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The Haunted Youth: Pour l'amour du freak

Joachim Liebens dévoile le premier album de The Haunted Youth.

© Charlie De Keersmaecker

En immersion au cœur du malaise adolescent, The Haunted Youth sort un album important. Quelque part entre DIIV, Beach House et MGMT, les chansons gravées sur "Dawn of The Freak" suivent les courbes émotionnelles de Joachim Liebens, l’esprit rebelle qui se cache derrière le projet. Depuis Hasselt, l’artiste étire un arc-en-ciel de mélodies multicolores à travers les ténèbres. De quoi éclairer la fin de l’année. Sans toucher à la facture énergétique. Un miracle.

The Haunted Youth vient de publier l’un des albums de l’année. Ce n’est déjà plus un secret. En dix morceaux de bravoure, "Dawn of The Freak" juxtapose tous les ingrédients nécessaires à la mise en œuvre d’une pop millésimée. L’amour, la mort et tout ce qui donne du sens à la vie : les mélodies servies par Joachim Liebens ont clairement des choses à raconter. Attablé avec JAM. dans un bar de la capitale, l’artiste retrace son parcours accidenté sous le couvert d’une veste en cuir raccommodée à l’aide de ruban adhésif. "Je suis né à Hasselt, en 1993, à deux pas du Pukkelpop", indique-t-il. "Alors que tous les ados de mon âge allaient au festival, je devais rester chez moi. Mes parents redoutaient que je sois confronté à l’alcool, à la drogue ou à de mauvaises fréquentations. Comme j’étais du genre sensible et un peu anxieux, ils tenaient à me protéger. Mon premier lien à la musique arrive avec une compilation d’ABBA qui traînait dans notre salon. Je l’écoutais en boucle. Puis, quand Michael Jackson est décédé, ma mère a acheté toute sa discographie. C’était cool d’avoir ça à la maison." Quelques mois après le décès du roi de la pop, Joachim Liebens découvre d’autres musiques via la bande-son de "Tony Hawk's", un jeu vidéo dédié au skateboard. "Je manipulais la manette en écoutant des titres des Red Hot Chili Peppers ou de Motörhead. Ce jeu vidéo m’a permis de comprendre ce que j’aimais dans la musique…"

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Les paradis artificiels

Issu d’un milieu hyper conservateur, Joachim Liebens est amené, un peu malgré lui, à suivre des cours de piano. À neuf ans, il accompagne ainsi son prof particulier dans une église pour une introduction à l’orgue. "Je m’en souviens comme si c’était hier ! Il a interprété une œuvre de Jean-Sébastien Bach. C’était la première fois que je ressentais réellement la toute puissance de la musique. Partant de là, j’ai fait mon chemin, en me tournant vers des choses qui s’écoutent à fond, du punk, du hardcore. Puis, je suis passé au black metal. J’étais obsédé par des groupes comme Darkthrone ou Mayhem. Je me suis procuré une guitare bon marché avec un seul objectif : jouer le plus fort possible. Je voulais disparaître sous la distorsion, m’extirper du quotidien." Éduqué à la dure, solitaire de nature, tourmenté par la vie et les codes en société, le garçon s’évade alors dans des paradis artificiels. "J’étais un ado compliqué", confie Joachim Liebens. "Mes parents m’ont donc prescrit un traitement pour m’apaiser et favoriser ma concentration en classe. Mais ça n’arrangeait rien. Au contraire, j’étais agité, insomniaque et sujet à de graves dépressions. Après cinq ou six ans, on s’est rendu compte que les pilules entraînaient des effets indésirables, comparables aux amphétamines, chez certains patients... Le sevrage s’est imposé. Mais j’étais sacrément déboussolé. Je ne me sentais nulle part à ma place. À l’école, j’avais toujours l’impression d’être menacé. Je me battais avec les autres pour un oui ou un non. Un jour, ma grand-mère m’a conseillé de garder mon poing en poche dès que l’envie de frapper se faisait sentir. Son conseil est à l’origine de "Fist In My Pocket", mon tout premier morceau."

