Trains de nuit en Russie : héritiers de la phobie de Staline pour l’avion et d’une certaine idée du luxe à la soviétique

La Flèche rouge, 90 ans de luxe à la soviétique

© JFH

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Par Jean-François Herbecq

Les trains de nuit sont de retour en Europe. Depuis quelques décennies, ils se faisaient rares. Aujourd’hui, Bruxelles est à nouveau reliée à Vienne plusieurs fois par semaine pour une nuit confortable grâce aux chemins de fer autrichiensD’autres liaisons sont prévues, vers l’Europe du Nord, vers le sud aussi… A l’est de l’Europe, les trains de nuit font toujours partie de l’offre ferroviaire. Surtout dans l’immense Russie, où ils sont une institution au charme rétro. Découverte d’un train de luxe imaginé par les Soviétiques : la Flèche Rouge, le train de nuit Saint Pétersbourg-Moscou, qui fête ses 90 années d’existence.

Dix liaisons par nuit dans chaque sens

En cette chaude soirée d’été à Saint-Pétersbourg, le convoi écarlate fait son entrée dans la principale gare de l’ancienne capitale des tsars : Moskovski.

Le buste de Pierre le Grand a remplacé celui de Lénine dans le grand hall de la gare Moskovsakya à Saint-Péterbourg

Et si la gare est dite de Moscou, c’est bien parce que la majorité des liaisons se font avec la capitale : 10 départs chaque soir dans chaque sens entre Saint-Pétersbourg et Moscou. Et au sein de cette offre, la Flèche Rouge fait partie du haut de gamme, l’équivalent de la 1re classe.

Au moment de fermer les portes, les notes obsédantes de "L’hymne à la grande ville" du compositeur soviétique Reinhold Glière retentissent dans les haut-parleurs.

Départ à 23h55 précises pour 644 km et 8 heures de trajet sur une des plus anciennes lignes de chemin de fer de Russie. Les passagers sont accueillis par un bataillon d’hôtesses en uniforme appelées "provodnitsa", chef de voiture.

La provodnista installe le plan incliné d’accès à la voiture de la Flèche rouge
La provodnista installe le plan incliné d’accès à la voiture de la Flèche rouge © JFH/RTBF

Une fois les passagers installés, la provodnitsa fait le tour des compartiments pour s’enquérir de leurs souhaits pour le petit-déjeuner notamment. Ils ont le choix entre plusieurs menus, avec entrée poisson ou viande, plat chaud, omelettes, la kacha, la bouillie de sarrasin ou de riz qui fait les délices des petits-déjeuners russes, blinis au saumon, croissant, chocolat, fruits et boissons, sans oublier les options végétariennes et pour enfants : le petit-déjeuner est compris et plutôt copieux.

Un train de marque

A bord, tout est pensé pour le confort des passagers, explique Alina Frydman, directrice d’une agence de voyages, StrelkaTours, qui organise des programmes thématiques, notamment pour des touristes belges dans le Transsibérien mais aussi la Flèche Rouge : "C’est fantastique. Vous avez un service comme avec une hôtesse de l’air. Elles sont tout le temps là pour vous ! Vous n’avez pas vraiment besoin d’elles autant qu’elles voudraient vous servir. Mais c’est vraiment super !".

Alina Frydman propriétaire de StrelkaTours

Depuis 1931, la Flèche Rouge relie toutes les nuits Moscou à Saint Pétersbourg. Il n’y a que pendant la Seconde guerre mondiale et le siège de Leningrad par les Allemands que la liaison a été interrompue.

C’est un train mythique, raconte Alina Frydman : "Nous avons eu une révolution en 1917. Toutes les infrastructures étaient en ruine. Le premier problème rencontré par le gouvernement était la communication entre Moscou et Saint-Pétersbourg, notamment parce que le dirigeant de l’époque préférait le train à l’avion. L’industrie aéronautique était en plein développement, mais Staline était terrifié par cela et il préférait s’en tenir aux trains. Et donc, les chemins de fer ont pu prospérer".

Un parfum de vacances

"Staline a investi beaucoup d’argent là-dedans, les dirigeants de parti l’utilisaient pour faire leurs allers-retours."

Départ à 23h55

"L'heure de départ, 23h55, était le moment idéal pour embarquer, dormir un peu et se réveiller à Saint-Pétersbourg pour aller travailler."

"L'idée était de faire revivre la belle industrie ferroviaire du temps des tsars avec un bon service. C’est pour cela qu’ils l’ont appelé Flèche Rouge, c’était le premier train de marque : les autres portaient juste des numéros, ils n’avaient pas de nom et Flèche Rouge est synonyme de qualité. Les Soviétiques ont donc rétabli le niveau de qualité de service prérévolutionnaire."

Aujourd’hui, 30 ans après la chute du communisme, le concept résiste brillamment, constate Alina Frydman : "La culture du train est très ancrée dans nos cœurs, même si nous avons beaucoup de liaisons aériennes. Les gens ont l’habitude de se déplacer en train. Certains ont peur de prendre l’avion, mais je ne pense pas qu’ils soient majoritaires. Je crois qu’il y a une explication économique : c’est moins cher et c’est plus lent. Beaucoup de gens préfèrent le chemin de fer simplement parce qu’ils pensent que leurs vacances commencent lorsqu’ils montent dans le train. Donc, ils ne s’en font pas s’ils ne sont pas encore à la plage. Ils sont dans le train et se détendent déjà".

