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Turquie : la condamnation du maire d’Istanbul éviterait à Recep Erdogan un affrontement électoral potentiel

Des sympathisants du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, devant le tribunal, le 14 décembre 2022.

© 2022 Getty Images

Un coup de tonnerre pour l’opposition turque : la condamnation du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu mercredi à deux ans, sept mois et 5 jours de prison et à la suspension de ses activités politiques pour une durée équivalente a provoqué la colère en Turquie. Plusieurs dizaines de milliers de personnes s’étaient réunies à Istanbul jeudi.

Ekrem Imamoglu n’est pas n’importe qui. Figure centrale de l’opposition turque, cet homme charismatique se positionnait en rival potentiel du président Recep Tayyip Erdogan. Membre du Parti républicain du peuple, le CHP, parti qualifié de gauche nationaliste, il était devenu la bête noire de l’AKP, le Parti de la justice et du développement, parti du président turc, après avoir remporté la mairie d’Istanbul aux élections de mars 2019, privant pour la première fois depuis 25 ans l’AKP de ce poste politique prestigieux. Cette élection a d’ailleurs été invalidée par le pouvoir turc, mais la mobilisation des Stambouliotes a donné, trois mois plus tard, une victoire encore plus grande à Ekrem Imamoglu.

Et c’est justement l’annulation des élections du 31 mars qui est au centre de la condamnation du maire de la capitale. Répondant à une forte critique du ministre turc de l’Intérieur, qui le traitait d’idiot et qui l’accusait de critiquer la Turquie à l’étranger, Ekrem Imamoglu avait eu cette réponse : "Les idiots, aux yeux de l’Europe et du monde, ce sont ceux qui ont annulé les élections du 31 mars." Les "idiots", pour la justice turque, ce sont les membres du Haut conseil électoral, ce qui fait du maire d’Istanbul un homme qui aurait insulté des hauts fonctionnaires.

Dans un communiqué, l’Union belge de Solidarité du CHP (le parti d’Ekrem Imamoglu) ne mâche pas ses mots. "Cette décision, qui a été prise hier, ne peut être définie comme une sanction infligée uniquement au maire. Cette décision est l’exemple le plus évident de l’ingérence dans le système judiciaire par le parti au pouvoir contre la volonté du peuple d’Istanbul", peut-on y lire.

Inquiétudes de la ministre belge des Affaires étrangères

La condamnation d’Ekrem Imamoglu a suscité une série de critiques internationales : des Etats-Unis à Berlin en passant par la France, de sérieuses inquiétudes sont exprimées.

La ministre belge des Affaires étrangères, Hadja Lahbib était en visite en Turquie au moment de la condamnation. Elle a exprimé vendredi son soutien au maire d’Istanbul. En déplacement à Istanbul, Hadja Lahbib s’est d’ailleurs entretenue vendredi avec Ekrem Imamoglu, lors d’une rencontre planifiée de longue date.

Mais cet entretien a pris une autre importance après la condamnation du maire, et a quelque peu crispé, lors d’une conférence de presse commune, son homologue, le ministre turc des Affaires étrangères, Melvut Cavusoglu, selon ce que la ministre nous en dit. "Ma rencontre avec le maire d’Istanbul était prévue de longue date, nous explique Hadja Lahbib. Il se trouve que j’ai atterri quelques heures avant l’annonce de cette sentence que j’ai jugée disproportionnée, et j’ai exprimé mon inquiétude, nous déclare-t-elle. C’est une inquiétude que j’ai exprimée à mon homologue, le ministre des Affaires étrangères, quand j’étais à Ankara."

La ligne droite avant des élections difficiles

L’écartement d’Ekrem Imamoglu de la vie politique pendant plus de deux ans l’empêchera, si son recours est refusé, de se présenter aux élections présidentielles qui se tiendront au mois de juin. Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis près de 20 ans, a, lui, déjà annoncé sa candidature à sa propre succession au printemps prochain, dans le contexte d’une sévère crise économique et d’une inflation de plus de 84%.

Le président turc ne s’est pas exprimé sur la condamnation du maire d’Istanbul, mais l’écartement de ce dernier pourrait lui éviter un affrontement électoral difficile.

Car, à quelques mois de ce nouveau rendez-vous électoral, la popularité du chef de l’État est en berne. Fragilisé par la crise économique et financière qui frappe la Turquie, il tente par tous les moyens de renverser le sentiment négatif qu’il inspire désormais à un nombre croissant de concitoyens. En 2011, l’AKP avait raflé près de 50% des suffrages.

À la veille des élections législatives et présidentielles de juin 2023, les sondages ne créditent plus le parti conservateur que de 36% des voix. Le Raïs, surnom du président Erdogan dans le pays, ne convainc plus comme avant. Et à la crise économique, s’ajoute le ressentiment face à la présence des réfugiés syriens.

La tentation du chef de l’Etat est donc grande de tout essayer pour restaurer son image de sauveur du pays.

C’est de cette façon qu’il est aussi possible d’expliquer ses positions diplomatiques. Après l’attentat de l’avenue Istiklal à Istanbul, le président turc menace militairement et attaque les Kurdes de Syrie et d’Irak. Dans la guerre en Ukraine, il se positionne en conciliateur, parlant tant aux uns qu’aux autres. Dans la crise de l’OTAN, il met sur la table ses exigences face à des alliés obligés de le suivre pour intégrer la Finlande et la Suède.

Recep Tayyip Erdogan prépare ses rendez-vous de politique intérieure, et comme l’explique Gönül Tol, analyste citée par Le Monde : "C’est un populiste dans le sens où il utilise précisément différentes idéologies pour arriver à la seule chose qui compte pour lui, se maintenir au pouvoir. Il ne pense, n’agit et ne voit le monde qu’à travers cette unique lentille. En bon pragmatique, il classe, compartimente, règle les problèmes au cas par cas, et qu’importent les contradictions du moment tant qu’il garde la main."

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