Monde Europe

Un an après le naufrage : les migrants sont de plus en plus nombreux à Calais pour tenter la traversée dangereuse vers l’Angleterre

Au-delà de la mer : l’espoir pour des milliers de personnes exilées

© Françoise Berlaimont RTBF

Il y a un an, le 24 novembre 2021, vingt-sept personnes mourraient noyées dans la Manche. Elles étaient en majorité kurdes, mais aussi afghanes, éthiopiennes, somaliennes, égyptiennes et vietnamiennes.

Ces personnes, âgées de sept à quarante-six ans, tentaient de rejoindre l’Angleterre depuis Calais. Les garde-côtes français et britanniques ont ignoré leurs nombreux appels au secours. Un an après, rien n’a vraiment changé. Les candidats à l’asile en Grande Bretagne sont de plus en plus nombreux et toujours autant pourchassés. La France et la Grande Bretagne ont renouvelé leur accord pour empêcher à tout prix le passage des réfugiés.

Des migrants tentent de se réchauffer autour d’un feu de bois fourni par une association
Des migrants tentent de se réchauffer autour d’un feu de bois fourni par une association © Françoise Berlaimont RTBF

Les nouveaux "Dubliners"

Ils attendent patiemment en essayant de s’abriter de la pluie fine et glaçante qui tombe sur Calais. Ils sont jeunes, viennent majoritairement du Soudan et d’Erythrée, ont froid et faim. Ils attendent la distribution alimentaire assurée dans cette zone industrielle par l’une des associations. Avec leurs quelques mots d’anglais, ils expriment leur amertume mais s’accrochent à leur objectif final : la Grande Bretagne, dont la frontière officielle est à Calais et gérée par les autorités françaises.

La file pour la distribution alimentaire

Tagidi, un Soudanais de 25 ans, connaît quelques mots de français appris pendant son escale à Paris. Pourquoi ne demande-t-il pas l’asile en France ?

"Je suis dubliné en Italie", explique-t-il, ce qui signifie qu’il a été enregistré dans le premier pays européen où il a mis les pieds. Impossible de demander l’asile dans un autre pays européen, sauf en Grande-Bretagne qui est sortie de l’Union européenne. Au campement de Grande Synthe, à 38 kilomètres de Calais, les Kurdes et Afghans partagent la même misère.

Khosal est, lui, dubliné en Autriche. Il parle un anglais impeccable. "Mon seul but est d’arriver en Grande-Bretagne afin de travailler comme interprète pour mes compatriotes et envoyer de l’argent à ma famille restée en Afghanistan pour résoudre leurs problèmes". Mais les passeurs demandent beaucoup d’argent, entre deux mille et trois mille euros, que Khosal n’a pas.

Un campement à Calais
Un campement à Calais © Françoise Berlaimont RTBF

La bénédiction des bénévoles

Anne a stationné sa voiture à quelques mètres à l’entrée du camp et aussitôt des têtes plongent dans son coffre. "Je recueille des dons de vêtements chauds, je les trie dans mon garage et puis je viens les distribuer. Chacun prend ce dont il a besoin". Elle fait partie des centaines de bénévoles qui, chacun à leur façon, essaient de soulager la grande misère des personnes exilées, toujours en s’associant à une organisation. A quelques mètres de là, Pierre a installé son camping-car. Il propose une douche trois fois par semaine à ceux qui le désirent. "Quand j’ai constaté qu’il n’y avait ni eau courante, ni toilettes, ni électricité, j’ai proposé à ma femme de venir avec le camping-car".

Sans le soutien des nombreuses associations présentes à Calais et toute sa région, les migrants ne pourraient tout simplement pas survivre. "A Utopia 56, on fonctionne 24/24, 7/7, 365 jours par an grâce aux bénévoles sur le terrain. Nous avons un téléphone d’urgence pour les personnes exilées", explique Adèle Stouffs, la permanente. Il faut répondre aux nombreux besoins et orienter les personnes. "On fait aussi de la sensibilisation aux risques des traversées en mer ou par camion. On leur donne des conseils de sécurité pour réduire les risques". La mission d’Utopia 56 est aussi "d’interpeller les autorités pour qu’elles prennent leurs responsabilités car il y a toute une série de conventions et de lois qui protègent ces personnes". Vainement.

Des femmes et de jeunes enfants vivent dans les campements

Sans le soutien des nombreuses associations présentes à Calais et toute sa région, les migrants ne pourraient tout simplement pas survivre. "A Utopia 56, on fonctionne 24/24, 7/7, 365 jours par an grâce aux bénévoles sur le terrain. Nous avons un téléphone d’urgence pour les personnes exilées", explique Adèle Stouffs, la permanente. Il faut répondre aux nombreux besoins et orienter les personnes.

