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Télétravail : votre employeur peut-il vous surveiller ?

Télétravail: les patrons nous espionnent-ils?

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Depuis le Covid, le télétravail a connu une hausse impressionnante. Aujourd’hui, 32% des travailleurs belges bossent depuis chez eux au mois une fois par semaine. Et les entreprises ont l’envie de mesurer l’efficacité de leurs effectifs pendant ces heures. Alors depuis le confinement, les logiciels de surveillance se sont eux aussi multipliés. En France, une étude, menée par GetApp, a montré que près de la moitié (45%) des répondants " travaillent dans une entreprise qui utilise des outils de surveillance des employés ".

© Getty Images

Les logiciels de surveillance proposent tout un tas de fonctionnalités : photo de l’écran, visionnage en direct de ce que le travailleur fait sur son ordinateur, liste des sites web visités, temps de connexion aux sites internet et aux applications, enregistrement des frappes sur le clavier et des mouvements de la souris.

Des lois et des principes à respecter pour l’employeur

En Belgique, comme en France d’ailleurs, l’employeur ne peut pas faire ce qu’il veut. Il est tenu de respecter plusieurs lois. D’abord celle sur le secret des télécoms : ça veut dire que quelqu’un qui n’est pas partie à une télécommunication ne peut pas prendre part à cette télécommunication. Il y a aussi deux conventions collectives de travail, la 81 et la 38, que l’employeur doit respecter. Enfin, il existe aussi la loi sur la vie privée, dans laquelle on retrouve le RGPD (Règlement général sur la protection des données), adoptée par l’Union européenne en 2016. " Il n’y a pas de disposition qui dit ‘On peut ou on ne peut pas’ . L'employeur doit faire un équilibrage entre ces différentes dispositions pour voir ce qu’il peut faire ou pas ", analyse Christophe Delmarcelle, avocat en droit du travail.

L’autorité de l’employeur et son droit de contrôler les prestations d’une part, et le droit à la vie privée de l’employé d’autre part.

Dans ce genre de dossier, deux principes coexistent. L’autorité de l’employeur et son droit de contrôler les prestations d’une part, et le droit à la vie privée de l’employé d’autre part ", rappelle Aurélie Waeterinckx, porte-parole de l’Autorité de Protection des Données (APD).

Dans tous les cas, l’employeur devra respecter plusieurs principes de base.

  1. Premièrement, la transparence. " Le travailleur doit être informé du contrôle électronique éventuel et de la manière dont celui-ci est mené ", explique l’APD.
  2. Ensuite, la légitimité : la finalité du contrôle doit être acceptable. " Si je veux suivre un travailleur pour savoir s’il a une maîtresse ou pas, on aura bien compris que ce n’est pas légitime ", précise l’avocat. " En revanche, savoir s’il a volé des secrets d’affaire, c’est plus acceptable. "
  3. Enfin, le contrôle doit être proportionné. L’employeur doit limiter le contrôle au strict nécessaire ", note Aurélie Waeterinkx. " On ne tue pas une mouche avec un bazooka ", surenchérit Christophe Delmarcelle.
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Des logiciels trop invasifs

Les logiciels, tels qu’ils sont proposés actuellement avec un attirail de mesures de surveillance, ne seraient pas tolérés chez nous. Si je regarde en permanence, si je prends des photos de l’écran, si je prends des photos du travailleur, si je regarde les emails qu’il envoie, si je regarde le contenu des emails, ça ne va pas passer ", précise l’avocat en droit du travail. L’Autorité de Protection des Données rappelle de son côté que " Sauf dans des éventuelles circonstances exceptionnelles liées à un impératif fort de sécurité, l’utilisation de keyloggers (NDLR. enregistreurs de frappe) permettant de suivre, à distance et en continu, la souris et le clavier de l’utilisateur est illicite, car elle constitue une ingérence disproportionnée dans la vie privée. "

C’est donc l’utilisation par l’employeur de ces logiciels qui sera la clé. " Ce qu’on peut faire, ce sont des contrôles aléatoires, voir si la souris bouge, si le clavier est actif, voir si les applications sont actives. Ça, je pense que ce serait acceptable dans un contexte belge ", résume Christophe Delmarcelle.

Quels risques pour l’employeur ?

En cas de litige entre un travailleur et son employeur, la loi belge semble encore floue, car c’est au juge de trancher et de décider si la preuve est recevable ou non. " C’est un problème majeur pour l’employeur dont tout le dossier de licenciement pour motifs graves repose sur une preuve. Si la preuve est jugée illégale, il est possible que le tribunal l’écarte ", explique l’avocat.

Une entreprise qui ne respecte pas les lois et principes en matière de vie privée peut aussi s’exposer à des sanctions pénales, quasi inexistantes chez nous, ou encore à des dommages et intérêts, là aussi très faibles en Belgique.

Monitoring soft

Christophe Delmarcelle rappelle que des mesures de soft management sont préférables aux logiciels de surveillance : " On privilégie le contrôle doux des travailleurs, qui se fait en leur fixant des réunions à intervalles réguliers. Demander une réunion à l’improviste. En vérifiant la production du travailleur, les emails qui sont envoyés, en les faisant participer à certains projets collectifs où ils sont obligés d’intervenir. On est dans une dynamique positive, c’est presque normal pour le manager de suivre ce que font ses employés. "

Vu l’essor du télétravail, la multiplication de ces logiciels de surveillance et, plus globalement, les évolutions de plus en plus rapides de ce type de technologies, l’Autorité de Protection des Données estime qu’il " pourrait être utile pour le législateur de se prononcer sur ces usages via la loi (loi sur laquelle l’APD donnerait son avis au préalable afin que la protection des données personnelles des travailleurs soit prise en compte dans le projet). "

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