Les Classiques

Tour des Flandres 1922 : les 153 kilomètres d’échappée de Léon Devos, 1e coureur à faire le doublé Ronde/Liège-Bastogne-Liège

Léon Devos

© Sportwereld 1922

Placé le 19 mars 1922, le Tour des Flandres 1922 est la première course routière officielle de l’année. Une fois n’est pas coutume, il prend place avant Milan-Sanremo et ouvre donc la saison cycliste sur route aux sportifs qui ont pour la plupart passé l’hiver au chaud sur la piste.

Le parcours, décidé par l’organisateur, le quotidien flamand Sportwereld, passe en revue les principales villes flamandes.
Il met à l’honneur, des pécheurs de Blankenberghe aux tisseurs de Gand en passant par les ouvriers industriels de Bruges, Alost ou Renaix, le peuple flamand, meurtri par la première guerre mondiale, qui s’est achevée moins de 4 ans auparavant.
 

©Sportwereld 1922

Le parcours passe par les villes suivantes : Gand – Eeclo – Bruges – Knokke – Heyst – Blankenberghe – Ostende – Thourout – Rouleurs – Iseghem – Courtrai – Harelbeke – Renaix – Ninove – Hekelgem – Alost – Gentbrugge, empruntant quelques difficultés encore gravies à notre époque comme le Tiegemberg et le Quaremont (celui que l’on nomme actuellement "le nouveau").

Henri Pélissier, pris en photo entre 1926 et 1928.

Pour la 1e fois de son histoire, la course revêt une envergure internationale. Cantonné à des duels belgo-belges, le Ronde accueille cette fois-ci un panel plus international, avec des délégations françaises et néerlandaises. Ainsi, du côté français, l’écurie J-B Louvet-Soly inscrit sa grosse armada, avec les frères Henri et Francis Pélissier, brillants 1e et 2e de Paris-Roubaix en 1921. Autre coureur français de marque : Robert Jacquinot (vainqueur de 4 étapes du Tour de France, porteur du maillot jaune durant 4 jours).

Du côté belge, une belle partie du gratin du cyclisme est présent. On voit sur la ligne de départ Louis Mottiat (double lauréat de Liège-Bastogne-Liège), Emile Masson, Félix Séllier (2X champion de Belgique, 3e du Tour de France 1922 et vainqueur de Paris-Roubaix 1925), Lucien Buysse (vainqueur du Tour 1926), Jules Van Hevel (Champion de Belgique 1921 et 1922, Lauréat du Ronde 1920 et de Paris-Roubaix 1924), Léon Devos (vainqueur de Liège-Bastogne-Liège 1919), Firmin Lambot (Vainqueur du Tour 1919 et 1922), Marcel Buysse (lauréat du Ronde en 1914), René Vermandel (tenant du titre), etc.


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Mais comme Milan-San Remo se déroule 15 jours plus tard, le 2 avril, plusieurs cadors préfèrent privilégier la participation à la course italienne. Ils s’inscrivent donc au Ronde mais n’y participent pas. Parmi ceux-ci, plusieurs anciens vainqueurs, comme Paul Deman (premier lauréat de la course, en 1913) et Henri Van Lerberghe (vainqueur en 1919). Autres inscrits non partants, Odile Defraye et Hector Heusgems.


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Un froid de canard

La course débute à 7h40 à Gand, juste après le vieux pont du canal de Mariakerke. Ils sont 91 à prendre le départ pour les 253 kilomètres de l’épreuve. Les conditions météorologiques ne sont pas optimales. Le froid est mordant et le brouillard, très épais à certains endroits, empêche de voir à plus de 50 mètres.

Le froid est bien présent. Dès les premiers kilomètres, plusieurs cyclistes s’en plaignent. Certains coureurs ne résisteront pas et mettront pied à terre, comme René Vermandel. D’autres – Mottiat, Sellier et Van Hevel en tête – seront victimes de la malchance et subiront plusieurs crevaisons.

Tout cela fait que la première partie de course est relativement calme. Quelques escarmouches mais rien de décisif. Par contre, les conditions réduisent le groupe de tête. Ils ne sont plus que 20 lorsqu’ils arrivent à Ostende (96 kilomètres de course). L’allure est vive, les coureurs ont 44 minutes d’avance sur l’horaire prédéfini.

Une attaque de Devos, le peloton n’y croit pas

C’est après 100 kilomètres que prend place la première grande attaque. Et ce sera la bonne ! Avant Roulers, le Belge Léon Devos prend la poudre d’escampette. C’est loin, très loin. Il reste plus de 150 kilomètres avant la ligne d’arrivée. Dans le peloton, personne ne bouge car on ne croit que l’expérience est viable. Seul le Français Jean Brunier contre le Belge et l’accompagne dans sa folle chevauchée. Ils font rapidement la différence. Malheureusement pour Brunier, celui-ci perd rapidement le contact avec Devos, probablement à cause d’une crevaison. Il est contraint de laisser filer Devos. Il ne le reverra plus.


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Les écarts se comptent en minutes. A Courtrai, Devos passe avec 4 minutes d’avance sur Brunier, 5 sur le peloton. A Ninove, l’écart est monté à 5 minutes sur Brunier, 15 sur le peloton.

Il est 16h31 lorsque Devos parcourt les derniers mètres de la course. Le public lui réserve une ovation formidable. Il vient de réaliser un exploit monumental, passant plus de 153 kilomètres seul en tête et devançant son plus proche poursuivant de 7 minutes 40.

