"La maison de l’avenue Delleur est un lieu mythique dans les aventures de Tintin", nous commente Benoit Peeters, écrivain, scénariste, spécialiste de Tintin et d’Hergé. "La scène se passe un soir d’orage. On est dans une atmosphère aux limites du fantastique. C’est une scène dont beaucoup de lecteurs et de lectrices de Tintin se souviennent très bien."
"Mais ce qui est amusant", reprend Benoît Peeters, "c’est de penser qu’Hergé est venu en voisin. Hergé habitait à l’époque Watermael-Boitsfort, au 17 de l’avenue Delleur, de l’autre côté de la rue, un peu plus bas. Il travaillait alors avec Edgard P. Jacobs, qui créera plus tard 'Blake et Mortimer'. Jacobs venait d’une école plus réaliste, il aimait s’inspirer des choses. Jacobs dit alors à Hergé qu’il a trouvé une maison sur la route, qui serait formidable pour la maison du professeur Bergamotte. Hergé et Jacobs vont faire quelques pas, avec leur carnet de croquis et s’inspirent de l’extérieur de la maison. Même si après, ils vont la transformer, la magnifier, lui donner une ampleur incroyable dans l’album des '7 boules de cristal…"
Hergé a créé un lieu mystérieux
Ce qui épate Benoît Peeters, "c’est qu’à partir d’une maison à flanc de rue et qui n’a rien de très impressionnant, Hergé crée un lieu complètement mystérieux. Dans la bande dessinée, il décale la maison par rapport à la route, il crée une profondeur. On a un parc, une grille, une allée, des gardes, des arbres qui grandissent… Il crée toute une mise en scène. Son génie, c’est de créer un cadre puissant et mémorable. Alors que quand vous passez devant cette maison, il faut s’y prendre à deux fois pour comprendre que c’est la maison du professeur Bergamotte. Ce personnage intervient aussi à un moment où des savants ont été enlevés, Bergamotte est le dernier, sa maison est protégée… Bref, Hergé a vraiment transfiguré cette maison…"
Lors des repérages – l’histoire est publiée dans 'Le Soir' volé à partir de décembre 1943 – , au cœur de la Deuxième guerre mondiale, Hergé et Jacobs ne sont jamais entrés la maison. Les intérieurs dans l’album ne correspondent donc pas à la réalité. "Hergé n’a pas pu y pénétrer d’autant que, selon lui-même qui le racontera plus tard, la maison était un siège de la Gestapo ou en tout cas occupée par les Allemands pendant la guerre. Hergé et Jacobs ont pris un risque en l’ignorant. Alors qu’ils étaient en train de réaliser leurs croquis, ils auraient pu être arrêtés et accusés d’espionnage ou de préparation d’un attentat. Même si Hergé et Jacobs ne sont pas réputés pour avoir été des résistants."
Des chefs-d’œuvre réalisés à Boitsfort
A l’entrée de la maison, une petite plaque avec la photo du professeur Bergamotte, apposée par les propriétaires actuels, indique la particularité du lieu.
Pour Benoît Peeters, "cette maison est porteuse d’une histoire. Sur cette très large avenue, le piéton est invité à descendre et à voir ce groupe de trois petites maisons de l’avenue Delleur où Hergé, Jacobs et d’autres collaborateurs ont travaillé jusqu’en 1950. A Boitsfort, Hergé a donné naissance à beaucoup de chefs-d’œuvre : 'Le secret de la licorne', 'Le trésor de Rackham le rouge', 'Les 7 boules de cristal', 'Le temple du soleil', 'Au pays de l’or noir'… Hergé était un 'echte brusseleir', un vrai Bruxellois. Il est né à Bruxelles, il y est mort. A partir de cette ville, il a réussi à faire rayonner le personnage de Tintin dans le monde entier."