"Décisions unilatérales", "propos sexistes et racistes", "mépris du personnel et du patrimoine" : plusieurs témoins se sont confiés à la RTBF sur la gestion de Michel Draguet, directeur des Musées Royaux des Beaux-Arts (MRBA) depuis 2005, dont le mandat arrive à échéance en avril prochain et candidat à sa propre succession. Des travailleurs de différents services dénoncent un climat de pression, des remarques méprisantes et injurieuses répétées, un management "de la terreur".
Derrière les collections des Musées Royaux des Beaux-Arts, les Breughel, Rubens ou autres Magritte – parmi les plus belles du pays – il existe un dossier. Dans un classeur, plusieurs dizaines de témoignages sur des centaines de pages. Nous avons pu les consulter et le constat est sévère : les griefs s’accumulent sur la gestion du directeur général, Michel Draguet ; il est question d’un climat de travail délétère à tous les niveaux. Après la lettre ouverte d’une trentaine de travailleurs au secrétaire d’État à la Politique scientifique qui dénonçait des "conditions de travail déplorables", ils sont maintenant plus d’une quarantaine d’employés (sur 210 au total), de différents services, qui livrent leur témoignage. Parmi eux, nous avons rencontré Marie*, employée depuis plusieurs mois au sein de la direction "Public" (département qui reprend la communication, la médiation culturelle ou encore, entre autres, le mécénat).
Elle déplore un directeur "sans filtre" en réunion, notamment : "Il peut s’exprimer de manière très agressive et assez brutale. Je pense notamment à une personne d’origine allemande qui travaille aux musées et qui, sur au moins quatre ou cinq réunions auxquelles j’étais présente, a chaque fois été visée par une remarque vis-à-vis du nazisme ou autres allusions à la Seconde Guerre mondiale", explique Marie qui enchaîne avec un autre exemple : "J’ai déjà assisté à un vrai bashing de ma responsable directe en réunion lors de laquelle il lui a dit ‘T’es vraiment trop conne’. J’étais sous le choc. Il a des propos très problématiques par rapport aux femmes. C’est absolument déplacé dans un contexte professionnel."
Des propos problématiques en réunion, que confirme aussi Julien*, licencié depuis des MRBA : "Des remarques homophobes, racistes, misogynes : c’est récurrent, cela a lieu durant les réunions, parfois en présence de partenaires, parfois en présence d’artistes et même de journalistes. C’est très compliqué à accepter, surtout par sa récurrence, par le fait que cela reste impuni." Une situation qui, selon ces témoins, nuirait à l’image de l’institution, derrière la façade resplendissante des bâtiments néoclassiques de la Rue de la Régence, qui réunit aujourd’hui les musées d’Art moderne, Fin de siècle et Magritte.
Des faits que relève également Arnaud* qui parle de "remarques sexistes du directeur général en réunion" ou encore de "remarques méprisantes du directeur général à l’égard d’artistes, en réunion ou en public."
Elle peint des croûtes
Et Marie de nous donner des exemples de quelques situations concrètes vécues ces dernières années. "On peut se retrouver avec Michel Draguet qui va dire, dès que l’artiste a quitté la pièce, ‘De toute façon, cette personne n’est même pas artiste, elle peint des croûtes ou bien, en référence à l’œuvre d’un artiste contemporain qu’on accueille, traiter une de ses œuvres ‘d’étron’ : c’est un mot qui a été employé à plusieurs reprises. Il est même allé jusqu’à traiter un artiste avec un grand paternalisme devant des externes, devant la presse aussi. On se retrouve ensuite avec un artiste furieux et vexé. Pareil avec des partenaires externes où, une fois la porte fermée, il a dit 'de toute façon ce sont des veaux, qu’ils retournent brouter leurs herbes. Les gens autour de lui sont tous des incapables, c’est assez clair."
"Il y a peu de collaborateurs qui peuvent exister à côté de lui. Il les perçoit toujours comme des concurrents", confirme Christiane*, une autre témoin.
Un manager autoritaire et toxique
Un malaise qui ruisselle sur les équipes, "pourtant extrêmement dévouées à leur travail et aux missions de service public" nous glisse-t-on, et qui dénoncent aujourd’hui un manque de considération, de dialogue, un management dans lequel le regard critique n’a pas sa place, et définissent Michel Draguet comme quelqu’un de manipulateur, qui n’hésite pas à utiliser l’abus de pouvoir et l’intimidation. "Quand on a l’audace d’aller à l’encontre d’idées qu’il peut formuler, c’est très, très mal reçu. J’ai déjà eu le cas où, ensuite, je me faisais ignorer en réunion, en guise de punition, probablement ", constate Marie tandis que Julien se souvient que "beaucoup de personnes, quand les réunions ont lieu, n’osent pas prendre la parole. Celles qui osent sont parfois tournées en ridicule. Cela crée une tension et un malaise très forts. On ne peut pas remettre en question des ordres qui émanent de lui". Avant de trancher : "Pour moi, c’est un manager autoritaire et toxique qui ne laisse pas de place au dialogue."
"Autocentré, certainement et très autoritaire. C’est quelqu’un qui n’écoute jamais les autres, qui ne laisse jamais la parole à personne. Son leitmotiv, c’est ‘Je t’arrête tout de suite’… Un moment donné, on abandonne", complète un autre qui, pour nuancer, précise "qu’il ne faudrait pas beaucoup à Michel Draguet pour être un bon directeur : un peu plus d’humanité, et être moins centré sur lui-même, donner un peu d’attention à ses collaborateurs parce qu’il faut dire ce qui est, c’est quand même quelqu’un qui a des idées. Mais il ne se préoccupe que d’une chose : les expos temporaires dont il est lui-même commissaire."