Quelque chose qui cloche

Le peloton n’est jamais parvenu à refaire son retard. Il est resté impuissant et compact. Si bien que ce sont 19 coureurs qui se présentent sur le vélodrome de Gentbrugge pour la dernière place sur le podium. Ils ont déjà plus de 27 minutes de retard.
C’est le Français Francis Pélissier qui remporte le sprint mais une erreur de l’organisation fait que la cloche sonne trop tôt. Le peloton s’est battu pour la 3e place après un tour et demi du vélodrome alors qu’il y en avait 2,5 à accomplir. Certains continuent leur effort, d’autres s’arrêtent. C’est l’imbroglio. La Ligue Vélocipédique belge songe à un moment remettre les coureurs en selle pour effectuer le dernier tour de course mais le public a déjà envahi la piste.

Les commissaires décideront par après de confirmer la 3e place de Pélissier tout en classant tout le groupe dans le même temps que le Français.

Le succès de J-B Louvet et Soly

A cette époque, un succès est autant dû à la valeur du coureur qu’à la qualité de son matériel. Pour ce Tour des Flandres 1922, la suprématie de J-B Louvet (cycle) et Soly (pneu) est indiscutable. La marque française verte à bande rouge truste les 4 premières places.

Mais Léon Devos ne fait pas partie de l’équipe. Il roule sur un vélo de la firme mais en tant qu’indépendant. Il ne rejoindra l’équipe française officiellement que l’année suivante.

Le rodéo des suiveurs – La légende Van Houwaert victime d’un accident de la route

Cyrille Van Hauwaert

L’épreuve draine une foule énorme. Non seulement sur les bords des routes mais aussi en tant que suiveurs. "Un peu trop" explique le journal l’Auto dans son édition du 20 mars 1922. La Nation belge dans son édition du 20 mars 1922 estime qu’il y a 50 voitures et motocyclettes qui suivent la course. En fait, tout un chacun peu suivre ou devancer les coureurs s’il le souhaite. A cette époque, la présence des voitures sur le parcours n’est soumise à aucune accréditation.

Les accidents sont donc nombreux. Le Vélo Sport de Bruxelles relate le 21 mars 1922 dans ses colonnes un "pénible accident" survenu durant la course près de Iseghem, montrant la difficulté à l’époque de faire cohabiter une course à la renommée naissante, les enjeux qui en découlent et l’effervescence qu’elle suscite.

L’ex-champion cycliste Cyrille Van Hauwaert et le rédacteur sportif du journal "La Nation Belge" Fernand Leys en sont les principales victimes. Ce dernier est le plus gravement atteint. Il est projeté sous les roues de la voiture, qui roulait à plus de 70 km/h. Son état est engagé, il a subi plusieurs fractures et des blessures à la tête et aux jambes.


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"Il serait bon que la Ligue Vélocipédique Belge prenne des mesures sérieuses pour éviter à l’avenir de semblables catastrophes." explique "La Nation Belge" dans ses colonnes. Le quotidien Vélo Sport est beaucoup plus direct : "Les accidents d’Iseghem ou de Maldeghem seront demain des catastrophes. Je renonce à décrire certaines scènes de véritable sauvagerie dont j’ai été témoin. Des camions sur lesquels étaient entassés vingt ou trente pseudo sportsmen tanguant d’un côté de la route à l’autre, des motos lancées comme des bolides. […] d’inconscients criminels jetaient des paquets de circulaires au risque pour les voitures suivantes d’écrabouiller les gosses qui se précipitaient pour ramasser le papier. Et n’ai-je vu un véritable fou, juché sur un camion, bombarder la foule avec des oranges ? Quelle mentalité !" écrit René Andries le 22 mars.

On en est encore qu’au balbutiement de la sécurité routière en Belgique. Le Code de la route n’existe que depuis moins d’un an en Belgique (27 mais 1921) et il faudra attendre 1967 pour avoir un réel permis de conduite théorique, 1977 pour le pratique.

Léon Devos, à tout jamais le premier à avoir remporté Liège-Bastogne-Liège et le Tour des Flandres

Léon Devos

Léon Devos n’est pas un inconnu lorsqu’il se présente au départ du Tour de Flandres. Né en 1896 à Ardoye, en plein milieu du parcours du Tour des Flandres, il passe professionnel en 1919 avec, dès sa première année chez les pros, une victoire retentissante à Liège-Bastogne-Liège, qui n’avait plus été couru depuis 6 ans à cause de la guerre.

Etoile montante du cyclisme belge du début des années 20, il confirme donc tout le bien qu’on pense de lui en s’adjugeant le Tour des Flandres, son Tour des Flandres, en 1922.

Le point commun entre les deux courses ? Les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles se sont déroulées les deux classiques. Le froid avait été extrême dans le Tour des Flandres mais ce n’est encore rien par rapport aux conditions dantesques enregistrées en 1919 sur Liège-Bastogne-Liège, où seuls 6 coureurs ont terminé la course. Neige et pluie avaient émaillé le parcours. Celle-ci a été arrêtée pendant deux heures pour donner un repas chaud aux coureurs. Firmin Lambot, dégoûté, s’est même cotisé avec d’autres coureurs pour rentrer en tram à Liège.

Léon Devos était un solide gaillard qui aimait donc particulièrement les conditions difficiles…

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