"On fait aussi de la sensibilisation aux risques des traversées en mer ou par camion. On leur donne des conseils de sécurité pour réduire les risques". La mission d’Utopia 56 est aussi "d’interpeller les autorités pour qu’elles prennent leurs responsabilités car il y a toute une série de conventions et de lois qui protègent ces personnes". Vainement.

Vue partielle d’un camp à Calais
Vue partielle d’un camp à Calais © Françoise Berlaimont RTBF

Des conditions inhumaines indignes de l’Europe

Les campements se forment loin du centre-ville, à la lisière des habitations et de la zone industrielle, entre champs et bosquets. Les tentes distribuées par les associations sont plantées directement dans la terre, qui se transforme en boue quand il pleut.

Les mini-commerces provisoires

A Grande Synthe, il y a même des femmes avec des jeunes enfants. Elles se mettent en retrait, sous les arbres, quand c’est possible. Des mini-commerces de biscuits, d’eau, de thé se mettent en place dans le camp. Un petit groupe de réfugiés afghans se prépare à manger sur des réchauds de fortune, qui fonctionnent au bois.

Cuisine de fortune
Cuisine de fortune © Françoise Berlaimont RTBF
De nombreuses blessures aux pieds

Angela est infirmière, vient de Suisse et est bénévole pour Médecins du Monde. "Je soigne à 90% des blessures aux pieds. Les kilomètres effectués dans de mauvaises chaussures, sans chaussettes, ou même parfois en tongs, occasionnent beaucoup de dégâts. Et puis, il y a les infections respiratoires avec le retour du froid, les maux de dos, et enfin les problèmes de peau avec des cas de gale, parfois très avancés".

Le manque d’hygiène entraîne beaucoup de problèmes de santé mais c’est inévitable quand il n’y a pas un minimum d’infrastructures.

Les démantèlements réguliers

La police passe tous les deux jours pour démanteler les maigres abris, une tente, un sac de couchage et des couvertures. Pierre, le bénévole qui offre des douches, a été témoin de ces descentes policières. "Les CRS bloquent le périmètre. Tant pis pour ceux qui sont partis à une distribution alimentaire. Ils ne retrouveront rien à leur retour". Pour Pierre, "il y a deux types de CRS : ceux qui laissent les réfugiés présents prendre leurs maigres affaires et les autres qui gueulent et qui malmènent. Avant ils bouffaient de l’Arabe, aujourd’hui c’est du Kurde. Les bulldozers rasent tout. On revient à zéro à chaque fois et on recommence".

 

Les dispositifs de sécurité à Calais

Le gouvernement français veut à tout prix éviter l’appel d’air. "En rendant l’endroit infernal, les gens vont arrêter de venir mais en fait, on voit bien que ça fait 30 ans que la frontière se militarise, qu’il y a de plus en plus de caméras, de barbelés, de policiers, un véritable laboratoire d’expérimentation ici à Calais. Au final, c’est énormément d’argent public qui est dépensé et pour aucun résultat", explique William feuillard, porte-parole de l’Auberge des migrants. Les gens viendront toujours à Calais puisque c’est le point de passage le plus court pour le Royaume Uni. "Tant que l’on n’offrira pas un accueil digne, comme pour les Ukrainiens, il y aura d’autres drames", affirme William Feuillard.

Vue sur le terminal de Calais
Vue sur le terminal de Calais © Françoise Berlaimont RTBF

Les Calaisiens

Gros Julot est un ancien pêcheur reconverti marchand de poissons sur les marchés. Ce Calaisien a toujours connu les passages clandestins. "Avant c’étaient de petits zodiaques, pas comme maintenant où ce sont des grandes embarcations. Les passeurs, ils s’adaptent, ils évoluent dans leurs méthodes. Les grilles et les barbelés, ça sert à rien", estime celui qui se fait appeler Gros Julot et vend des poissons sur le marché de Calais.

Jules, dit "Gros Julot", ancien pêcheur

"Ces gens, ce ne sont pas des sauvages, ce sont des humains. Ici, on traite mieux les animaux que ces gens-là. C’est inhumain de les laisser dans le froid et la pluie sans aucun abri. Moi j’ai travaillé la nuit à des moins dix, c’est impossible de se réchauffer si vous ne prenez pas une douche chaude".

Marie, une enseignante retraitée, se sent "abandonnée" et fustige la politique gouvernementale. Une majorité de Calaisiens comme Jules et Marie n’approuve pas le traitement indigne des réfugiés. "Les habitants qui ont plus de 40 ans ont toujours vu des personnes exilées et des camps". On les surnomme les "Kosovars", en référence aux premiers réfugiés dans les années 90". Les mesures sécuritaires sont faites pour rassurer mais ne résolvent rien", estime Marie.

Aujourd’hui, les passeurs organisent les passages en bateau sur 200 km de côtes, de la Belgique à la baie de Somme.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous