Témoigner pour survivre : rencontre entre des élèves du Hainaut et la survivante de la Shoah Lili Leignel

Le 27 octobre 1943, dans un petit immeuble en briques situé boulevard d’Armentières, à Roubaix dans le nord de la France, le calme règne. C’est là que vivent les Keller-Rosenberg, une famille juive française. "Dans ma famille, nous étions 5. Il y avait Charlotte, ma maman et Joseph, mon papa. Et puis, il y avait 3 enfants. Le plus petit, Albert (3 ans), le cadet Robert (10 ans) et moi, Lili (11 ans). Je n’oublierai jamais cette nuit-là. Nous nous étions couchés avec le sourire, car nous avions préparé l’anniversaire de maman. Mes frères et moi avions appris des poèmes et papa avait acheté des fleurs et un gâteau", raconte Lili Leignel (née Keller-Rosenberg), survivante de la Shoah.

À 3 heures du matin, un fracas épouvantable rompt la tranquillité de la nuit. Plusieurs hommes de la Feldgendarmerie, la police militaire allemande, grimpent les escaliers pour arrêter la famille Keller-Rosenberg. Ils ouvrent violemment les portes des chambres situées au second étage, où dorment les enfants et leurs parents. "Los ! Schnell ! [Allez ! Vite !]", hurlent-ils, en défonçant tout sur leur passage. Cette nuit-là, toute la famille est raflée. Elle passe alors par la Belgigue, déplacés à la prison de Saint-Gilles, puis dans le camp de rassemblement de Malines. C’est là que la famille est séparée. Le père est envoyé à Buchenwald. La mère et ses 3 enfants, eux, sont transférés à Ravensbrück, puis au début de 1945, à Bergen-Belsen.

Aujourd'hui, Lili Leignel à 89 ans. Depuis plus de 40 ans, elle consacre sa vie à partager sa douloureuse expérience des camps de concentration dans les écoles françaises et belges. "Avant le Covid, je rencontrais 25.000 élèves par an. C’est vrai que je témoigne à l’infini, mais c’est surtout parce que le monde ne va pas bien. Il est grand temps que les jeunes puissent changer les choses. J’ai confiance en eux, car s’ils le veulent vraiment, ils peuvent changer le monde. Les jeunes européens sont enthousiastes, ils veulent la paix. S’ils se donnent tous la main, ils peuvent éradiquer la haine", confie la survivante.

Lili Leignel, née Keller-Rosenberg, survivante des camps de concentration, témoigne devant des élèves à Fleurus.
Lili Leignel, née Keller-Rosenberg, survivante des camps de concentration, témoigne devant des élèves à Fleurus. © RTBF

Les derniers témoins vivants

Lili raconte son histoire pendant plus d’une heure. Elle revient sur l’arrestation de sa famille, les trains de l’holocauste, les camps et les conditions de vie quotidienne marquées par l’arbitraire, la violence, la soumission… L’humiliation. "Après être resté quelque temps dans la prison de Saint-Gilles à Bruxelles, on nous a menés dans un grand camp de rassemblement à Malines. Dans ce camp, il y avait des SS allemands et des SS flamands. Les nazis étaient tellement portés sur l’ordre et la propreté. Chaque soir, il fallait qu’on s’allonge sur nos paillasses, les pieds visibles. Certains avaient des engelures et des crevasses. Leur peau n’était pas nette et je me souviens qu’ils recevaient des coups de fouets. Parfois, on les mettait dehors pour qu’ils se lavent à l’eau froide et parfois, c’était plus cruel, on les laissait pieds nus dehors pendant toute la nuit", rapporte-t-elle aux étudiants.

Face à elle, près de 200 élèves venus de plusieurs écoles du Hainaut. Le silence règne, les yeux sont rivés sur la survivante. Certains laissent entrevoir des regards choqués ou tristes. Pour beaucoup d’entre eux, c’est la première fois qu’ils entendent une déportée raconter son histoire. "Quand je l’ai vu, je ne me suis pas du tout douté qu’elle avait vécu ça. Elle garde la joie de vivre, alors qu’elle a vécu une histoire horrible. Je trouve qu’on n’en parle pas assez. On doit vraiment partager ce témoignage", réagit Grace, 13 ans, élève à l’ISM Châtelet. "J’ai pleuré. Je n’arrive pas à comprendre comment l’être humain peut-il être aussi cruel ! J’ai mal au cœur", s’exclame Asli, 15 ans, élève à l’IND de Fleurus. "J’ai déjà visité deux camps par le passé, mais c’est la première fois que j’entends une personne qui a vécu cette horreur-là. C’est vraiment important de l’écouter, car il reste peu de témoins de cette époque-là. C’est quand même plus fort de l’entendre que d’écouter un podcast ou de regarder un documentaire", commente Marie, 19 ans, de l’école du futur à Mons.

La rencontre, organisée dans la salle polyvalente du Vieux Campinaire à Fleurus par la Province du Hainaut, vise à matérialiser, rendre vivante, la théorie apprise dans les cours d’histoires. "Cela change la donne d’entendre cette partie de l’histoire par quelqu’un qui l’a vraiment vécu. Ces gens sont exceptionnels, quand on entend ce qu’ils ont vécu, on prend une claque d’humanité !", ajoute Michel Decamps, coordinateur d’une exposition qui retrace la vie en camp de concentration pour la cellule "Hainaut Mémoire" de la Province.

Pour certains élèves, c'est la première fois qu'ils entendent un témoin de l'Holocauste.
Pour certains élèves, c'est la première fois qu'ils entendent un témoin de l'Holocauste. © RTBF

De témoins à passeurs de mémoire

En Français, en néerlandais, en polonais ou en allemand. Lili entonne aussi des chants d’enfants appris dans les camps. Une façon pour elle de rendre compte de la diversité des peuples rassemblés dans les camps. Un message d’espoir pour les jeunes. "Les jeunes sont reconnaissants. À la fin de mon témoignage, ils viennent autour de moi, car ils veulent en savoir plus. Ce sont eux qui construiront un monde meilleur. J’ai foi en la jeunesse. Beaucoup m’écrivent et me remercient de croire en eux, car beaucoup d’adultes les croient nuls. Je leur donne de la force. Ils ont besoin qu’on les pousse. J’espère qu’ils construiront un monde meilleur avec la conviction qu’ils en sont capables ", insiste la déportée.

"Quand Lili ne sera plus là, ce sera à vous de raconter mon histoire, pour qu’il n’y ait plus de guerres. Vous êtes mes petits messagers". À la fin de son discours, Lili est très rapidement entourée par les élèves. Ils veulent tous prendre une photo avec elle. "On fera notre maximum madame ! Il faut continuer à expliquer ce qui s’est passé. Cela permettra peut-être de ne pas répéter les erreurs des générations précédentes", lui répond Justin, 17 ans, de l’école du futur de Mons.

De nombreux élèves ont promis de lui écrire. Elle attend leurs lettres. Boosté par ces rencontres, Lili espère surtout rester le plus longtemps en vie. Son objectif ? Témoigner jusqu’à 100 ans, au moins.

Après le discours, Lili rencontre les jeunes et leur demande de devenir "ses petits messagers".
Après le discours, Lili rencontre les jeunes et leur demande de devenir "ses petits messagers". © RTBF

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