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Thylacine, là où il faut

© Cécile Chabert

En marge de son concert dans le chapiteau des Nuits Botanique ce dimanche 1er mai, on a rencontré William Rezé, plus connu sous son alias Thylacine. Issu d’une formation classique en saxophone, le français a longtemps attendu avant de se plonger dans la musique électronique. Il sort son premier EP en 2013 et passe à l’album deux ans plus tard avec Transsiberian, composé à bord du train mythique. Adepte de la composition in situ comme son comparse Molécule, il utilise la musique électronique comme outil pour décrire et raconter ses émotions. Dernièrement, il a sorti Timeless, un album où il revisite des grandes œuvres de musique classiques, ainsi que Polar, un single enregistré dans un bateau au large des côtes norvégiennes. Rencontre avec le talentueux producteur.

Bonjour William ! On est super heureux de t’avoir en interview pour Jam. Tout d’abord, d’où vient ce nom Thylacine ?
Bizarrement, avant d’être aux Beaux-Arts, j’ai fait des études de biologie. Le thylacine est un animal disparu aujourd’hui. Il vivait en Tasmanie et un peu en Australie et il a été chassé par l’homme. J’aimais beaucoup le mot et ça me plaisait de le faire perdurer un peu plus longtemps, vu qu’il n’y a plus grand-chose à faire pour l’animal.

Quel est ton procédé de composition ?

Je me suis rendu compte que ça marchait bien quand je voyageais. Quand je restais chez moi, je n’avais pas grand-chose à raconter et ce n’était pas hyper intéressant musicalement. Je privilégie beaucoup le train pour la tournée, c’est un bon lieu de travail. Mon premier album, je l’ai réalisé dans le Transsibérien. Je me suis mis dedans en me disant que j’allais voir ce qui allait se passer et j’ai réussi à composer tout l’album pendant le trajet. J’aime beaucoup rencontrer des gens, enregistrer des sons, des instruments, des musiciens que je peux rencontrer. Mélanger plein d’influences, de cultures, se faire rencontrer les gens… J’ai une façon de composer qui va à la rencontre de différentes choses.

C’est donc de la production in situ à la manière de Molécule ?

Oui, c’est ça. En France, on est les deux plus connus à faire ce genre de choses. Ça reste un procédé subjectif. On pourrait envoyer trente personnes au même endroit et il y aurait autant de résultats différents. C’est ce qui est intéressant, de montrer son inspiration d’un lieu, d’un événement ou d’une rencontre.

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Dans ces environnements sonores, quelles sont les ambiances que tu affectionnes le plus ?

En général, ce sont celles que je ne connais pas encore et qui vont me surprendre. L’ambiance que je connais déjà va être moins inspirante.

Tu as réalisé ton premier album dans le Transsibérien, deux autres dans un van vintage aménagé en Argentine ou encore un single dans le train de nuit Paris-Nice pour le ministère de la transition écologique. Est-ce qu’il y a chez toi une sorte de fascination des transports ?

Un petit peu. Le train, c’est vraiment une fascination. On a une vraie conscience de son environnement et du paysage qu’on traverse. En même temps, on est dans un confort assez efficace pour travailler. Le fait d’avancer, cette sensation de mouvement, je trouve que c’est quelque chose d’assez fort. Je me suis construit un peu comme ça du point de vue de mes compositions, j’ai besoin d’avancer et de découvrir des choses. Cet hiver, on m’a invité sur un bateau en Norvège, c’était encore une autre façon de composer. C’est intéressant d’aller provoquer les différences, d’aller voir ce qui se passe sur place, en changeant un peu les conditions.

Comment s’est déroulée la composition de ce dernier morceau, Polar, au large de la Norvège ?

C’est une équipe de Français qui ont réhabilité un ancien bateau météo et qui aujourd’hui voyagent dans le nord de la Norvège. J’étais en contact avec eux depuis un an, ils connaissaient mon travail et avaient envie de m’inviter à bord. J’ai passé deux semaines dans une petite cabine, en pleine nuit polaire donc le jour durait quatre heures et le soleil ne traversait pas. Ce sont des conditions assez particulières, très minimalistes. Ça me laissait énormément de temps pour composer. En gros, pendant quatre heures, on sortait chercher des sons. J’ai pas mal bossé avec des hydrophones pour enregistrer des mammifères marins, on prenait des images… Et puis le reste du temps je pouvais directement composer. C’était une sorte de résidence de travail sur la mer, c’était assez chouette.

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C’est également une manière de découvrir le monde, réaliser de nouvelles expériences ?

