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Tinder, dix ans de règne sans partage pour l'application de rencontre

Tinder fête ses dix ans cette année.

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Cette semaine, le documentaire "L’arnaqueur de Tinder" faisait un carton sur Netflix. Un succès qui s’explique en partie par la grande popularité de l’application de rencontre. Il faut dire que Tinder domine le marché depuis son lancement il y a dix ans. Comment expliquer cette success story ?

Plus de 430 millions de téléchargements, 65 milliards de match, 60 milliards de correspondances, plus d’1,5 millions de "dates" par semaine… En dix ans d’existence, celle qui se présente comme "l’application non-ludique qui génère les plus fortes recettes au monde", est devenue leader des rencontres en ligne.

Ce n’est pourtant pas les concurrents qui manquent. Mais aucun de Badoo, Bumble, Happn, Fruitz ou encore AdopteUnMec n’a su prendre sa place. Pas même Meetic, le pionnier et feu star du marché francophone avant l’arrivée de Tinder.

L’amour en poche

Pour comprendre le succès de Tinder, il faut se replonger en 2012. A l’époque, les rencontres en ligne n’existent que via des sites internet. Pour faire de nouvelles connaissances, il faut donc s’asseoir face à son ordinateur.

A l’inverse, Tinder est pensée comme une application mobile depuis sa sortie. "L’intégration dans le Smartphone a été une de ses forces. Dès le départ, il y a eu une dimension application pour téléphone. C’était l’idée d’être partout dans une discussion de séduction", explique Olivier Servais, professeur d’anthropologie digitale à l’UCLouvain.

Ils ont su saisir la montée du téléphone mobile et l’utilisation de l’internet mobile avant leurs concurrents

Autre nouveauté (et pas des moindres) : la géolocalisation. Certes, il existait déjà des critères présélectionnés sur les sites de rencontres – l’âge ou le sexe, par exemple – mais la dimension de spatialité sur le Smartphone n’avait jamais été envisagée. Et en 2012, c’est complètement novateur.

"Ils ont su saisir la montée du téléphone mobile et l’utilisation de l’internet mobile avant leurs concurrents. Le fait de proposer un algorithme qui s’appuie sur les données de géolocalisation des gens pour proposer du matching, c’était complètement innovant à l’époque", ajoute Damien Renard, professeur de communication à l’UCLouvain.

L’amour comme un jeu

Par ailleurs - et vous en avez certainement déjà entendu parler -, l’application est pensée à la manière d’un jeu, à coups de swipes et de matchs. "C’est le caractère ludique de Tinder qui en a fait en partie son succès. Ce n’est pas un jeu au sens propre du terme, mais ils ont assez bien gamifié la recherche de profils", analyse Nicolas Van Zeebroeck, professeur d’économie numérique à la Solvay Business School (ULB).

Imaginez le "match" comme une récompense, par exemple. Tout est donc conçu pour retenir l'attention de l'utilisateur et qu'il reste sur l'application le plus longtemps possible. 

Ce faisant, Tinder est devenue une marque qui impose son imaginaire dans d’autres domaines. Le vocabulaire de Tinder s’est installé dans le langage courant. Plus encore, le principe de l’application en inspire d’autres, à l’instar d’"Elyze", le "Tinder de la présidentielle française".

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Evolution des rencontres

Bien entendu, l'application a bousculé la façon dont beaucoup envisagent les rencontres amoureuses.

"Les interfaces utilisateurs ont une influence sur le rapport qu’on a sur le sujet de fond qu’il y a derrière. C’est-à-dire que le fait de swiper si facilement développe aussi le sentiment qu’une relation amoureuse est quelque chose qu’on swipe. Il y a une culture Tinder qui s’est construite autour de relations assez éphémères et ludiques", remarque Nicolas Van Zeebroeck.

