Régions Brabant wallon

Thermographie aérienne des toitures : garantir le respect de la vie privée et éviter les dérives

Charleroi, comme Liège et Namur, avait déjà utilisé la thermographie aérienne. A Namur, la technique avait été décriée par l’APD, l’Autorité de Protection des Données. D’aucuns redoutent des infractions au niveau de la vie privée et du RGPD (Règlement gén

© Espace Environnement- archives RTBF Charleroi

En pleine crise énergétique, le recours à la thermographie aérienne est une technique de plus en plus prisée par les autorités publiques pour identifier les déperditions calorifiques des toitures privées et publiques. Les relevés effectués de nuit par un avion équipé d’une caméra infrarouge sont précis. L’outil est d’une efficacité redoutable pour établir une cartographie détaillée des toitures peu ou mal isolées. Il n’est toutefois pas sans failles. Deux logements parfaitement identiques peuvent être chauffés différemment, par exemple. Officiellement, les autorités souhaitent objectiver les besoins d’isolation ou de renforcement d’isolation des bâtiments, pour réduire les pertes énergétiques.

Dès les données thermographiques récoltées et traitées, la volonté est de pouvoir proposer (gratuitement) aux citoyens les informations utiles permettant d’entreprendre des travaux d’isolation. Les communes concernées (Couvin et précédemment Liège, Charleroi et Namur), tout comme la province du Brabant wallon, peuvent aussi profiter de ces relevés pour améliorer la performance énergétique des bâtiments publics. Reste deux questions qui suscitent d’ailleurs de nombreuses craintes chez les citoyens : comment garantir le respect de la vie privée (et le fameux RGPD, Règlement général sur la protection des données) et comment éviter les dérives du type "chasse aux infractions urbanistiques"?

RGPD

C’est l’avion de la société Action Air Environnement, équipé d’une caméra infrarouge, qui scanne les toitures de nuit, à une altitude de 1000 mètres. En Brabant wallon, 6 à 7 nuits devraient être nécessaires pour "scanner" les 1000 km² de la province.
C’est l’avion de la société Action Air Environnement, équipé d’une caméra infrarouge, qui scanne les toitures de nuit, à une altitude de 1000 mètres. En Brabant wallon, 6 à 7 nuits devraient être nécessaires pour "scanner" les 1000 km² de la province. © Action Air Environnement

RGPD : Règlement général sur la protection des données ! L’acronyme est désormais connu. Surtout des citoyens attentifs au respect de la vie privée. Et en matière de thermographie aérienne, la question a tout son sens. Par le passé, plusieurs autorités publiques se sont voulues rassurantes en garantissant la confidentialité et le respect des données privées. Les clichés, leur traitement et la cartographie des habitations et autres bâtiments servent uniquement et exclusivement à des fins d’amélioration de l’isolation des toitures, assurait-on dans les villes ayant déjà eu recours à cette méthode. "Pourtant, à Namur, en 2018, l’Autorité de Protection des Données (APD) avait émis un avis négatif en matière de respect des données privées", rappelle Jean-Marc Van Gyseghem, Directeur de recherche au Centre de Recherches Information, Droit et Société, à l’Université de Namur. "Mais il faut savoir que les autorités publiques sont immunisées contre les sanctions de l’APD (amendes). L’APD peut toutefois ordonner la suspension du traitement des données. Elle peut figer le système, le temps que tout soit régularisé".

Pour Jean-Marc Van Gyseghem, le cadre juridique général lors d’une thermographie, c’est d’abord le respect du RGPD. "Mais en amont déjà, l’autorité commanditaire de la thermographie doit avoir une réflexion et un cadre précis pour définir clairement les moyens, les objectifs et le type de données à traiter. Cette autorité doit dès le départ pouvoir garantir le respect du RGPD. C’est un peu comme au restaurant ! Il faut connaître le menu avant qu’on apporte les plats". Il faut donc savoir ce qui nous attend, au risque d’ignorer à quelle sauce on risque d’être mangé. "Le citoyen peut alors adhérer à la méthode utilisée, la rejeter, voire porter plainte. L’idéal, à terme, serait de légiférer par rapport à l’utilisation de la thermographie aérienne. Mais légiférer prend du temps".

Eviter les dérives potentielles

Jean-Marc Van Gyseghem est Directeur de recherche au Centre de Recherches Information, Droit et Société (www.crids.eu) au sein de l’Université de Namur. Il y a été Directeur de l’Unité "Libertés et société de l’information" de 2008 à 2016.
Jean-Marc Van Gyseghem est Directeur de recherche au Centre de Recherches Information, Droit et Société (www.crids.eu) au sein de l’Université de Namur. Il y a été Directeur de l’Unité "Libertés et société de l’information" de 2008 à 2016. © RTBF jch

Très concrètement, le risque potentiel de dérive existe ! Certes, il est minime. Mais l’utilisation de la thermographie aérienne à des fins inavouables ne serait pas sans conséquences ! "Il est facile d’identifier les habitudes de vie", explique le Professeur Jean-Marc Van Gyseghem. "Voir une déperdition de chaleur (couleur rouge sur le cliché) dans une maison à un moment donné, puis ne plus l’apercevoir (couleur bleue) à un autre moment, cela peut donner des indications sur l’occupation (ou non) du bien. Avec les déperditions de chaleur, on pourrait aussi repérer le propriétaire dont le bien est sensé être inoccupé et non loué. Les services de l’urbanisme pourraient par exemple, comme cela se fait déjà avec les images satellite, repérer les constructions non déclarées". Qui plus est, potentiellement, "le croisement des différentes données utilisées avec les nouvelles technologies pourrait permettre de retracer les déplacements de travailleurs venus construire une annexe illégale et de retrouver les fraudeurs", commente un collègue du Professeur.

Selon Jean-Marc Van Gyseghem, une autre dérive potentielle serait d’être tenté "de taxer les citoyens dont la toiture est mal isolée. Ou d’éviter la réduction d’impôts pour les biens mal isolés. Un autre danger, c’est que les données finissent entre les mains de sociétés de travaux d’isolation. Celles-ci pourraient cibler les clients en leur envoyant des publicités".

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