Les touristes apprécient le service à table voire sous la couette dans leur compartiment. Un "coupé" comme on dit ici, avec deux places, deux lits larges et confortables, une literie de qualité, des sanitaires modernes, la climatisation, un écran télé.

Il y a même des douches et des compartiments accessibles aux personnes à mobilité réduite. Chaque convoi compte en outre une voiture avec des cabines VIP, deux fois plus grandes avec salle de bains.

Cette année, les touristes étrangers ne sont pas là, mais des Russes en profitent pour s’offrir un petit moment de nostalgie, car il y a quelque chose entre eux et la Flèche Rouge.

Samovar et bortsch

Fierté des chemins de fer russes, la qualité des voitures de la Flèche Rouge d’aujourd’hui a évidemment évolué par rapport aux convois de l’époque soviétique. Mais le niveau de confort était déjà assez élevé. Pour comparer nous nous sommes rendus au Musée du chemin de fer russe à Saint-Pétersbourg.

Prospectus original de la Flèche route

Notre guide, Pavel Dounaiev, nous fait visiter une voiture fabriquée en République démocratique allemande dans les années 50 : "Voici un coupé conçu pour deux passagers. A l’époque soviétique, un voyage dans ce coupé était en fait considéré comme très confortable. Par exemple, il n’y a pas de couchettes superposées, donc on a plus d’air qui peut circuler".

Des voitures est-allemandes, au design costaud et immuable, fort appréciées par les voyageurs soviétiques : tentures, tapis en laine au sol, couverture et serviettes frappés du logo de la compagnie…

A l’époque, pour éviter le terme de 1re classe, on parle de classe "moelleuse".

Un comportiment au design est-allemand

Pavel Dounaiev est intarissable sur le luxe de cette pièce de musée. : "Les passagers en Russie, en Union soviétique sont tombés amoureux de l’aménagement intérieur des voitures, comme ces panneaux en plastique au mur, une imitation de bois. Les gens les appelaient 'chocolats' ici en Russie".

"Les voitures les plus confortables coûtaient un peu plus cher. Bien sûr, on s’occupait bien de ces passagers. C’était prévu pour des gens qui pouvaient se le permettre : des voyageurs d’affaires d’un côté, et de l’autre des fonctionnaires qui devaient pour leur travail faire assez souvent la navette entre les deux capitales. Pour la plupart, la Flèche Rouge était un peu leur maison."

Un intérieur soigné de l’époque soviétique
Un intérieur soigné de l’époque soviétique © JFH/RTBF

Au début du voyage, le provodnik, masculin de la provodnitsa, mettait le samovar en marche pour fournir de l’eau chaude aux passagers amateurs de thé. Sa cabine de travail comporte tout l’équipement nécessaire : frigo, rangements pour les tasses, lavabo pour la vaisselle. A l’origine, l’accompagnateur disposait d’un deuxième espace muni d’une couchette pour se reposer un peu, progressivement transformé en cabine pour passager voyageant seul.

Le provodnik ne dort pas beaucoup. Il s’occupe du thé, des petits-déjeuners… De l’administration, du contrôle des billets, aussi et il veille à ce que personne ne reste sur le quai aux arrêts après être descendu griller une petite cigarette sur le quai de la station de Bologoye, à mi-parcours au beau milieu de la nuit russe…

Bienvenue au restaurant de la Flèche rouge

A bord, il y a ceux qui se laissent bercer par le roulement du train, ceux au sommeil léger qui comptent les aiguillages et les cahots, et puis ceux qui préfèrent s’installer à la voiture-restaurant ouverte jusqu’à 2h30 du matin, après le restaurant ferme pour préparer les petits-déjeuners chauds pour le matin. Au menu du restaurant de la Flèche Rouge, salade de concombre, bortsch, solyanka, soupe épaisse et aigre et autres plats de la cuisine russe.

Pas de concurrence du train à grande vitesse

La Flèche Rouge reste cependant un des moyens les plus agréables pour rallier Moscou à Saint Petersbourg. Depuis 2009, le train à grande vitesse russe, le Sapsan (le Faucon pèlerin) met 3 heures et demie entre les deux villes mais il rentre plutôt en concurrence avec l’avion au niveau prix et temps de trajet de centre-ville à centre-ville.

Tous les trains de nuits russes ne sont pas aussi luxueux que la Flèche Rouge ou sa version plus moderne, le "Grand express", véritable hôtel sur roues. Certains sont même basiques, avec couchage commun style dortoir ou de simples places assises. Mais chaque nuit en Russie, des milliers de personnes voyagent en train. Le plus long trajet, Moscou-Vladivostok fait plus de 9000 km… et met pas loin de 6 jours !

Icône du chemin de fer russe, la Flèche Rouge est sans doute un exemple pour l’Europe occidentale, au moment où plusieurs sociétés de chemin de fer ambitionnent de redynamiser cette manière de voyager qui est à chaque fois une expérience unique en son genre.

Une voiture de la Flèche rouge exposée au Musée du chemin de fer russe à Saint-Pétersbourg
Une voiture de la Flèche rouge exposée au Musée du chemin de fer russe à Saint-Pétersbourg © JFH/RTBF

Découverte: train de nuit la Flèche rouge en Russie

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