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Tapie logé dans son appartement, au marché de Flagey, au resto près des étangs : les souvenirs de l'ancien bourgmestre d'Ixelles de Jonghe d'Ardoye

Deux photos souvenirs avec Bernard Tapie postées par l’ancien bourgmestre d’Ixelles Yves de Jonghe d’Ardoye.

© INSTAGRAM/DE JONGHE

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Par K. F.

Le pouce levé face une affiche électorale pour les régionales du libéral Yves de Jonghe d’Ardoye. Et puis cette autre photo, à deux, devant la brasserie Le Canterbury, enseigne connue des étangs d’Ixelles. Bernard Tapie, décédé dimanche et qui sera inhumé ce vendredi à Marseille, était un ami de l’ancien bourgmestre de la commune, qui lui a rendu hommage au travers de deux posts sur son compte Instagram. Le vicomte, mayeur de 1993 à 2000, a permis à l’homme d’affaires français de s’installer dans sa commune et l’y a domicilié officiellement, au rond-point de l’Etoile, près du Bois de la Cambre.

Régions Soir du 25 janvier 2000 : l'arrivée de Bernard Tapie à Ixelles

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Aujourd’hui adjoint au maire de Vézac, petite localité du Périgord (Dordogne) dans l’Hexagone, Yves de Jonghe d’Ardoye se remémore le passage du bouillant patron de l’Olympique de Marseille dans sa commune. "Ça remonte aux années 90", raconte l’homme politique à la RTBF. "Nous avions des amis communs en Belgique. A l’époque, il s’intéressait beaucoup à la marque de sport belge Donnay. Il s’intéressait aussi au football et au Standard de Liège si je me souviens bien. En fait, il connaissait pas mal de monde en Belgique où il venait une fois de temps en temps."

Au huitième étage, rond-point de l’Etoile

Mais Bernard Tapie veut faire plus ample connaissance avec notre pays et son paysage économique. "Un beau jour, il m’a dit qu’il était intéressé pour des raisons d’affaires, pas fiscales de ce que je sais, de se faire domicilier à Bruxelles et d’avoir un logement à Bruxelles. Et donc effectivement, je lui ai dit qu’il pouvait se faire domicilier dans un appartement que j’avais et où il venait déjà assez régulièrement".

Un appartement situé rond-point de l’Etoile numéro 3. "C’était un petit appartement que j’avais, pas du tout fastueux ou luxueux. Absolument pas !"

Du huitième et avant-dernier étage, Bernard Tapie peut admirer le Bois de la Cambre et le campus de l’ULB, pas très loin. Mais le "boss" veut rester discret. Peu de gens savent qu’il réside dans cet immeuble Art déco. "Moi, en tout cas, en tant que propriétaire, je n’avais jamais vendu la mèche."

Tout le monde voulait faire des photos avec lui à Flagey

La discrétion n’empêche pas Bernard Tapie de sortir de temps en temps, dans son quartier. "Je me souviens qu’un jour – c’était extraordinaire – je l’avais amené, un samedi matin, au marché de la place Flagey. A l’époque, les téléphones portables comme nous avons aujourd’hui et qui prennent des photos n’existaient pas. Et je revois encore des bandes de jeunes qui étaient rentrés dans tous les magasins du quartier pour acheter des petits appareils de photos jetables, parce que tout le monde voulait faire des photos avec Bernard Tapie sur cette place Flagey."

A l’époque, Tapie, c’est l’OM, la Ligue des Champions remportée en 1993, son combat contre le Front national de Le Pen… "Il suscitait chez les jeunes, en tous les cas auprès de la jeunesse maghrébine qu’on voit beaucoup dans le quartier de la place Flagey, un affolement positif. C’était vraiment la star."

Une bonne dizaine de fois, Bernard Tapie et Yves de Jonghe d’Ardoye iront au restaurant, au "Canterbury" notamment, face aux étangs. "Je me souviens d’une fois, il avait commandé un poulet frites compote, la spécialité de la maison. Il avait tellement faim qu’il a mangé toute son assiette sans utiliser de fourchette, de couteau, de cuillère… Il désossait son poulet. Ses frites, ils les trempaient dans la compote avant de les avaler… Il a vidé son assiette de façon extraordinaire."

Un homme au charisme certain, qui a à ce moment déjà connu la prison, une démission du gouvernement après avoir été ministre de la Ville du président Mitterrand, la banqueroute mais qui écarte les bonnes manières devant une spécialité bien belge.

