaume antiphon pour le Saint-Esprit. Ensemble Mediva. Odradek Records. .

Kaija SAARIAHODes extraits de Sept papillons. Wilhelmina Smith. Ondine 07611195129425.

Barbara STROZZILagrime mie. Marianna Flores & Cappella Mediterranea sous la direction de Leonardo Garcia Alarcon. Ambronay 20.

Fanny MENDELSSOHNLes trois premiers mouvements du Quatuor à cordes en mi bémol majeur. Quatuor Ebène. Virgin 4645462.

Francesca CACCINIExtrait de la Liberazione di Riggiero dall’isola d’Alcina. Sabine Lutzenberger & l’Ensemble Huelgas sous la direction de Paul Van Nevel. DG 8985338762.

Ethel SMYTHDe larges extraits du Quintette à cordes op 1 en mi majeur..  Quatuor de Mannheim et Joachim Grisheimer. CPO 9993522.

Clara SCHUMANNLe Concerto pour piano et orchestre en la mineur op 7. Isata Kanneh-Mason & l’Orchestre royal de Liverpool sous la direction d’Holly Mathieson. DECCA 28948500208.

Alma MAHLERDie stille Stadt et Waldseligkreit. Iris Vermillion & Royal Concertgebouw Orchestra sous la direction de Riccardo Chailly. DECCA 4551122.

Louise FARRENCLa Valse brillante op 48. Konstanze Eickhorst. CPO 999879-2.

Sofia GOUBAÏDOULINADes extraits du Cantique du Soleil. Mstislav Rostropovitch, Simon Carrington, Neil Percy, John Alley, London voices sous la directon de Ryusuke Numajiri. EMI 5571532.

Production et présentation : Axelle THIRY

Réalisation : Valentine GOURDANGE

En savoir plus : Danielle Roster, Les femmes et la création musicale, les compositrices européennes, du Moyen Âge au milieu du 20e siècle paru chez L’harmattan.

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