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Arty chaud

En marge de la musique, Joachim Liebens se passionne pour la peinture. "Pendant un temps, j’ai même troqué ma guitare contre des pinceaux. J’adorais ça. Je me suis d’ailleurs dirigé vers différentes écoles d’art. Je peignais en écoutant Bauhaus, Joy Division, My Bloody Valentine, Slowdive ou The Cure. La musique de ces groupes constituait une incroyable source d’inspiration. Les guitares, la distorsion, la réverbération et tous ces sons ultra spacieux résonnaient en moi." Utilisés comme toile de fond sonore pour ses travaux de peinture, ces grands noms de la culture new-wave, post-punk et shoegaze servent à présent de décor à des chansons ancrées dans l’air du temps. "Moi, je me sens proche d’un groupe comme DIIV ou d’un artiste comme Mac DeMarco. Ces gens se sont approprié l’histoire du rock et de la pop, tout en cassant les codes du vedettariat. Ces antihéros m’ont donné l’envie d’y croire. C’est grâce à eux que je me suis lancé dans la musique."

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À la conquête du monde

Déjà mises à l’honneur par le magazine NME en Angleterre, les chansons de The Haunted Youth sont à présent diffusées par des radios américaines comme KCRW ou KEXP. "Je dois parfois me pincer pour y croire. En même temps, c’est un juste retour des choses", relève l’artiste. "Parce que ça fait des années que je regarde les sessions live proposées par KEXP. Je connais par cœur les concerts enregistrés là-bas par des artistes comme Wild Nothing, DIIV, Mac DeMarco ou Craft Spells. À partir du moment où mes points de repère viennent de là, il est logique que ma musique rencontre les attentes de leur audience." En train de percer aux U.S.A, The Haunted Youth connaît également une belle ascension sur le territoire européen. Joachim Liebens est d’ailleurs l’un des prétendants aux prestigieux Music Moves Europe Awards, prix remis aux plus belles promesses musicales du continent européen, fin janvier, dans le cadre du festival Eurosonic. "Je suis le premier surpris par toute cette attention", confie Joachim Liebens. "J’ai longtemps vécu comme un reclus. J’étais le mec le plus seul de la terre. Et là, soudainement, je deviens populaire. Je ne suis pas encore très à l’aise avec ça. Je dois trouver mes marques, accepter que mes chansons, composées dans la solitude d’une chambre d’ado, ont trouvé un public dans le vaste monde."

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Machine à freak

En dix morceaux, infusés d’une mélancolie radieuse et d’une foule de malaises adolescents, "Dawn of The Freak" tient lieu de bande-son idéale pour un épisode imaginaire de la série "Stranger Things". "Le titre de mon album est un clin d’œil à tous les films d’horreurs que j’ai adoré durant mon adolescence", explique Joachim Liebens. "En regardant des films comme "Vendredi 13" ou "Massacre à la tronçonneuse", je ressentais toujours de l’empathie pour le méchant. Parce que j’étais, moi aussi, un détraqué social. Quand on se sent rejeté par la société, la vie est compliquée... L’année dernière, mon voisin a mis fin à ses jours. Sa famille a retrouvé une lettre : il avait toujours eu l’impression d’être une femme, sans jamais parvenir à l’exprimer à ses proches. Sa situation était devenue tellement invivable qu’il a décidé d’en finir... Accepter son identité, c’est une épreuve pour plein de gens. Moi, j’ai toujours eu l’impression d’être le freak de service. Mais aujourd’hui, je sais que je ne suis plus seul. Je dédie mon disque à toutes les personnes qui, un jour ou l’autre, ont éprouvé les mêmes sentiments que moi. Mon histoire n’est pas un cas unique."

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Souviens-toi... l'été dernier

Alors qu’il s’apprête à délivrer un concert à guichet fermé dans la grande salle de l’Ancienne Belgique puis, plus tard en tête d’affiche des Nuits Botanique 2023, Joachim Liebens jette un coup d’œil dans le rétroviseur. "L’été dernier, j’ai eu la chance de me produire à Rock Werchter, au Dour Festival, mais aussi au Pukkelpop et au Best Kept Secret Festival. Avec du recul, j’ai tendance à considérer ma prestation à Dour comme un climax. Pour la première fois de ma vie, je me suis senti au bon endroit, au bon moment, face à un public totalement captif. Je n’ai jamais ressenti un tel échange d’énergie entre la scène et la fosse. Ce concert, c’était un alignement des planètes. J’espère en revivre d’autres comme celui-là." Franchement, on n’attend que ça !

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