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Turkménistan : la Corée du Nord de l’Asie Centrale, népotisme et autoritarisme

Serdar Berdymoukhammedov

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Par Mélina Margaritis et AFP

Ce sera Serdar Berdymoukhamedov, fils de l’actuel président du Turkménistan qui succédera à son père. Lors du scrutin anticipé le 12 mars prochain, il prendra les rênes d’un des pays les plus répressifs au monde. Un homme discret à l’instar de son père excentrique, sur lequel peu de choses sont connues. Une succession dynastique qui révèle le besoin d’instaurer un nouveau souffle dans le pays.

 

Éleveur de chiens

Né en 1981 dans la capitale à Achgabat, Serdar Berdymoukhamedov semblait initialement se destiner à une carrière dans l’agriculture. Selon sa biographie officielle, il a dirigé dans sa jeunesse un organe public en charge de la production de bière et de vin sans alcool. Lorsque son père, Gourbangouly Berdymoukhamedov est propulsé au pouvoir en 2006 suite au décès du premier président du Turkménistan, Türkmenbasy (Turkmenbachi) dit le "Père de la Nation", le jeune Serdar s’oriente vers une carrière dans les hautes sphères du pouvoir. En 2018, Berdymoukhamedov junior est réélu député avec un score stalinien de 91% qui rappellent ceux de son père lors des élections présidentielles, dans un pays où il n’existe aucune opposition politique véritable.

Vladimir Poutine et Gourbangouly Berdymoukhamedov
Vladimir Poutine et Gourbangouly Berdymoukhamedov © - AFP

Débute alors pour Serdar un enchaînement de postes haut placés : vice-ministre des Affaires étrangères, gouverneur de la région clé de l’Akhal, ministre de l’Industrie, puis, en 2021, vice-Premier ministre, membre du puissant Conseil de sécurité et auditeur financier en chef du pays.

Un régime autoritaire

Serdar a 40 ans. Il est le seul fils de Gourbangouly, qui a également deux filles. Annoncée lundi par la télévision d’État, sa nomination en tant que candidat à la présidentielle anticipée de mars témoigne d’un népotisme décomplexé dans une région, l’Asie centrale, marquée par les régimes autoritaires. Un pays où l’information est précieuse et reste souvent peu connue.

Pour comprendre, Nicolas Gosset, politologue et chercheur Russie/Eurasie à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD) explique que : "le Turkménistan est un état policier avec un régime qui depuis l’indépendance de l’Union soviétique en 1991, vit dans un isolement de la communauté internationale qui est relativement marqué. Les frontières ne sont pas complètement fermées, mais c’est un pays qui a une neutralité sur la scène internationale et qui frise l’autarcie complète".

Le Turkménistan est en retrait sur toutes les questions des équilibres régionaux. Simplement parce qu’il a toujours refusé depuis l’effondrement de l’URSS de faire partie des organisations régionales auxquels participent ses voisins et les autres pays d’Asie centrale, tels que la CEI (la Communauté des États Indépendants).

Pour Raoul Delcorde, ambassadeur honoraire de Belgique et membre de l'Académie Royale de Belgique : "Il y a très peu de régimes comparables à ce pays, c’est un peu une caractéristique du Turkménistan qui est la Corée du Nord de l’Asie centrale."

La répression politique du pays est alors très marquée et ne tolère aucune forme d’opposition politique organisée. Le niveau de contrôle social sur les citoyens est orchestré par l’état qui est dirigé par la police politique et les services secrets.

Un népotisme " décomplexé "

Selon Nicolas Gosset : "C’est la logique dynastique. On dit souvent que l’Asie centrale, le Turkménistan fonctionne sur le mode d’un sultanat. Ça veut dire que le pouvoir politique à une tendance à avoir un caractère héréditaire et effectivement népotique parce que ce sont des proches du président et de son clan qui occupe l’ensemble des fonctions publiques et politiques, mais cela n’est pas spécifique au Turkménistan. C’est quelque chose que l’on va retrouver dans tous les rites publics d’Asie Centrale et même au-delà, mais d’une manière plus marquée au Turkménistan".

Une plus jeune génération au pouvoir

Le pays vit une hausse vertigineuse de l’inflation. Le prix de certains produits alimentaires a été multiplié par cinq. Le renchérissement du coût de la vie est devenu incroyablement difficile pour une grande partie de la population. Le régime s’est alors endurci sur ses positions, mais a eu de plus en plus de difficulté à répondre aux aspirations de la population, d’un point de vue socio-économique.

Ces crises, pour Nicolas Gosset, révèlent une nouvelle réalité du peuple turkmène : "Une chose complètement improbable et jamais vue dans ce pays, c’est qu’au cours de ces dernières années et surtout de la dernière année, des manifestations ont eu lieu. Des citoyens se sont réunis dans la rue pour afficher leur mécontentement par rapport à la fermeture d’un marché par les autorités, aux coûts de l’électricité, à la fermeture des dispensaires médicaux, etc. Même dans cet état très fermé, il y a eu un sentiment que voilà, ça commençait à bouillir par rapport au pouvoir".

Un élément qui expliquerait cette passation de pouvoir "anticipée" du président actuel qui quittera ses fonctions en mars, à l’âge de 63 ans.

Berdymoukhamedov qui a suivi les évènements au Kazakhstan en début d’année a eu une lecture attentive de ce qui s’y passait. À cause des manifestations, c’est le bon moment de donner l’impression que le pays va changer. La manière la plus efficace c’est d’occuper le narratif par une transition de père à fils. Ça permet un peu de maquiller les choses de dire que le régime change en amenant une plus jeune génération au pouvoir. C’est la manière la plus efficace de maintenir le pouvoir dans la même famille

Vers une politique plus ouverte ?

Selon Raoul Delcorde : "le père avait déjà appliqué une politique afin de sortir un peu de l’orbite russe. Le fils va donc s’en doute continuer ce que le père a déjà fait. Il est intéressant de noter que le pays en question a mille kilomètres de frontière avec l’Iran. Ils doivent tenir compte de leur grand voisin. Le président iranien s’est rendu il y a peu à Achgabat et un accord d’exportation de gaz a été signé entre les deux pays. Le Turkménistan va donc exporter son gaz vers l’Iran et ce dernier va exporter ce gaz vers l’Azerbaïdjan pour ainsi moins dépendre de la Russie ou de la Chine, avec laquelle la majorité des exportations ont lieu."

 

Des relations qui s’étendent aussi avec la Turquie qui occupe une place importante dans les échanges commerciaux. Quant à la Chine, elle s’appuie sur la rente gazière du gaz turkmène qui traverse le pipeline trans Adriatique vers l’ouest de la Chine. Ils sont tous deux impliqués dans le BRI (Belt and Road Initiative), le nouveau projet de réseau régional de la nouvelle route de la soie.

Difficile alors de prédire quelle politique le jeune Serdar va-t-il mener : "c’est très difficile à dire. Je pense qu’il va y avoir un discours du changement, de la fraîcheur quelque part avec le fils succédant au père, mais est-ce que ça va se traduire dans une véritable ouverture du pays ? Pour moi cela reste très incertain. Il est possible que ce soit le cas, mais aucun élément tangible aujourd’hui ne permet vraiment de faire cette analyse parce que le côté structurel dévoile que c’est le clan, la famille et donc leurs alliées et leur réseau qui gardent le pouvoir" confirme Nicolas Gosset.

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