L’application a donc permis de banaliser une diversification des relations, allant des "sex friends" aux coups d’un soir. Les utilisateurs n’ont d’ailleurs plus honte d’être inscrits sur Tinder : ce n’est pas l’application du désespoir, ou encore celle "de la dernière chance" comme ça pouvait l’être à l’époque avec d’autres sites de rencontre.

L’embarras du choix

Par contre, Tinder a aussi ses écueils. Notamment celui d’entretenir la consommation des relations. "On sait que la personne est disponible, qu’elle est intéressée. A court terme, ça peut être sécurisant puisque ça donne l’illusion que l’on peut ne jamais être seul ", remarque Sarah Galdiolo, chercheuse dans le domaine du couple à l’UMons.

Les gens sont plus mal à l’aise à l’idée d’exposer leurs déceptions et le fait d’être un second choix

Et si cela convient à certains, ceux qui cherchent le grand amour s’en trouvent parfois vite déçus. "Je pense qu’il y a eu toute une série de personnes pour qui Tinder s’avère positif. Mais malheureusement je rencontre aussi pas mal de personnes pour qui ça a été plus compliqué. Ce n’est pas quelque chose de vraiment discuté, mais il y a des gens qui enchaînent les déceptions."

"C’est vrai que c’est banalisé d’aller sur Tinder mais les gens sont plus mal à l’aise à l’idée d’exposer leurs déceptions et le fait d’être un second choix."

L’effet de réseau

Il faut dire qu’il n’y a que l’embarras du choix sur Tinder, et la communauté ne cesse d’ailleurs de s’agrandir. Or, la valeur de ce type d’application dépend justement de cet effet de réseau.

"Plus le nombre d’utilisateurs augmente, plus la valeur de l’application augmente. Parce que dans des applications de matching du type Tinder, plus il y a d’individus connectés, plus vous augmentez la probabilité de rencontrer une personne qui vous correspond ", remarque Damien Renard. Et c’est parce que "tout le monde est sur Tinder", que vous avez l’espoir d’y rencontrer quelqu’un.

"C’est ce qui fait que ces plateformes perdurent parce qu’elles arrivent à maintenir une communauté suffisamment active dans le temps. Et donc c’est très compliqué pour une application concurrente d’arriver sur ce marché-là."

Les algorithmes

Et c’est justement les traces laissées par cette communauté qui nourrissent les algorithmes de l’application. "Tinder, c’est comme Google, il y a un algorithme derrière qui vous fait des recommandations qui se basent sur un historique. Sur votre propre historique mais aussi avec l’historique de gens qui vous ressemblent. Et donc plus j’ai d’informations sur ce que les gens qui vous ressemblent ont aimé/pas aimé, plus je peux affiner."

Le système apprend que certains hommes plus âgés préfèrent les profils de femmes plus jeunes avec un niveau d’éducation inférieur

Or, sans surprise, il y a des biais derrière ces algorithmes. Selon la sociologue Jessica Pidoux, chaque utilisateur obtiendrait un classement selon des critères genrés basés sur le système patriarcal.

Par exemple, "le système apprend que certains hommes plus âgés préfèrent les profils de femmes plus jeunes avec un niveau d’éducation inférieur, mais l’algorithme pourrait alors suggérer le même modèle à d’autres utilisatrices de l’application ", explique-t-elle sur le site de l’EPFL

Et comme bien d'autres géants d'internet, Tinder n'est pas très transparent quant aux choix derrière ses algorithmes. 

Ne reste plus que la question du devenir. Au fil des ans, Tinder s'est déjà fortement diversifiée, proposant toujours plus de nouvelles fonctionnalités (parfois payantes). Alors, va-t-elle suivre d'autres réseaux sociaux et déborder de son cadre originel ? Va-t-elle se lancer dans la vente ou le divertissement ? 

Parce que si l'application possède aujourd'hui sa communauté, "ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas autre chose qui pourra prendre la place demain. Parce que dans le monde de l’informatique, les choses sont toujours en évolution", conclut Olivier Servais.

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