On se souvient de lui arpentant le flanc droit de l’AEC Mons et servant les caviars à Jérémie Perbet. Ex-scout d’Anderlecht, aujourd’hui responsable des transferts à Malines, il évoque Loïc Lapoussin, les datas, Vincent Mannaert, l’œil du scout, Fabio Silva, l’influence des agents, le Vlaams Belang, les victoires aux pénos et Lionel Messi. Mais aussi les guerriers du foot, Tom De Mul, l’Europe avec Zulte Waregem, le Football-Gate, son transfert raté à Villareal, Steven Defour, la pré-sélection d’Aimé Anthuenis, Sebastiano Esposito et les mises au vert. Et bien sûr… Remco Evenepoel et John Degenkolb. Tim Matthys (Directeur Sportif Malines) passe " Sur Le Gril ".
Le stade AFAS est désert, les locaux sonnent creux, les joueurs sont en congé. Juste à côté des ex-Casernes, depuis longtemps rasées, le cimetière de Malines accueille quelques parents, fleurs aux bras. La veille, le Kavé a envoyé Anderlecht en vacances, à la faveur d’une victoire indispensable avant sa finale de Coupe, programmée ce dimanche contre l’Antwerp.
" J’avoue que je suis soulagé, car les résultats des dernières semaines étaient inquiétants… " commence Tim Matthys, installé dans le Skybox n°18 du stade. " J’ai fait deux interviews dans la presse flamande, il y a quinze jours, pour réveiller tout le monde : il était impensable qu’on aborde cette finale dans une dynamique aussi négative (NDLA : après sa qualification pour le Heysel, le Kavé a enchaîné 5 défaites de rang, avant de se reprendre contre Gand et au Lotto Park). Juste après notre demi-finale contre Zulte Waregem, on avait perdu 5-0 à l’Antwerp ! Psychologiquement, ce n’est pas bon... Les joueurs, soucieux de ne pas se blesser, retiraient le pied… mais à ce rythme-là, on allait à la cata. Il fallait faire le click (sic) et sortir des matches de référence : on l’a fait contre Gand et Anderlecht. Ici à Malines, on a l’ADN de la Coupe et on a toujours recruté des joueurs aux profils de guerriers : on a gagné en 2019 alors qu’on jouait en D2, je faisais partie de l’équipe. Et cette saison, tous les supporters étaient présents dès notre 1er tour, contre Seraing ! Dimanche, les Anversois seront les grands favoris : sportivement et financièrement, ils sont bien plus puissants que nous. Ils vont jouer les PO1 et disposent d’un noyau complet et expérimenté. Mais sur un match, tout peut arriver ! "
" J’ai encore chez moi le trophée de Dragon de la saison à Mons ! "
Tim Matthys a un passé en Wallonie : l’ex-ailier de Zulte Waregem, du Lierse et de Malines a joué quatre saisons au Stade Tondreau, du temps de l’AEC Mons de Dominique Leone…
" Je suis toujours le club de près : je peux même vous dire que l’Albert vient de gagner le titre et va monter en 2e Nationale ! J’ai toujours des amis là-bas, ça me fait plaisir car cette région mérite un club de haut niveau. A l’époque, on n’avait pas l’équipe la plus talentueuse, mais on était tous des travailleurs : mon profil, quoi ! (clin d’œil) J’avais aussi un bon contact avec les fans : ils m’ont d’ailleurs élu une fois Dragon de la saison et j’ai toujours le trophée chez moi ! "
" À Anderlecht, on était limité par le budget-transferts… "
Revenu à Malines fin 2022 comme responsable du recrutement, Tim Matthys restait sur une expérience mitigée de douze mois à Anderlecht, en tant que scout.
" J’ai amené des joueurs comme Sebastiano Esposito, Fabio Silva et Ishak Abdulrazak, qui avait des profils très intéressants… mais nous étions limités par nos enveloppes budgétaires. Abdulrazak a coûté 3 millions, c’était un bon dossier… mais dans un transfert, il y a toujours un risque : parfois tu gagnes, parfois tu perds (sic). Esposito n’était pas non plus un premier choix, mais il avait des qualités et il s’est mis beaucoup de pression pour réussir… J’ai finalement décidé de quitter Anderlecht car j’avais l’impression de ne pas peser dans le processus de décision. Ici à Malines, c’est le cas… J’ai besoin de me sentir responsable… même si je sais aussi que si la saison prochaine foire, ce sera ma faute car je serai accusé de mauvais transferts ! (clin d’œil) Mais Anderlecht reste une très bonne expérience : j’y ai connu des gens passionnés et travailleurs. Ce qui manque aujourd’hui au Sporting, c’est de la stabilité, du calme et des moyens financiers… et cela prendra sans doute encore 2 ou 3 mercatos. (sic) Mais parfois, les choses vont vite : regardez Genk, qui a raté les Play-Offs l’an passé… et qui joue le titre aujourd’hui ! Il suffit parfois de quelques bons transferts. "
" Je bossais à mi-temps chez ma tante… "
Autre gros ratage de la phase classique : la relégation de Zulte Waregem, le club… où le jeune Tim Matthys s’était révélé fin des années 2000.