Tapie borderline ? Personne ne le niera mais…

"C’était un homme enthousiaste, il positivait tout", enchaîne Yves de Jonghe d’Ardoye. "Bon, qu’il ait été un peu borderline dans sa vie, je crois que personne ne le niera. Mais dans tout ce qu’il a fait, il était exceptionnel que ce soit dans les affaires, dans le football, dans ses émissions de télévision, au théâtre…"

"Moi", poursuit l’ancien mayeur, "je l’ai vu je ne sais pas combien de fois au théâtre à Bruxelles. Sur scène, il était fabuleux. Au cinéma, il était fabuleux. Il faut revoir ce film de Claude Lelouch "Hommes, femmes, mode d’emploi" avec Fabrice Luchini. Lucchini, que je connais bien, qui était un ami m’a dit : quand j’ai tourné ce film avec Bernard Tapie, moi qui suis vraiment un professionnel de la comédie, j’ai été bluffé par son culot, par son enthousiasme, par sa façon de parler, de s’exprimer, sa diction… Tapie avait un talent pour tout… Ce mec était 'multidiscipline' et chaleureux. Il était aussi un vendeur incroyable, capable de tout vendre. A ses débuts, il vendait des téléviseurs."

Un talent aussi pour casser les barrières. "La première fois que je l’ai rencontré, il m’a tutoyé après 15 minutes. Il me parlait comme s’il me connaissait depuis toujours. Il était amical, il vous tapait sur l’épaule. Quand il vous aimait bien, il faisait comme s’il vous connaissait depuis toujours. Et je crois qu’il m’aimait bien. Quand il me téléphonait, il me demandait quand je pouvais venir à Paris pour le voir, pour le voir au théâtre, pour déjeuner avec lui. Chaque fois, qu’il passait par Bruxelles, il m’appelait."

La dernière rencontre, en face en face, remonte à il y a quatre ans. Les deux hommes dînent dans un restaurant italien à Louise. "Depuis son cancer, on ne s’est plus vu mais on s’est eu deux fois au téléphone. La dernière fois, c’était il y a un an. Il était toujours aussi combatif. On avait prévu de se voir. Ce n’est que quand les gens disparaissent qu’on se dit qu’on aurait dû le faire. On croit toujours que les amis sont éternels."

Une distance qui n’empêche pas de Jonghe d’Ardoye de replonger dans ses souvenirs. Avec cette photo de Tapie, le pouce levé, qui présente l’affiche électorale de l’Ixellois pour les élections régionales de 1999. "Un jour, il m’a dit : viens, on va aller faire un tour ensemble en ville et je vais aller dire aux gens de voter pour toi", sourit le désormais adjoint au maire de Vézac et ancien propriétaire de Tapie.

Rien ne m’interdisait de lui louer un appartement

Propriétaire "pendant un an ou deux, je ne me souviens plus". En tout cas, jusqu’en 2000, lorsque l’information de la présence de Tapie à Ixelles fuit dans la presse. Le 25 janvier 2000, La DH et La Lanterne révèlent sa domiciliation. Le scoop fait du bruit jusqu’en France. Le jour de la publication, Yves de Jonghe d’Ardoye réagit dans les quotidiens : "Rien ne l’interdit. En tant qu’officier public, je n’ai pas à révéler la vie privée des gens."

Deux décennies plus tard, de Jonghe d’Ardoye garde la même ligne de conduite. Rien d’anormal à ce que le premier magistrat d’une commune loue un de ses biens immobiliers à un personnage déjà controversé, homme d’affaires ultramédiatisé. "Je n’ai pas été jusqu’à demander à Bernard Tapie de venir sur ma liste pour les élections communales. Il n’y avait rien d’illégal, tant que l’on restait dans les cordes."

"Il voulait des affaires en Belgique et il avait besoin d’un pied à terre, certainement. Pour le reste, cela relève de la vie privée. Qui a informé la presse à l’époque ? Moi je n’ai jamais rien dit. A mon avis, ce devait être des gens de l’immeuble qui ont vendu la mèche. En tout cas, lui et moi on s’en foutait quand l’info est sortie. Quand j’étais bourgmestre, le nombre de vedettes françaises qui sont venues s’installer à Ixelles, ils et moi non plus n’en faisions pas état."

Son rêve : devenir maire de Marseille

En 2013, des huissiers se sont tout de même rendus à l’ancienne adresse ixelloise de Tapie à la demande du fisc, dans le but de récupérer des impayés d’impôts. Sauf que Tapie n’y était plus depuis longtemps.

A-t-il un jour songé à s’installer durablement en Belgique ? L’ancien bourgmestre ne le pense pas. "Il avait un rêve, un rêve inassouvi et ce n’était pas de devenir président de la République comme on l’a souvent dit. Son rêve, c’était celui de devenir maire de Marseille", raconte le vicomte. "Un jour, il m’avait dit : 'Tu devrais venir à Marseille avec moi et constater l’enthousiasme que j’ai créé chez ses habitants'. Je suis convaincu de cela. Marseille était son port d’attache" et sera sa dernière demeure après les funérailles de ce vendredi.

"On l’a assez répété ces derniers jours : Bernard Tapie était le seul Parisien que les Marseillais adulaient", conclut Yves de Jonghe d’Ardoye.

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