Belgique

Tueries du Brabant : Wavre, le policier Claude Haulotte, premier mort d’une longue série

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"Tout aurait pu s’arrêter là, à Wavre" me confiait un enquêteur aujourd’hui retraité. "Ils ont eu beaucoup de chance à l’inverse de Claude Haulotte". Et d’évoquer la clé de contact laissée sur le véhicule du policier ou la présence du passage à niveau tout proche.

"Tout aurait pu s’arrêter là, à Wavre"

Pour cet enquêteur, les auteurs s’en sont sortis par chance et parce que plus nombreux, mieux équipés et aussi bons tireurs.

Sans compter qu’en face, pour établir les barrages aux bons endroits, la communication radio fut défaillante, ce qui permit aux truands de disparaître puis d’incendier plus tard leur véhicule.

Pas encore "les tueurs du Brabant"

Ce 30 septembre 1982, les policiers qui se lancent à la poursuite des auteurs du braquage de l’armurerie Dekaise ignorent qu’ils ont face à eux les futurs "tueurs du Brabant", un qualificatif qu’ils porteront lorsque l’enquête reliera d’autres faits sanglants comme des attaques de grands magasins.

le plus long serial killer de l’histoire judiciaire belge"

Au final si l’on s’en tient au décompte officiel de la Justice, la mort de Claude Haulotte signe le départ du plus long "serial killer" de l’histoire judiciaire belge et sans doute européenne, 28 morts si l’on s’en tient au décompte officiel de la Justice aujourd’hui.

Sans qu’aucun coupable n’ait été identifié jusqu’ici.

Un policier parti seul en mission

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Ce jeudi 30 septembre, en plein centre de Wavre, c’est jour de marché.

Par malchance, le policier Haulotte a accepté de partir seul au volant d’une camionnette de police pour une mission administrative. 

Chacun aura dû convenir qu’il y a en principe peu de risques de faire une mauvaise rencontre.

Pourtant lorsqu’il s’engage vers 10h30 dans la rue de Bruxelles, une petite artère à sens unique située à deux pas du commissariat, il reste à Claude Haulotte quelques minutes à vivre.

Dans l’armurerie, des ordres et des coups

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Dans l’armurerie, pendant ce temps, l’exploitant des lieux Daniel Dekaise et deux clients n’en mènent pas large. Quelques minutes plus tôt, trois hommes ont pénétré dans l’armurerie et sous la menace d’armes, les ont obligés de se coucher sur le sol, mains sur la tête. Avec interdiction de regarder.

Celui qui n’obéit pas et veut redresser la tête se fait molester à coups de poing et de crosse. Daniel Dekaise est sérieusement blessé au visage.

N’hésite pas, s’ils bougent, tu tires !

L’un des agresseurs a l’ascendant sur les autres. Ses injonctions résonnent comme des ordres " N’hésite pas, s’ils bougent, tu tires !" crie-t-il à un moment à l’un de ses comparses.

Les armes dérobées sont placées dans deux sacs, l’un de sport, l’autre en plastique. Un détail qui prendra de l’importance lors de la suite de l’enquête.

A un moment, la vitre du comptoir vole en éclat permettant l’accès à d’autres armes, l’un des malfrats lance alors " Ça va, j’ai trouvé ce qu’on cherchait" puis un peu plus tard " On a ce qu’il faut, on se casse".

Des témoins alertent le policier

Entretemps, la camionnette de police est passée devant le magasin. Le guetteur dans le magasin l’a repéré. Au volant, le policier Claude Haulotte ne s’est rendu compte de rien mais les ouvriers d’un garage tout proche l’informent d’un manège suspect à l’armurerie.

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Le policier immobilise sa camionnette, coupant tout passage au trafic et décide de s’avancer arme à la main vers l’armurerie. Au même moment, les braqueurs qui s’apprêtent à sortir, se rendent compte de la présence du policier. L’affrontement est inévitable et va tourner rapidement au désavantage du policier qui tente un temps de se protéger derrière la camionnette de Daniel Dekaise située devant l’armurerie.

