Ce 1er juillet, sur décret du président Recep Tayyip Erdogan, la Turquie se retire officiellement de la convention d’Istanbul, convention du Conseil de l’Europe et premier texte au monde contraignant les États à protéger les femmes des violences. Alors que les atteintes aux droits des femmes se multiplient dans ce pays, le mouvement féministe se renforce. De plus en plus de lycéennes le rejoignent.
Beste, Deniz (à gauche sur la photo ci-dessus) et Lara (tout à droite sur la photo) ont 17 ans. Elles sont lycéennes et féministes dans un pays qui, à compter de ce 1er juillet, ne reconnaît plus la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, la désormais bien mal nommée "convention d’Istanbul".
Pour Beste, le retrait de la Turquie a d’abord été un choc, puis un catalyseur. "Je ne m’y attendais pas du tout parce que je trouvais tragi-comique le simple fait qu’on puisse débattre de ce texte. Je considérais comme impossible qu’on retire des droits aux femmes dans un pays où le patriarcat est tellement prégnant et où tellement de femmes meurent chaque jour", raconte la jeune femme, qui parle d’une "énorme déception". Et d’ajouter : "Mais je crois que cette décision a poussé toutes les féministes à se mobiliser, car on se rend bien compte que c’est de pire en pire et qu’on doit arrêter ça toutes ensemble."
Depuis une dizaine d’années, le mouvement féministe prend de l’ampleur en Turquie. Elles font partie des rares à n’avoir pas déserté la rue sous l’effet de la répression de l’après-tentative de putsch de l’été 2016, qui asphyxie ou tétanise la société civile. Elles manifestent chaque 8 mars (journée internationale des femmes), chaque 25 novembre (journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes), chaque fois qu’un droit est en danger ou qu’un crime secoue les consciences. Et elles sont de plus en plus jeunes.
Je sais bien que le vrai problème n’a rien à voir avec la longueur de ma jupe
Avec sa robe courte et son refus de plier au discours sexiste et anti-féministe, Beste espère faire évoluer les regards en Turquie. "Je ne peux pas dire que je suis tranquille, mais je continue de porter des mini-jupes sans jamais tirer dessus pour les rallonger. Je sais bien que le vrai problème n’a rien à voir avec la longueur de ma jupe… Quoi que je fasse, quoi je porte, si quelqu’un veut m’attaquer, il m’attaquera", fait valoir la jeune femme.
Son amie Deniz dit ne ressentir "aucune peur". "Au contraire, cela m’encourage de voir tant de femmes lutter pour leurs droits. Beaucoup sont tuées parce qu’elles ont voulu divorcer et que leur mari refusait. Elles divorcent alors même qu’elles savent qu’elles subiront encore plus de violences, elles luttent malgré les risques. C’est une grande source d’inspiration et de motivation."
"Aujourd’hui, le gouvernement lui-même parle de 'féminicides'"
Selon la plateforme "Nous stopperons les féminicides", au moins 300 femmes ont été tuées par un homme en 2020, tandis que la mort de 171 autres a été jugée "suspecte".
Ces lycéennes ont en commun d’être "entrées" dans le féminisme à un moment où le gouvernement turc ne cesse de rogner les droits acquis. Pour autant, toutes se décrivent comme optimistes.
"Grâce à notre plateforme et aux luttes féministes en général, nous avons remporté beaucoup de victoires ces dix dernières années", affirme Lara. "Dire que la Turquie revient en arrière, ce serait minimiser ou ignorer notre lutte", souligne la jeune femme, qui observe qu'"aujourd’hui, le gouvernement lui-même parle de 'féminicides' et se sent contraint de publier des statistiques officielles. De mon point de vue, le simple fait que ce pouvoir reconnaisse la réalité des féminicides est une grande victoire pour nous. Nous en gagnerons d’autres !"