Guerre en Ukraine

Ukraine : un enfant forcé de fuir le pays chaque seconde, "À la maison, j’avais peur constamment"

Des enfants ukrainiens arrivent au poste frontière de Zosin-Ustyluh (Ukraine-Pologne), le 6 mars 2022.

© Daniel LEAL / AFP)

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Par Eric Destiné

Il y a 86.400 secondes sur une journée. La guerre dure depuis une vingtaine de jours – il y a donc bien aujourd’hui pratiquement un enfant par seconde qui est forcé de fuir l’Ukraine. 55 enfants par minute pour être précis. Soit déjà plus d'1,4 million mineurs lancés malgré eux sur les routes de l’exil selon les chiffres de l’UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance.

Aujourd’hui, près de la moitié des 3 millions de réfugiés qui ont quitté l’Ukraine tant bien que mal sont donc des enfants. Un constat glaçant car au-delà des chiffres, ce sont potentiellement autant de destins brisés. En tout cas autant de traumatismes qu’il faudra écouter, prendre en charge et parfois même soigner.

Un enfant a dessiné un cœur sur la vitre du car venu d’Ukraine qui arrive sur le sol polonais. Le 14 mars 2022.
Un enfant a dessiné un cœur sur la vitre du car venu d’Ukraine qui arrive sur le sol polonais. Le 14 mars 2022. © LOUISA GOULIAMAKI / AFP

Une première prise en charge psychologique

Les pays limitrophes de l’Ukraine sont en première ligne pour constater les dégâts. Certains enfants qui débarquent, après un voyage chaotique, sont déjà très marqués. Ils ont souvent quitté précipitamment des bombardements massifs, ils ont laissé leur vie derrière eux sans toujours comprendre pourquoi.

En Pologne, de loin le premier pays confronté à cet afflux massif de réfugiés venus d’Ukraine (1,89 million au moins), des structures doivent se mettre en place au mieux pour accueillir et encadrer tous ces enfants.

A Varsovie, la capitale, un immeuble de six étages a été reconverti en centre d’aide médical pour les réfugiés qui ont besoin d’une assistance spéciale au niveau psychologique. Ce sont des professionnels volontaires, notamment de la santé mentale, qui se trouvent sur place.

Sur les 400 personnes venues d’Ukraine actuellement suivies dans ce bâtiment, plus de la moitié sont des enfants.

Bogdan, 7 ans, et sa maman, dans un centre de prise en charge des réfugiés venus d’Ukraine à Varsovie (Pologne). Le 15 mars 2022.
Bogdan, 7 ans, et sa maman, dans un centre de prise en charge des réfugiés venus d’Ukraine à Varsovie (Pologne). Le 15 mars 2022. © APTN

"Je ne veux pas que la Russie nous prenne"

Assis sur les genoux de sa maman, Bogdan, 7 ans, est plutôt agité. "C’est la guerre en Ukraine", explique-t-il en faisant de grands gestes. "La Russie fait la guerre à l’Ukraine", précise le jeune garçon qui a dû fuir son pays récemment. "Je ne veux pas que la Russie nous prenne", lance-t-il sur le ton du désespoir, au journaliste de l’agence AP qui l’interroge.

"Les volontaires qui s’occupent de nous sont très bien", explique Julia Kolesnik, la maman de Bogdan. "Maintenant, je prépare mes enfants pour qu’ils puissent aller à l’école. Ensuite, je vais essayer de penser à plus long terme. Je veux retourner en Ukraine. J’ai ma famille là-bas, les parents sont toujours là. Mon autre fils aussi et mon mari. Nous voulons vraiment rentrer".

Rescolariser les enfants malgré la barrière de la langue

Aux côtés des psychologues et des médecins se trouvent aussi des travailleurs sociaux, qui sont notamment chargés de prendre contact avec les écoles à proximité pour que ces enfants puissent retrouver au plus vite un encadrement scolaire et des contacts. Mais ce n’est pas une tâche facile.

Irina Panasevicz est volontaire à Varsovie : "J’ai parlé aujourd’hui avec quelques directeurs d’écoles. Les enfants ont beaucoup de problèmes d’adaptation dans les classes car les cours sont donnés en polonais. Et la grande majorité des enfants venus d’Ukraine ne parlent pas le polonais du tout".

Lailiya, 10 ans, joue dans un centre de prise en charge des réfugiés venus d’Ukraine à Chisineau (Moldavie). Le 15 mars 2022.
Lailiya, 10 ans, joue dans un centre de prise en charge des réfugiés venus d’Ukraine à Chisineau (Moldavie). Le 15 mars 2022. © APTN

"A la maison, j’avais peur constamment"

En Moldavie, où le flux de réfugiés est aussi sans précédent, la réalité est exactement la même. Dans le principal centre d’accueil pour les gens venus d’Ukraine de Chisinau, la capitale moldave, la partie réservée aux enfants est particulièrement soignée et décorée.

Un petit coin de bonheur éphémère pour Lailiya, 10 ans, rencontrée par l’agence APTN. Elle est arrivée en Moldavie il y a quelques jours avec Tamara, sa maman. "A la maison, j’avais peur constamment car nous passions toutes nos journées dans les couloirs et à la cave", explique Lailiya. "Ici, c’est mieux. On peut au moins dormir en paix."

