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Timisoara : symbole de la désinformation journalistique

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Par Pierre Marlet

20 décembre 1989. Il y a aujourd’hui 32 ans, une ville de Roumanie va entrer dans l’histoire : Timisoara. Elle deviendra le symbole de la désinformation journalistique

Timiosara est l’histoire d’une faillite collective de l’info : tout le monde ou presque va relayer l’information selon laquelle un charnier a été découvert à Timisoara : 4632 cadavres, victimes de la répression de la Securitate, la police politique de régime de Ceaucescu.

Et à l’image on voit effectivement derrière l’homme que l’on vient d’entendre une quinzaine de corps dont celui d’une femme et d’un bébé. A première vue, cela ressemble tout de même à un charnier.

Et comme  l’information est relayée sans précaution particulière par les principales agences d’info comme Reuter ou l’afp, il est bien difficile à Bruxelles, Paris, Londres ou ailleurs de mettre  cela en doute.

D’autant qu’il s’est effectivement passé quelque chose d’important les 20 et 21 décembre 1989 dans la ville roumaine de Timisoara, berceau de la révolution roumaine : cent mille personnes manifestent contre le pouvoir en place  au cri de " Nous sommes le peuple ".

L’armée tente de mater le mouvement révolutionnaire en faisant une centaine de victimes. La contestation gagne Bucarest où les rumeurs du charnier sont parvenues et la foule scande " Timisoara ".

Plus rien n’arrêtera le mouvement, les jours de Ceaucescu sont comptés, au sens propre puisqu’après une parodie de procès lui et son épouse seront exécutés le jour de Noël 1989.

Timisoara = fake news 

Très vite le doute s’installe : l’envoyé spécial de Libération par exemple parvient à se rendre sur place et il s’interroge : car les corps de ce charnier présentés comme victime de la répression du régime de Ceaucescu sont déjà en décomposition et  ils ne présentent pas de traces de balle.

Il n’est pas le seul à douter mais dans le contexte ambiant, ces témoignages sont inaudibles. Parce qu’il faut se remettre dans le contexte de cette fin d’année 1989.

Le 9 novembre, le mur de Berlin est tombé et après lui tous les régimes communistes d’Europe de l’est, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie etc. tous s’effondrent comme un château de cartes et sans faire de victimes.

Mais la plupart des observateurs s’accordent sur un point : en Roumanie ce sera sanglant, Ceaucescu n’est pas prêt à céder pacifiquement le pouvoir. De fait : la révolution roumaine est la seule à avoir fait des victimes.

Autrement dit, un charnier de victimes de la Securitate paraissait crédible. Voilà pourquoi la presse internationale est tombée dans le panneau. Même s’il faut aussi souligner que dans les semaines qui ont suivi cette erreur fut corrigée par cette même presse internationale.

La révolution roumaine marque aussi un grand tournant médiatique : l’avènement du direct.

Des foules rassemblées où courent les rumeurs de toute sorte, comme celles de troupes fidèles à Ceaucescu qui seraient prêtes à intervenir. Le jour de Noël 1989, on peut voir en direct notamment sur la Cinq en France des images de soldats guidés par des civils qui tirent on ne sait trop sur quoi.

Tout cela alors que Ceaucescu a déjà été exécuté. La révolution roumaine aurait fait à peu près 1100 victimes mais la plupart sont décédées non pas à cause de la répression de Ceaucescu mais dans ces jours incertains où on ne savait pas trop qui tirait sur qui…

Timisoara reste le symbole de ce qui peut arriver dans n’importe quelle rédaction : le risque de confondre ce qui est vrai et ce qui est crédible.

Comme les mots, les images peuvent aussi être trompeuses et le direct en continu nécessite encore plus de précaution.

L’exemple de Timisoara est encore aujourd’hui fréquemment cité dans les écoles de journalisme car même si nous essayons au quotidien d’être très vigilants, nous ne sommes jamais à l’abri d’une erreur.

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