Blessé par un premier tir, Claude Haulotte tombe sur le sol et sera quelques instants plus tard achevé d’une seconde balle en pleine tête, sous le regard de témoins qui alertés par les coups de feu observent la scène par leurs fenêtres.

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L’incroyable sang-froid des auteurs

Le trio de malfrats va faire preuve d’un sang-froid impressionnant, tout au long de l’opération, s’occupant après avoir neutralisé le policier de charger le butin dans le coffre de leur voiture pendant que l’homme auteur du dernier coup de feu sur le policier s’occupe de déplacer la camionnette de police pour permettre à leur voiture de quitter l’emplacement de parking.

Le tueur du policier déplace calmement la camionnette

La camionnette sera garée plus loin dans la rue sur le trottoir d’en face, les deux complices faisant démarrer la voiture pour récupérer le troisième homme à hauteur de la camionnette.

Ils se dirigent ensuite à toute allure vers le carrefour avec la chaussée de Bruxelles où ils prennent la direction de la Capitale.

Par chance pour eux, le passage à niveau souvent baissé à cet endroit ne l’est pas.

Une poursuite inégale s’engage

Avertis de l’attaque, deux membres de la gendarmerie locale, arrivent au volant d’une Renault R4 au moment précis où la Santana tourne dans la chaussée de Bruxelles. Les gendarmes parviennent à dévisager les truands avant d’engager la poursuite.

La VW Santana, plus puissante, n’a aucun mal à semer ses poursuivants. Les malfrats sur le trajet prendront même le temps de remplacer leurs plaques françaises par des Belges, une opération réalisée en moins d’une minute, ce qui laisse penser que les plaques françaises plus grandes dissimulaient les plaques belges.

Tirs à Hoeilaart, deux gendarmes blessés

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La poursuite prendra fin au centre de la commune voisine à Hoeilaart où la présence d’un carrefour avec des feux va bloquer un moment le véhicule des agresseurs. Rattrapés par les gendarmes, l’affrontement tourne à nouveau à l’avantage des truands qui parviendront à blesser les deux gendarmes en utilisant plusieurs armes avant de disparaître. Leur voiture endommagée au niveau du radiateur dégage de la fumée, elle ne pourra plus rouler bien loin.

La Santana incendiée à Boitsfort

Dans la soirée, un passant alerte les secours, un véhicule en feu est signalé à l’orée de la forêt de Soignes, à la drève du Tumuli, à proximité de l’hippodrome de Boitsfort. Il ne reste pratiquement rien de la voiture lorsque la police établit le lien avec l’attaque intervenue en milieu de matinée.

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Très peu de traces exploitables sur l’épave, le numéro de châssis a été limé à la disqueuse, le compteur kilométrique a brûlé comme la plupart des éléments intérieurs du véhicule.

Malgré cela, quelques indices vont s’avérer exploitables. Des douilles sont retrouvées. De même que les restes d’une balance de précision servant à peser la drogue ou les métaux précieux.

Mais il faudra attendre une quinzaine de jours pour voir l’enquête marquer de premiers points avec la découverte d’indices éparpillés le long d’un chemin près du Ring vers Waterloo.

La perspicacité d’un promeneur

Le long d’un sentier en forêt de Soignes, un cycliste à l’attention attirée par des objets éparpillés dans le fossé. Visiblement ils ont été jetés à la hâte d’un véhicule.

À côté d’un siège de voiture, il découvre un portefeuille, divers documents et des cartes bancaires.

Une "bonne pêche" pour les enquêteurs qui retrouvent les cartes bancaires et les documents volés aux clients de l’armurerie ainsi qu’à Daniel Dekaise. Mais aussi d’autres éléments comme un sac plastique et des morceaux de papiers manuscrits déchirés.

De premiers indices mènent vers le sud de Bruxelles

De premiers indices qui vont orienter l’enquête vers le sud de Bruxelles.

Tout indique que les auteurs ont tenu à disperser ces objets ailleurs qu’à l’endroit où ils ont incendié la voiture, espérant sans doute éviter de fournir trop d'indices aux enquêteurs.