Tu apprends beaucoup de l’environnement car ce sont quand même des conditions extrêmes, même si nous sur le bateau on était dans des conditions plutôt bonnes. Mais c’est particulier, avec le bateau il y a des fois où si ça bouge trop c’est difficile de composer. Mais ça permet de découvrir plein de choses, de se confronter à des nouvelles expériences. Il y a des sons que j’arrive à enregistrer et à mettre dans mes morceaux, mais il y a aussi toute une inspiration qui est dure à expliquer mais qui est juste du ressenti par rapport à l’inspiration et par rapport à ce que l’on vit.

On te retrouve aussi à la réalisation de certains de tes clips, souvent avec Cécile Chabert. Mettre des images sur tes morceaux, c’est un exercice qui te parle beaucoup ?

Avec le processus de composition que j’ai, ça a toujours été extrêmement important voire nécessaire de rajouter des images pour comprendre un peu le processus, l’environnement, les conditions de composition. Sur Transsiberian, j’avais une équipe de France Tv qui était venue avec pour faire une sorte de petit documentaire. Ce qui m’intéresse c’est de pouvoir montrer les visages que j’ai pu rencontrer, partager ces moments pour que quand on écoute ces morceaux, on ait une profondeur de lecture.

La musique de Thylacine est donc indissociable des images qui l’accompagnent ?

Oui. Surtout sur tous ces projets. Il y a eu des projets sans images, comme l’album que j’ai réalisé pendant le confinement qui s’appelle Timeless, où j’ai travaillé sur des anciens titres de musique classique. L’image n’était pas présente et on l’a volontairement mise un peu de côté. Mais sur tous les autres projets, je ne pourrais pas ne pas avoir un côté un peu documentaire et partager l’esthétique et l’environnement qui m’entourent dans ces moments-là.

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Pour continuer à parler du côté vidéo, tu as dernièrement composé la bande originale de la série O.V.N.I. (S), est-ce que tu composes de la même manière que pour ta musique personnelle ?

Sur ce projet, oui. Quand Anthony Cordier (NDLR : le réalisateur) est venu me voir pour me proposer cette série, je lui ai présenté un projet d’aller travailler dans un musée à Fribourg, le SMEM, qui est une sorte de collection énorme de synthés et de boîtes à rythmes. C’est un millionnaire un peu fou qui avait tout collectionné pendant sa vie et qui a tout légué à une association de jeunes qui font vivre cette collection. La série se passe fin des années 70, ce n’est pas une époque que j’ai connue ou que je connais bien musicalement, je n’avais pas envie de faire une sorte de pastiche de cette musique-là. Je lui ai donc soumis l’idée de faire ma musique mais avec le matériel de cette époque. J’ai vécu la chose un peu de la même manière que mes projets, à me confronter à une nouvelle matière sonore, une nouvelle façon de composer et ça n’a été que du fun, je me suis vraiment amusé. Ça a été le projet de musique à l’image le plus fluide et le plus efficace, notamment grâce à cela.

Et vivre la chose de cette manière-là, ça accentue le côté découverte. Tu devais te sentir comme un enfant dans un magasin de jouets, non ?

C’est ça. Je ne ramenais pas les machines chez moi, en général je restais là quatre ou cinq jours, je travaillais jusque trois heures du matin dedans et je rentrais à l’hôtel qui était juste à côté. Ça faisait une sorte d’expérience, ce qui fait que j’ai pu être efficace sur ce genre de projet, là où pour d’autres formes de mise à l’image je peux bloquer.

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Ton dernier album, Timeless, c’était un hommage à ta formation classique ?

Oui, un peu. Ça tombait à un moment où je reprenais goût à écouter de la musique classique. Avant, j’avais toujours vécu le classique comme une contrainte, je n’ai jamais eu de passion pour cette musique quand j’étais jeune. Là, en tant que compositeur, je réussissais enfin à prendre du plaisir avec. Et puis c’est un projet qui est parti à la base d’un label de musique classique chez Sony qui m’a mis au défi de retravailler une gnossienne de Satie. Je me suis beaucoup amusé, j’ai utilisé un baglama, instrument turc dont je joue de temps en temps. J’ai emmené le morceau dans une ambiance complètement différente. L’idée n’était pas de rejouer un truc au synthé mais vraiment de jouer, d’avoir une liberté totale dessus et de voir ce qui se passe à chaque rencontre. Ensuite, est arrivé le confinement. J’ai eu beaucoup de temps pour me plonger dans le projet. En plus, j’étais bloqué de manière géographique, je ne pouvais plus voyager, ça me permettait de voyager dans le temps, de me plonger dans différentes époques et faire des rencontres avec des compositeurs. C’était un projet que je n’avais pas imaginé tout seul car je ne me le serais pas forcément permis, mais là le fait qu’un label me mette au défi, ça a un peu justifié la démarche.

 

Thylacine sera ce dimanche 1er mai aux Nuits Botanique. Plus d’informations ici.

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