Tout comprendre aux centrales au gaz en six questions

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Par Lavinia Rotili

La ministre flamande Zuhal Demir (N-VA) a refusé d’accorder son permis pour la construction d’une centrale à gaz à Vilvorde. Au-delà des raisons politiques derrière ce choix, la ministre s’est opposé à une centrale qui émettrait trop d’ammoniac, nocive pour les habitants. Entre-temps, Ecolo et le MR se chamaillent toujours au fédéral pour la prolongation de ces centrales. Voilà qui donne l’occasion pour faire le point sur ces centrales à gaz.

1. Pourquoi construire des centrales à gaz ?

Le gouvernement table sur une sortie du nucléaire pour 2025. A ce stade, il n’est pas encore établi si deux des sept réacteurs belges seront gardés en fonction. Les centrales à gaz doivent donc compenser la production d’électricité et garantir la sécurité d’approvisionnement. Le gouvernement a lancé un appel aux entreprises afin de construire des centrales électriques au gaz.

Il y a une dizaine de jours, le gestionnaire du réseau Elia a annoncé les lauréats de la première enchère du Mécanisme de Rémunération de Capacité (CRM), qui doit garantir la sécurité d’approvisionnement dans le cadre de la sortie du nucléaire. Parmi les projets sélectionnés (qui comprennent aussi des unités de production existantes, des batteries et de la gestion de la demande), figurent deux nouvelles unités de production au gaz, une à Vilvorde et une aux Awirs. Ces deux unités doivent fournir respectivement 796,25 MW et 805,35 MW.


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2. Les centrales au gaz sont-elles plus polluantes ?

La question de l’empreinte carbone des centrales au gaz fait débat aujourd’hui. En effet, la production d’électricité via ce type de centrales produit bel et bien du CO2, alors que sa production via les centrales nucléaires n’engendre aucune émission.

Pour s’opposer aux projets de centrales, des collectifs ont déjà introduit des demandes de recours, souvent refusées. Dans le monde politique, le MR, par la voix de son président, Georges-Louis Bouchez, estime qu’il s’agit d’une "absurdité climatique" de se passer du nucléaire pour construire des centrales qui émettront du CO2. Pour les écologistes, ces centrales ne représentent qu’une étape vers le 100% renouvelable. Aussi, défendent-ils, le gaz utilisé aujourd’hui, le méthane (un combustible fossile), pourra être remplacé par l’hydrogène.

Pour les experts consultés, la question est plus nuancée. "Il faut savoir ce que l’on prend en compte lorsqu’on parle d’énergie propre. La fission nucléaire ne produit pas de CO2 alors que la combustion du gaz naturel génère des émissions", éclaire Francesco Contino, ingénieur civil et professeur à l’UCLouvain. "Mais lorsqu’on pense au nucléaire, on doit prendre en compte la question de la gestion des déchets nucléaires. Finalement, c’est une question de choix de société."


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Pierre Henneaux, chargé de cours à l’Ecole Polytechnique de l’ULB, va dans le même sens. "Une solution idéale n’existe pas. Il s’agit d’un choix politique, puisque chaque option a ses avantages et ses inconvénients."

Aussi, "lorsqu’on se pose la question de l’énergie totale consommée, il faut également savoir que l’électricité ne compte que pour 20% et que le nucléaire produit environ la moitié de cette électricité. Il faut également pouvoir penser à ce que l’on fait concrètement pour défossiliser les autres secteurs", plaide Francesco Contino.

Quant au "verdissement" du gaz utilisé, les écologistes misent sur la possibilité d’utiliser l’hydrogène à la place du méthane pour aboutir à des centrales au gaz "zéro carbone". L’argument laisse quelque peu perplexe Francesco Contino, notamment parce que l’hydrogène est plus cher et moins disponible.

3. Si on émet du CO2, la Belgique sera-t-elle parmi les mauvais élèves au niveau européen ?

Dans le débat sur la sortie du nucléaire, les défenseurs du nucléaire estiment qu’il serait illogique d’investir de l’argent pour construire des centrales au gaz qui produisent du CO2 et qui, donc, polluent. Les défenseurs des centrales au gaz rappellent que ces émissions liées à l’électricité seront comptabilisées au niveau européen. La Belgique s’en lave-t-elle les mains ?

Tout d’abord, il faut comprendre le mécanisme : l’Union européenne a établi en 2005 un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (ETS), qui couvre les secteurs industriels à forte intensité de carbone, dont le secteur de l’électricité.

Les entreprises qui sont soumises au système doivent acquérir un nombre de quotas équivalents à leurs émissions de gaz à effet de serre. C’est un "permis de polluer". Si une entreprise émet moins de CO2, elle peut revendre ses quotas non utilisés à une entreprise plus polluante. Le nombre de quotas de CO2 est plafonné pour chaque année et, comme le rappelle Estelle Cantillon, professeure d’économie à la Solvay Brussels School, on est dans une phase où le nombre de permis émis diminue de 2,2% par an.

Pour certains, il est un peu hypocrite de produire de l’électricité qui pollue et de simplement faire porter le chapeau à l’Europe.


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Selon Pierre Henneux, ce système pose deux problèmes : "Il faut prendre en compte le fait que l’Europe n’est pas un système fermé et qu’à un moment donné, les entreprises vont juger plus rentable de délocaliser la production et ensuite importer. Le second problème réside dans le fait que les quotas de CO2 diminuent au fil du temps. Cette diminution est une décision politique, qui est elle-même influencée par le prix du CO2. Si à un moment donné le CO2 atteint un prix très élevé, il sera plus délicat pour des politiques de baisser les quotas, parce que cela va faire augmenter la facture pour le consommateur."

Pour Estelle Cantillon, le système "n’est pas parfait", mais reste "efficace". "Lorsqu’une entreprise belge émet plus, une autre (belge ou pas) va devoir émettre moins. Qui plus est, les émissions sont plafonnées et ne vont pas augmenter." D’un autre côté, le système essaie également de limiter la "délocalisation du carbone" (carbon leakage, dit-on dans le jargon).

"Pour l’éviter, la réponse actuelle est que les secteurs soumis à une forte concurrence et qui seraient tentés d’aller produire ailleurs, reçoivent une partie des permis gratuitement. Les études ont montré que cela freine les investissements en matière de réduction des émissions. Pour trouver une solution, l’Union européenne est en train de discuter d’un mécanisme d’ajustement aux frontières (CBAM) pour lequel les entreprises étrangères désirant exporter en Europe devraient acheter des permis, sauf si leur pays d’origine a déjà un prix du carbone. C’est une manière d’assurer que tout le monde soit sur un même pied d’égalité", détaille l’experte.

4. Une centrale au gaz près de chez moi, c’est dangereux ?

On vous l’expliquait plus haut : la ministre flamande de l’Environnement a refusé d’accorder son permis en évoquant des émissions d’azote trop élevées selon les normes flamandes.

"Pour mieux comprendre, on peut penser au Dieselgate en Allemagne : ici, ce sont les mêmes substances qui sont visées, à savoir l’oxyde d’azote", explique Francesco Contino. "Il s’agit de substances nocives pour la santé."

Selon une étude publiée dans Nature, les émissions d’oxyde d’azote produites par les véhicules au diesel au-delà des limites affichées par les constructeurs ont provoqué 38.000 morts prématurées dans le monde en 2015.


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"Maintenant, il faut savoir que les systèmes de dépollution qui existent aujourd’hui pour les centrales au gaz sont très performants, bien plus que ceux des voitures. Et les réglementations sont très strictes", tempère l’expert.

Le seul bémol est que les systèmes de dépollution fonctionnent très bien quand les centrales sont en régime. Ici, les centrales au gaz devraient compenser les besoins en énergie quand le renouvelable ne suffit pas. Or, si on redémarre trop souvent ces centrales, les systèmes de pollution risquent d’être moins efficaces.

5. Les centrales au gaz sont-elles suffisantes pour répondre à nos besoins d’électricité ?

La sécurité d’approvisionnement est un enjeu majeur de la fin du nucléaire. Parmi les détracteurs du gaz, on avance souvent l’argument d’une augmentation de nos besoins en électricité, surtout si on électrifie le parc automobile et certains secteurs industriels. On craint alors que l’électricité produite par les centrales au gaz ne soit pas suffisante.

"On fait clairement le pari que le renouvelable va augmenter de manière importante. Si on ne le fait pas, le gaz ne suffira pas", tranche Francesco Contino.


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Son collègue de l’ULB Pierre Henneaux va dans le même sens : "Si on gère bien la nouvelle demande en la flexibilisant au maximum, on peut y arriver. Il existe toute une série de barrières techniques et juridiques, mais c’est gérable".

En effet, nuance l’expert, tout l’enjeu des centrales au gaz est d’être complémentaire, et pas de remplacer les importations. "Il faut des capacités locales pour les moments où on passe la pointe de la charge, c’est-à-dire quand la demande d’électricité est plus élevée. C’est le cas par exemple en hiver et en soirée", résume-t-il. "Il faudra donc apprendre à exploiter la flexibilité de nos technologies : par exemple, si vous devez recharger votre véhicule électrique, il serait possible d’utiliser des systèmes de recharge intelligente qui utilisent les surplus d’énergie renouvelable ou qui rechargent votre véhicule quand la demande est plus grande et pas nécessairement en soirée pendant l’hiver, pendant qu’on est au pic."

6. Y aura-t-il un impact sur la facture des consommateurs ?

Ces derniers mois, le coût de l’électricité et du gaz ont augmenté, alimentant les craintes des consommateurs. Il est donc légitime de se demander ce que pourraient changer les centrales au gaz pour le portefeuille.

Dans l’accord de gouvernement, il est marqué que "l’impact sur les prix de l’électricité" sera examiné. Ce facteur pourrait donc faire pencher la balance.

"Par rapport aux estimations qu’on avait, le coût du CRM monte à 141 millions d’euros cette année", détaille Estelle Cantillon. Sachant qu’il s’agit de la première enchère, mais aussi de la plus importante, l’experte estime qu’on pourrait être en dessous des estimations faites à l’origine, qui étaient entre 238 et 940 millions d’euros pour les deux enchères. Globalement, le surcoût pour le consommateur devrait être donc limité.

Une prévision partagée par Pierre Henneaux, qui prend en compte deux aspects : la nécessité de financer les nouvelles centrales et l’impact sur le prix.

"Le financement des nouvelles centrales sera absorbé par le budget de l’Etat. Pour le prix de l’électricité, il faut savoir que le prix sur le marché de gros est toujours fixé par l’unité la plus chère en service à un moment donnée, dans un système de tarification de quinze minutes ou d’une heure. Cette unité peut être située en Belgique ou ailleurs et pour alimenter le consommateur. On monte toujours des unités moins chères aux plus chères. Quand on parle de coût, donc, on parle de coût marginal." Le renouvelable est le moins cher, puis on monte vers le nucléaire, le charbon et les combustibles liquides.

"Si on retire le nucléaire, on va devoir aller chercher plus vite des ressources avec un coût marginal plus élevé et donc plus chères. De combien est-ce plus cher ? C’est difficile de le déterminer précisément, mais une étude de l’université de Gand, envoyée à la ministre de l’Energie fin septembre, contenait une première estimation. La variation y restait faible, de seulement quelques euros par MWh."

Toutefois, précise encore l’expert, les modélisations de cette étude sont trop simplifiées et risquent de ne pas donner une estimation très précise. Elles permettent toutefois de comprendre que le prix ne devrait pas changer énormément. "A mon sens, le plus gros impact pour le citoyen concerne le budget de l’Etat", conclut l’expert.

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