Boitsfort, Ixelles, Braine, Waterloo, Overijse

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Les enquêteurs spécialisés de la police judiciaire ont exploité les indices les plus intéressants : le sac plastique provient d’un magasin de la galerie Wellington à Waterloo. Les noms de plusieurs suspects du dossier des tueries s’y rattachent directement ou indirectement.

Des petits papiers manuscrits retrouvés dirigent vers Wauthier-Braine et le Pilori de Braine-le-Château. Soit à environ deux kilomètres de la E19.

Le vol de voiture Austin Alegro qui a servi de voiture relais pour voler la Santana à Lembeek s’est déroulé à Ixelles pas loin de l’hippodrome à proximité duquel la Santana a été incendiée.

L’un des suspects de l’attaque chez Dekaise, Michel G. habitait à 250 mètres du lieu du vol de l’Austin. Un autre suspect, Hendrik R. a loué un atelier de carrosserie à Hoeilaart un mois avant l’attaque chez Dekaise pour le quitter un mois plus tard sous un prétexte qui ne tient pas la route.

Ce suspect habitait Boitsfort à proximité du lieu de l’incendie et ses alibis se sont révélés fragiles. Inculpé par le juge Schlicker à Nivelles pour l’affaire Dekaise en raison des nombreux indices qui pesaient sur lui et son entourage, il bénéficiera au final d’un non-lieu devant la chambre des mises à Charleroi, le dossier n’ayant plus évolué.

Les Borains jusqu’en 1988

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Concernant l’armurerie Dekaise, très vite deux orientations d’enquête vont apparaître, l’une menant vers des règlements de compte liés au trafic d’armes à grande échelle avec des ramifications vers l’étranger, l’autre menant vers le banditisme belgo-français actif dans les jeux, la prostitution, la drogue et le racket.

Mais pour Jean Deprêtre, le procureur du Roi de Nivelles, à la personnalité bien trempée, la piste privilégiée était celle de "prédateurs", des voyous sans foi ni loi qui s’en prennent aux braves gens et dont le portrait ressemble plutôt aux six malfrats du Borinage.

l’acquittement des Borains, un coup de tonnerre

Si plusieurs suspects pour l’attaque Dekaise ont été identifiés en 82-83, la piste "boraine" telle une tornade va aspirer l’essentiel des capacités d’enquête jusqu’en 1988, date à laquelle, l’acquittement des six accusés résonnera comme un coup de tonnerre, réduisant à néant le château de cartes patiemment monté par le parquet de Nivelles puis de Charleroi.

Lorsque les six Borains, inculpés en 1983 pour plusieurs faits comparaîtront aux assises en 1988, il ne sera pas question de l’attaque de l’armurerie Dekaise mais de quatre autres braquages attribués aux tueurs du Brabant.

Prescription fin 2025, l’enquête se poursuit

En 1988, la cour d’assises du Hainaut refusera au bénéfice du doute de condamner les accusés. C’est qu’entretemps d’autres pistes plus inquiétantes seront mises au jour. Comme l’assassinat en janvier 1986 le long de l’autoroute à Wavre d’un ingénieur de la Fabrique Nationale d'armes de Herstal.

possibles manipulations de l'enquête

Avec la mise au jour de possibles manipulations de l’enquête en faisant disparaître ou réapparaître des pièces à convictions. Ou en mélangeant des indices balistiques.

Sans oublier les repérages à proximité de parkings de grands magasins opérés par les militants d'une inquiétante organisation (le WNP) à laquelle appartenaient notamment des militaires incités à commettre des délits de droit commun et des assassinats de personnalités publiques, ces "militants" pensant agir au nom d'un organisme de l'Etat.

repérages près de grands magasins

La décision d’acquitter les Borains obligera du même coup la machine judiciaire à rechercher d’autres auteurs et à relancer d’autres pistes d’enquête. Notamment en s'intéressant à nouveau après 1988 aux anciens suspects Michel G. et Hendrik R. Mais on le constate aujourd’hui, le temps perdu sur le plan judiciaire se rattrape difficilement. 

Il reste malgré tout trois ans avant la prescription. Et il sera difficile, après tous les moyens mis en œuvre jusqu’ici, de faire accepter aux parties civiles l'interruption de l’enquête avant son terme.

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