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Thierry Michel ("L'Empire du silence") sur la situation en RDC : "Nous sommes devant une grande tragédie shakespearienne"

L'invité de Matin Première: le réalisateur Thierry Michel

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Par Kevin Dero sur base d'une interview de Danielle Welter via

Ce matin, nous nous plongeons dans l’histoire contemporaine avec l’équipe de Matin Première. Danielle Welter et Pascal Claude interviewaient le réalisateur Thierry Michel. Notre compatriote présente son dernier documentaire, " L’empire du silence ". Une plongée dans l’histoire récente du Congo, " un pays qui plonge dans la tragédie depuis 25 ans ". Thierry Michel a voulu dans ce film expliquer les tenants et aboutissants de ce drame que se joue depuis tout ce temps juste là, sous nos yeux. Le cinéaste y dénonce les violations des droits humains et le silence assourdissant de la Communauté internationale.

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi cette impunité ? Pourquoi l’histoire se répète-t-elle sans fin ? Quelles leçons en tirer ?

« Une claque »

Le cinéaste, dont c’est le treizième film sur le Congo, après notamment " Mobutu Roi du Zaïre ", " Congo River " ou le précédant " l’homme qui répare les femmes ", signe avec " L’empire du silence " ce qu’il dit être son dernier film à propos de ce pays qu’il aime tant. L’œuvre fera l’objet d’une soirée spéciale ce mercredi soir sur la Une. " Je me suis dit qu’il fallait recomposer ce puzzle. Et s’immerger dans ce pays profondément beau ". Des paysages " invraisemblables " pour " un petit paradis sur terre " englué dans des conflits et une horreur sans fin. Une œuvre forte, puissante.

Une œuvre et une histoire truffées aussi " d’hypocrisies, de faux-semblants "

Mortelles richesses

Thierry Michel compare la situation à une " grande tragédie shakespearienne ", où " on est face à des grands dirigeants aux destins invraisemblables "Du " règne " de Mobutu et de sa fin tragique, à celui de Joseph Kabila, qui a duré 18 ans (" en massacrant son peuple ") en passant par le destin – tragique, lui aussi – de son père Laurent-Désiré, tué par un garde du corps, le documentaire tente de dresser un constat. Et de dénoncer un quart de siècle de crimes perpétrés " en toute impunité ".

Une absence d’état de droit qui prévaut dans ce pays, au sous-sol fabuleux. " Un des pays les plus riches d’Afrique, même du monde " souligne le Belge. Et un chaos dû principalement aux luttes pour le pouvoir, pour les richesses – en grande partie minières – mais aussi trouvant sa source dans le génocide rwandais. Un génocide qui a fait " affluer plus d’un million de réfugiés " au Congo. " À partir de là, l’histoire a basculé au Congo, quand le Rwanda a voulu régler ses comptes avec les anciens génocidaires (réfugiés en RDC). C’est alors le début de la première guerre " explique Thierry Michel. La deuxième guerre sera-t-elle en rapport " avec la volonté de prédation systématique " des richesses et " l’occupation des carrés miniers ".

« La parole s’est libérée »

La genèse du film débute par une idée soufflée par le docteur Mukwegé, Prix Nobel de la paix, dont le travail avait été filmé par Thierry Michel pour " l’homme qui répare les femmes ". " Après avoir fait un film sur les victimes (à savoir les viols comme arme de guerre) et défendre la cause des femmes à travers le monde, on a voulu faite un film sur les bourreaux et les causes de ces crimes" explique Thierry Michel.

Le tournage de ce long-métrage s’est avéré, lui, moins fastidieux que les précédents (quoique non exempt de difficultés malgré tout…). Il faut dire que sous Mobutu ou Kabila, le réalisateur était passé par les cases expulsions et justice… Thierry Michel a depuis les dernières élections au Congo, " eu plus de liberté que par le passé ". Les victimes, elles, se sont davantage confiées, citant même les noms de leurs bourreaux – "une première", selon le cinéaste —. Un courage souligné par ce dernier, car beaucoup des gens ayant commis des exactions sont encore au pouvoir (militaire, sécuritaire ou encore politique).

Ouvrir les yeux

Le film est selon son auteur, réalisé pour qu’aussi, que plus personne (en RDC comme dans la communauté internationale) ne puisse plus dire " je ne savais pas ". Eviter un négationnisme, le révisionnisme. " C’était la mission première. On savait des bribes. Avec le film, je pense qu’on sait l’enchaînement des choses et qu’on a une vision historique assez claire – j’ai voulu faire un film un peu pédagogique -. Donc, la responsabilité est là. On doit l’assumer. Si on est silencieux, qu’on ne prend aucune décision, on est un peu complice ".

Thierry Michel est allé présenter son film en RDC. Pas seulement dans la capitale, mais aussi dans d’autres régions, comme le centre et l’Est. Parfois auprès de populations directement concernées par les massacres. Des milliers de spectateurs. " Des jeunes, à 95% " selon Thierry Michel. Mus et émus par " la découverte de l’histoire ". Des images et un récit qui suscitent auprès des spectateurs issus de ces zones de conflits un sentiment d’émotion très forte et de révolte. Les " jeunes disent ' plus jamais ça ! '. Il faut qu’on y mette fin. On ne peut supporter que notre pays sombre dans une telle ignominie "

Si on est silencieux, qu’on ne prend aucune décision, on est un peu complice

Reportage JT du 8 décembre 2020 :

RDC : manœuvre politique de Félix Tshisekedi

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Face à l’Ukraine, deux poids deux mesures

Plus largement, Thierry Michel constate, dans le concert entre pays, un décalage flagrant entre ce qui se passe au Congo et en Ukraine. En Ukraine on est déjà dans les enquêtes ; on a déjà ciblé les criminels, commencé des procédures judiciaires, pris des sanctions. Au Congo, après 25 ans, rien de tout ça. C’est la loi de la confidentialité. Les Nations Unies ont une liste des présumés criminels de crimes de guerre, de crimes contre l’Humanité les plus atroces. Mais elle est secrète. C’est invraisemblable. C’est comme si on disait, 25 ans après la guerre 40-45, qu’il y a le secret sur les criminels nazis (alors qu’il y avait eu des procès comme celui de Nuremberg). Ici, rien de tout cela. Pas de procès internationaux ". Et ce, " alors qu’on sait que ce conflit est un conflit international " explique Thierry Michel. Plusieurs pays limitrophes sont ainsi venus occuper une partie du territoire congolais, " mais aussi se faire la guerre ". Le cinéaste explique ainsi que le Rwanda et l’Ouganda se sont déchirés pour prendre des mines de diamants de la région de Kisangani. " Des milliers de civils sont morts. Six mille bombes sont tombées ".

C’est la loi de la confidentialité

Depuis quelques mois maintenant, les violences reprennent dans l’Est. Ce qui ne surprend pas Thierry Michel. " Puisqu’évidemment, personne ne réagit ". " Tout le monde sait, c’est certifié que des troupes rwandaises occupent une partie de l’est du Congo sous couvert d’une rébellion, appelée le M-23. Et on attend des diplomaties, et notamment de la diplomatie belge, une position claire et nette de dénonciation de cette occupation. Comme on le fait pour l’Ukraine ".

Une situation pacifiée que le réalisateur appelle de ses vœux. " Il faut d’abord que les Congolais prennent conscience des enjeux qui sont ceux de leur pays, pourquoi il y a ces guerres et ces massacres. Et aussi qu’il y a des amis et des " vrais " amis… "

Le film " L’Empire du silence " est à retrouver ce soir à partir de 20h25… sur la Une.

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