La psychologue Irina Purcari au travail avec des enfants réfugiés ukrainiens, à Chisineau (Moldavie). Le 15 mars 2022.
La psychologue Irina Purcari au travail avec des enfants réfugiés ukrainiens, à Chisineau (Moldavie). Le 15 mars 2022. © APTN

Gérer l’éloignement et la peur pour les proches

La psychologue Irina Purcari passe beaucoup de temps avec les enfants du centre et constate que beaucoup sont "très inquiets" lorsqu’ils arrivent ici. Les visages sont souvent fermés. "Si on leur fait un sourire, ils vont parfois dire bonjour ou dire leur nom. Mais nous sommes toujours obligés de faire le premier pas pour permettre de faire baisser leur niveau d’anxiété".

Comme énormément d’enfants dans le cadre de cette guerre, Lailiya, la fille de Tamara, a dû quitter son papa avant de prendre la route de la Moldavie pour se mettre à l’abri. Un moment particulièrement douloureux que les professionnels de la santé mentale doivent aussi prendre en compte. "Les enfants parlent de leur papa, mais pas en évoquant un contexte d’hostilités. Plutôt de manière générale. Ils essayent de se remémorer un environnement plus calme", explique Irina Purcari.

Paolo Guidone de l’association italienne de volontaires « Ricoclaun » est à la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie pour tenter de réconforter les enfants. Le 15 mars 2022.
Paolo Guidone de l’association italienne de volontaires « Ricoclaun » est à la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie pour tenter de réconforter les enfants. Le 15 mars 2022. © APTN

"Cela ne vous sauve pas. Mais ça vous aide beaucoup"

A Siret, à la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie, Paolo Guidone est, lui, là pour faire rire les enfants. Il travaille pour l’association italienne de volontaire "Ricoclaun". D’habitude, il réconforte les enfants malades dans les hôpitaux en Italie où il passe de chambre en chambre faire ses numéros de clown. Mais ici, l’urgence est telle qu’il a fait le déplacement jusqu’en Roumanie.

Avec son collier de fleurs, son bonnet de cuir et son nez rouge, Paolo veut donner une bulle d’air à tous ces enfants qui viennent de passer des journées indescriptibles. Bricolages de ballons de baudruche et sketch improvisés sont au programme sur le parking où d’autres bénévoles distribuent de la nourriture aux flux incessants de réfugiés.

"A cet instant, pour ces enfants, quelques minutes de bonheur, de blagues, de jeux, c’est comme un petit verre d’eau dans le désert", explique-t-il à l’agence AP. "Cela ne vous sauve pas. Mais ça vous aide beaucoup".

Un enfant venu d’Ukraine dort sur une table à la gare de Berlin (Allemagne). Le 11 mars 2022.
Un enfant venu d’Ukraine dort sur une table à la gare de Berlin (Allemagne). Le 11 mars 2022. © Paul Zinken (c) Copyright 2022, dpa (www.dpa.de).

Et pour les mineurs non accompagnés ?

Bernard De Vos est le délégué général aux droits de l’enfant en Belgique. Interrogé par Martin Bilterijs de la RTBF, il plaide pour un enregistrement rapide des mineurs non accompagnés qui ont été forcés de quitter l’Ukraine. Il faut "un enregistrement le plus précoce possible, si possible à la frontière ukrainienne, et des déplacements sécurisés le plus possible. Rien n’empêche un Etat de se déplacer avec des bus militaires ou de la protection civile pour aller chercher des enfants".

Car si la solidarité citoyenne est indispensable et permet souvent de sauver ces enfants de l’errance, Bernard De Vos met en garde. "J’ai eu personnellement des demandes d’associations qu’on ne connaissait pas, qui voulaient prendre en charge 60 ou 80 enfants orphelins et qui demandaient une sorte de sauf-conduit". Ces associations disaient que "ces enfants seraient pris en charge par des familles d’accueil". Mais "dans quelles conditions et pour quoi faire ? C’est toujours un peu inquiétant".

Une mère et son enfant attendent pour passer la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie, le 26 février 2022.
Une mère et son enfant attendent pour passer la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie, le 26 février 2022. © Tous droits réservés

La Roumanie : source d’inquiétudes

Sandrine Cnapelinckx est directrice de la fondation Samilia, une association qui agit pour alerter les victimes potentielles face à la traite qui vise les populations les plus vulnérables en vue de les exploiter. Son but : faire reculer les phénomènes de traite des êtres humains.

"La Roumanie est le premier pays pourvoyeur de victimes de traites en Europe", explique-t-elle. Il y a là-bas "une présence importante de réseaux organisés qui ont des ramifications dans certains pays où sont acheminées les victimes, dont la Belgique". Ces arrivées massives d’enfants doivent donc être surveillées.

Cette fondation prépare d’ailleurs pour l’instant une opération de sensibilisation sur place, à la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie, pour informer les personnes les plus vulnérables.

Encore des centaines d’enfants déplacés

En moyenne, le temps de lecture de cet article est de 6 minutes. Depuis que vous avez commencé à lire, il y a 6 minutes, 330 enfants qui habitaient en Ukraine ont encore été forcés de quitter leur pays pour fuir ce conflit qu’ils n’ont pas choisi.

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