La couleur des idées

Timothée Parrique : « On ne peut plus faire d’économie sans faire de l’écologie ! »

Vue panoramique du lac sur le ciel au coucher du soleil, parc national de Tyresta, Suède

© Getty Images/500px – Charl Mellin

Ce samedi dans la couleur des idées, Pascale Seys reçoit Timothée Parrique, chercheur en économie écologique à l’Université de Lund, dans l’extrême-sud de la Suède. Après une thèse de doctorat particulièrement remarquée en 2009 sur l’écologie politique, il vient de publier aux éditions du Seuil un essai qui fait grand bruit. Intitulé Ralentir ou périr, l’économie de la décroissance, il nous invite à faire nôtre le slogan de la décroissance "Moins de biens, plus de liens".

Pour comprendre ce qu’est la décroissance en tant que concept et programme, il faut commencer par déterminer ce qu’est la croissance. Si le capitalisme a quelques siècles d’existence derrière lui, la croissance elle est bien plus récente. En effet, ce concept n’émerge que dans les années 50. Avant 1930, on ne pouvait pas mesurer l’économie détachée de la société car on n’avait pas d’indicateurs ni de concepts qui permettaient d’isoler la société de l’économie. Ce n’est que dans les années 30 avec l’invention de la comptabilité nationale et de la macroéconomie par John Maynard Keenes qu’apparaissent les théories et les indicateurs qui permettent de définir l’économie. Dès lors, on est capable de la mesurer. Se pose bientôt la question de sa dynamique : d’une année sur l’autre l’économie doit-elle être stable ? Augmenter ? Baisser ? C’est là que se développe ce que Timothée Parrique nomme "l’idéologie de la croissance", à savoir l’obsession pour l’augmentation de la taille de l’économie. La croissance est donc la dernière étape d’évolution du système capitaliste. Un système qui a été désencastré du vivant et qui est aujourd’hui le moteur de sa destruction puisqu’il a fait le choix de poursuivre son rythme propre, à savoir celui de l’argent, des retours sur investissement, de la lucrativité et du pouvoir d’achat, au détriment du rythme des écosystèmes.

La décroissance est quant à elle un projet qui vise à lier économie et objectif de durabilité, en matière à la fois d’écologie et de justice sociale. Côté théorique, il s’agit d’un paradigme critique de l’idéologie de la croissance, "sorte de parapluie qui rassemble beaucoup de concepts comme le post-extractivisme, l’antiproductivisme ou le convivialisme". En pratique, Timothée Parrique définit la décroissance comme "la réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique selon une planification démocratique dans un esprit de justice sociale et de bien-être". À titre individuel, le chercheur nous invite à investir deux grands chantiers, ceux du travail et de la consommation. Pour cela il faut nous questionner : est-ce que la façon dont nous utilisons notre temps, les efforts que nous consacrons, participent à la construction de quelque chose dont la société a besoin ? Si la réponse est négative, l’économiste nous convie à effectuer des "bifurcations productives". Les exemples de telles bifurcations sont légion : sans aller jusqu’à l’exemple quelque peu caricatural du trader qui devient éleveur de chèvre dans le Gard, on peut citer l’économiste qui décide d’inclure l’écologie dans sa pratique, le publicitaire qui, plutôt que de promouvoir des gadgets, va chercher à faire connaître du grand public des initiatives d’entreprises durables et solidaires, … De tels changements ont aussi leur place au sein des entreprises, par exemple en mettant en place collectivement des moyens pour en finir avec les déchets plastiques. Au niveau de la consommation, Timothée Parrique propose que nous mettions en place un "budget écologique" de la même façon que nous planifions nos finances. Calculer notre empreinte carbone nous forcerait à faire des choix qui prioriseraient notre bien-être. C’est "l’écobénéfice la transition écologique". Ainsi, un cycliste dépensera moins qu’un automobiliste pour ses déplacements, ne subira pas le stress des embouteillages, ne polluera pas la planète et en retirera des bénéfices pour sa santé par la pratique d’une activité sportive régulière. Timothée Parrique rappelle que la transition énergétique n’a rien de triste et qu’au contraire, elle peut être source de joie, ce que Pierre Rabhi appelait la "sobriété heureuse", Serge Latouche la "frugalité abondante", Kate Soper "l’hédonisme alternatif". Toutes ces dénominations montrent bien que ce nouveau mode de vie sera beaucoup plus heureux que celui effréné dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Timothée Parrique conclut :

Si l’on arrive à se défaire de l’agitation économique, on va libérer du temps que nous pourrons investir dans les relations sociales, la spiritualité, la politique… Toutes ces choses que nous sacrifions sur l’autel du PIB.

Retrouvez ci-dessous l’intégralité de l’entretien mené par Pascale Seys

La couleur des idées

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