A l’heure où les grandes villes développent des parcours de "Street Art", très appréciés des touristes, le "graff" conserve un côté obscur, et envahit des espaces "semi-légaux". Nous avons suivi un artiste tournaisien, qui connaît tous les "spots underground". Il nous a donné quelques adresses.
C’était couru d’avance : on allait se perdre. Tourner dans le quartier, sans trouver ce fameux mur. Gauthier, "AmtyOner" pour les connaisseurs, finit par nous embarquer dans sa voiture. Direction le parc du "Clos des Poussins", à deux pas d’une crèche communale et des pavillons des Marronniers. En bordure du terrain, les vestiges d’un ancien hôpital. Des piliers. Des pièces éventrées. "C’était des chambres", explique notre interlocuteur. "Ce sont des espaces carrés, pas les plus simples pour nous les graffeurs, on a plutôt envie de s’étaler…" Il nous montre certaines de ses œuvres. "Celle-là, c’était pendant la pandémie… Que voulez-vous, fallait bien s’occuper !"
Combien de temps pour la réaliser ? "Oh… 5 minutes ?" Il rit devant nos yeux éberlués. "Ben quoi. Il n’y a que deux couleurs !" Parfois, la vitesse lui joue des tours. Comme avec cette fresque pour l'anniversaire d'un ami. "Ah oui : j'ai carrément oublié une lettre! Il s'appelle Francis, et c'était écrit Franis! J'ai rajouté un petit c. Mais depuis lors, Franis, c'est devenu son petit surnom..."
Sur une quarantaine de mètres, des graffiti de tous styles. Celui-ci nous rappelle le cubisme, Picasso. D'autres se distinguent par l'humour, ou la couleur, comme cette œuvre d’un collectif lillois. D’abord spécialisés dans le "vandale", "c’est-à-dire les tags sur les trains, les autoroutes…", les graffeurs français s’assagissent avec l’âge explique Gauthier en souriant. "Ils font de la couleur, des petits personnages… Ça change, quoi !"
Lui-même adore s’essayer à d’autres styles, s’associer à des artistes de passage, imiter leur façon de faire. Passer des lettres dodues à des dégradés de couleurs qui se fondent les unes avec les autres. "Je sors de ma zone de confort, c’est toujours sympa d'évoluer. Ici, c'est vraiment une zone d'entraînement". Un peu plus loin, un tigre nous regarde. "C’est un jeune qui fait ça". Très populaire aussi dans le milieu: les "hommages", comme cette fresque en souvenir d’un barman tournaisien, très apprécié, décédé récemment.
Est-ce que l'endroit "vit"? "Oui bien sûr, on y croise régulièrement des graffeurs. C’est un mur semi-légal, on est toléré. Et même plus que toléré vu que la ville nous a installé des petites lumières, pour le soir… Ici, c’est royal !", conclut AmtyOner. Il aimerait voir plus d’espaces dédiés à son art, dans la ville de Tournai. "Comme dans les grandes villes, comme Lille, Bruxelles : là, le graff a beaucoup plus de place. En plus, ici à Tournai, on a pas mal d'écoles d'art...".
Il plaide pour plus de lieux dédiés au graff mais...on le sent partagé. Plus tard, en chemin vers notre deuxième "terrain de jeu", il nous avoue un élément important de la "culture" du graff : sa dimension sauvage, underground. Pour Gauthier, et bien d’autres de ses amis, un passionné ne se satisfera jamais d’un mur, si grand soit-il, en centre-ville. 50% du plaisir, c’est le graff à la sauvette, ou dans des endroits qui ne se dévoilent pas au premier venu.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce deuxième "spot" se mérite. Nous sommes dans un petit village de l’entité, théâtre il y a quelques années d'ici d’un véritable "naufrage immobilier". "C’est une ancienne laiterie, qui devait être rénovée en lofts. Des lofs de luxe à 400.000 euros". On accède au site par un petit chemin, envahi d'herbes folles. L’endroit est glauque à souhait, avec ces murs à moitié effondrés, ces carreaux cassés, ces pigeons qui volent d’un "loft" à un autre…
Gauthier et ses amis en ont fait leur terrain d’entraînement favori. "On compte sur place une vingtaine de fresques. Et à 90% ce n’est que de la belle fresque". Longtemps, l’adresse s’est refilée dans le creux de l’oreille.
"Ca fait partie du jeu ! Trouver les bons endroits… Les petits jeunes nous ont tannés longtemps pour savoir où ça se trouvait…" Depuis, ils ont trouvé. D’autres aussi, venus y organiser un shooting de mode, y tourner un clip de rap…"L’endroit commence à être connu".
Gauthier est particulièrement fier d’une énorme fresque, répartie sur deux murs, du sol au plafond. Il l’a réalisée avec son collectif, comme ce "rhinoféros" un peu plus loin. En face, un artiste montois s’est approprié une façade. "Son style est tout en longueurs, tout en lignes. C’est un chirurgien de la lettre", commente notre guide.
Il connaît tous ceux qui s’exercent ici, et nous serions surpris, précise-t-il, du profil de certains artistes de l’ombre. Loin des clichés de "racaille", il a des amis graffeurs médecin, expert automobile. "Il y a des profils vraiment étonnants, à la Docteur Jekyll et Mister Hyde".
Il nous parle d'un talentueux Parisien, qui quitte sa femme deux soirs par semaine. Sans lui dire où il va. Juste en lui certifiant que ce n’est pas une maîtresse qu'il rejoint. S'il lui disait que c'est une bombe...elle risquerait de mal le prendre.