" J’ai connu les premières années du club en D1 : on était montés de D2 et on avait directement gagné la Coupe de Belgique ! (NDLA : 2-1 face à Mouscron… et Tim Matthys avait gratté 1 but en 1 assist) On avait enchaîné par un incroyable parcours en Coupe UEFA, avec des matches contre l’Espanol Barcelone, le Lokomotiv Moscou, Ajax et Newcastle. À un moment, j’étais même meilleur buteur de la compétition avec 5 goals. Avec un tel total, j’aurais aujourd’hui un transfert direct ! A l’époque, j’ai eu des offres de Villareal et de Brescia mais j’avais 21 ans et je me suis dit que j’aurais encore d’autres offres… Mais ce ne fut pas le cas. (Il grimace) On formait un groupe incroyable : on était tous semi-pros, on s’entraînait le soir… et pour ne pas tourner en rond, je travaillais à mi-temps dans le magasin de sport de ma tante. "
" On mise sur des joueurs qui vont exploser… "
A 39 ans aujourd’hui, Tim Matthys remplit depuis 4 ans des fonctions de recrutement (2 ans à La Gantoise également).
" J’ai passé tous mes diplômes d’entraîneur mais la proposition de Malines était un peu tombée du ciel. Pour attirer mon œil de scout, un joueur doit avoir un point fort exceptionnel, comme son tir ou son jeu de tête. S’il a tout, c’est Lionel Messi… et c’est trop cher pour nous ! (sourire) Donc on travaille avec des plates-formes comme Wyscout ou Undersat, on se base sur les datas et des rapport vidéo de mes 6 scouts. Une fois qu’on a fait notre tri, on va toujours screener le joueur en live, en situation de match. Vu nos moyens financiers limités, on est obligé des faire des paris sur des joueurs en tablant sur le fait qu’ils exploseront un an plus tard et qu’on pourra bien les revendre. On va voir en D1B, en Ligue 2 française ou en 2e Bundesliga: la D1, c'est trop cher... Je me renseigne aussi sur la vie de ces joueurs, leur vie familiale, j’interroge des équipiers et je scrute leur activité sur les réseaux sociaux. Et oui, il est déjà arrivé qu’on ne signe pas des joueurs dont le profil sportif était parfait… mais dont le comportement laissait présager des soucis. (Il grimace) L’influence des agents est aussi en baisse sur les clubs, et c’est une bonne chose. Moi, je travaille avec tous les agents, car c’est le joueur qui m’intéresse… et au final, je ne me laisse pas influencer. Le plus important, c’est d’avoir un bon squad planning (NDLA : un profil de noyau), défini avec le coach et la direction... puis de ne pas s’en écarter. Si tu cherches un avant-centre et qu’un agent te propose un ailier, même très bon, il ne faut pas le prendre. Sinon, tu t’égares et tu n’as plus de budget pour tes vraies cibles ! "
" Le Football-Gate nous a fait beaucoup de mal… "
Fin 2018 éclatait le Football-Gate : le FC Malines y trempa jusqu’au cou, par la faute de dirigeants qui avaient tenté de manipuler des matches. Il y a quelques mois, le club a effectué sa mue avec l’apport de nouveaux capitaux.
" Le Football-Gate nous a coûté beaucoup en termes d’image, mais il était le fait de quelques personnes isolées. Le club, les supporters et les joueurs étaient des victimes. Aujourd’hui, on a de nouveaux dirigeants très soucieux de ne pas refaire les mêmes erreurs : les fonds sont belges et le projet est de stabiliser le club dans le top 10… avec de temps en temps, une participation aux Play-Offs 1. On connaît notre place, on ne va jamais jouer le titre… même si forcément, l’exemple de l’Union Saint-Gilloise, que nous avions dominée en D2, nous inspire ! Après, c’est sûr que si on gagne la Coupe, une participation aux poules de la Conference League nous ouvrira des perspectives financières… "
LES PETITS PAPIERS
Le moment venu des petits papiers : parmi une quinzaine de papiers-mystères, il en choisit 5 au hasard. Et commente.
PAPIER 1 : VLAAMS BELANG (le parti séparatiste flamand, 1er parti de Flandre dans les sondages...) " Ca, je n’aime pas… En politique, je suis un peu suisse (sic) : je constate que, quel que soit mon vote, le Parti X va s’allier avec le Parti Y ou Z et ma voix va être totalement diluée… Donc, j’ai l’impression que tu votes… mais que ça ne sert à rien. (Silence) Pourtant, je suis très attaché à la Belgique : j’ai joué en Flandre et en Wallonie, et je m’y suis toujours bien plu. En U21, j’ai même porté les couleurs des Diablotins : le coach Jean-François de Sart m’avait repris quand je jouais à Gand et j’ai côtoyé des joueurs comme Nicolas Lombaerts, Thomas Vermaelen, Tom De Mul et Maarten Martens. Après, Aimé Anthuenis m’a même présélectionné pour les Diables Rouges… mais il n’y a pas eu de suite. Là, j’ai peut-être raté quelque chose… " (clin d’œil)
" L’Union Saint-Gilloise ? On verra si ça va durer longtemps… "
PAPIER 2 : STEVEN DEFOUR. " Steven se débrouille très bien comme coach chez nous. Pourtant, ce n’est pas facile de devenir le chef d’un groupe quand on en a fait partie comme joueur et qu’on y a des amis… (Pause) Il a évidemment une grande carrière et il en tire profit… mais il prend aussi des conseils et veut apprendre. Et ça, c’est important car si comme jeune coach, tu prétends déjà tout savoir, tu commences déjà à décliner (sic). Régulièrement, Steven m’appelle pour me consulter : ‘A ton avis, je mets tel ou tel joueur ?’ Alors que moi, j’ai une toute petite carrière (clin d’œil). Au début, il réagissait de manière très émotionnelle mais progressivement, il étoffe son approche tactique. Il étudie soigneusement l’adversaire et se demande : ‘Comment je vais prendre le contrôle sur telle situation ?’ Le fait qu’il commence comme coach dans le club de son cœur est aussi un avantage : il ne va pas se faire siffler par le public au premier revers… et la direction sera plus patiente avec lui (clin d’œil). "
PAPIER 3 : UNION SAINT-GILLOISE. " Je n'ai qu'un mot : chapeau ! Déjà en D2, on sentait déjà un potentiel immense : ils avaient un public chaud et le groupe joueurs avait de grosses qualités. Ce sont des guerriers, ils jouent avec leur cœur (sic)… mais ils ont aussi des individualités exceptionnelles comme Teddy Teuma et Loïc Lapoussin ! Ils ont fait une première saison superbe en D1A, tout le monde pensait qu’ils n’allaient pas confirmer… et là, ils font encore mieux ! Maintenant, on va voir si ça va durer longtemps… mais j'ai un énorme respect pour ce club ! C’est la preuve aussi que les équipes venues de D2 sont de qualité : vous verrez, le montant l’année prochaine, que ce soit le RWDM ou Beveren, ne jouera pas pour le maintien ! Qui va être champion ? C’est très dur à dire…Je le souhaite à Wouter Vrancken car je l’ai eu comme coach à Malines et que son travail mérite cela. Mais j’ai l’impression que ça va se jouer entre l’Antwerp et l’Union… (sic) Ce sont trois clubs avec des visions différentes, mais il faut avouer que tout le monde aime bien l’Union (sic). Et avec leur vécu et leur expérience des deux dernières saisons, ils ont de grandes chances… "
" Kompany coach de Manchester City, c’est juste une question de temps… "
PAPIER 4 : VINCENT KOMPANY (NDLA : scout au Lotto Park de l’automne 2021 à l’automne 2022, Tim Matthys y a vécu la dernière saison de Vincent Kompany.) " Vincent est un grand monsieur... et il est toujours à l’écoute de chacun. J’étais souvent en réunion avec lui… et lui, avec sa grande carrière, il me demandait mon avis : j’hallucinais ! Comme joueur, je j'ai joué qu'une fois contre lui: c’était mon 2e match professionnel, je me souviens l’avoir éliminé une fois… Non, ce n’était pas un petit pont : je n’aurais pas osé ! (rire) Aujourd’hui, on reste en contact : c’est lui qui a permis le prêt à Malines d’Enock Agyei, que Burnley venait d’acquérir. Vincent était clairement l’homme idéal pour Anderlecht... mais bon, il est parti. (silence) Kompany est un grand entraîneur : à 100%, je suis sûr qu’il finira coach de Manchester City. La question est juste de savoir quand… "
PAPIER 5 : VINCENT MANNAERT (NDLA : le Directeur Général du Club Bruges, qui a reconnu récemment ses soucis d’alcool). " J’ai bien connu Vincent quand je jouais à Zulte Waregem, dont il était le manager général. Cela ne s’est pas toujours bien passé entre nous… mais c’est normal, c’est le business (clin d’œil). Sur ses soucis d’alcool, je ne peux que confirmer que le monde du foot t’impose une énorme pression. Du coup, chacun cherche à compenser : certains c’est le sport, d’autres ce sont les restos… Moi, je dois dire que je n’ai plus le temps de faire du sport et j’ai pris 15 kg ! (Il grimace) Mais cette pression est normale : les clubs de foot sont des entreprises et quand vous basculez en D2, vous devez licencier des gens… Mon travail, c’est 70% de plaisir et 30% de pression. Je passe 3 heures par jour dans l'auto pour venir ici (NDLA : il habite toujours la région de Waregem) et sans le plaisir, je ne le ferais pas… "
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Tim Matthys jouera à Mons" On va en mini-bus supporter John Degenkolb au Tour des Flandres… "
Il replie ses petits papiers. Puis on le confronte à celui consacré à… Remco Evenepoel. Car Tim Matthys est un mordu de vélo. Et la veille, avant le coup d’envoi d’Anderlecht-Malines, il n’a pas lâché l’œil de la course.
" Quelle spectacle ! On ne mesure pas notre chance d’avoir des jeunes talents comme Remco, Wout Van Aert, Tadej Pogacar et Mathieu van der Poel ! Ils attaquent tout le temps, même à 50 km de l’arrivée, alors qu’avant, les courses étaient verrouillées… Le sport est redevenu offensif, on ose… et on a un peu la même évolution en foot avec des coaches comme Pep Guardiola et Jürgen Klopp : du pressing, du contrepressing et des espaces qui se libèrent. Moi, j’ai toujours adoré le vélo : dès le dernier entraînement de la saison de foot, je montais sur ma bicyclette et je roulais tout l’été. J’avais une bonne condition, je suivais sans problème des coureurs amateurs. J’habite la région du Tour des Flandres : je connais tous les petits chemins et avec des potes, j’ai même fait le Ronde des cyclotouristes. 260 km à du 26 de moyenne : tranquille… "
Une passion pour la petite reine qui a même mené Tim Matthys… à fonder un fan-club du baroudeur allemand John Degenkolb (vainqueur de Paris-Roubaix 2015 et encore 7e de l’Enfer il y a 3 semaines !)
" Chaque année, on va voir le Ronde en minibus à 8 ou 9 potes et on fait des pronostics. Un jour, l’un de nous a misé sur un certain ‘Degenkolb’. On a tous dit : ‘Qui ?’ Et notre pote nous a expliqué que c’était un jeune Allemand qui promettait… Quand il est passé devant nous durant la course, on a tous crié ‘John ! John ! John ! John !’ et il nous a regardé, tout surpris de voir que des Flamands le connaissaient… On a pris contact avec lui et depuis, on se voit chaque fois qu’il vient en Flandre. On se prend un café ou on va manger un bout. C’est agréable. "
" Mon pronostic ? On gagne aux penalties ! "
Place au choc de dimanche : après une saison anonyme, Malines joue son match de l’année contre l’Antwerp. En jeu : la Coupe de Belgique.
" Il faut être réaliste : quand tu ne joues pas dans un grand club belge, tes chances de gagner un trophée sont très, très rares. Donc il faut vraiment savourer ce moment et jouer à fond pour ne pas avoir de regrets. J’ai gagné deux Coupes, avec Zulte et avec Malines, ce sont des souvenirs inoubliables (sic). J’irai même en mise au vert avec l’équipe la veille… car si je reste chez moi, je serai insupportable pour ma femme et mes enfants (clin d’œil). Mon pronostic ? 0-0 et on gagne aux penalties ! J’aime bien les tirs au but : c’est là que les grands joueurs se révèlent, il faut être focus et tenir ses nerfs. Moi, dans ma carrière, je n’ai raté que deux pénos : contre Simon Mignolet et contre Logan Bailly ! "