Guerre en Ukraine

Un an de guerre en Ukraine : la création d’un tribunal pénal international pour juger l’agression de l’Ukraine va-t-elle affaiblir la CPI ?

Un homme en survêtement de prison portant un masque de Vladimir Poutine lors d’un rassemblement devant l’ambassade de Russie lors de la Journée ukrainienne de l’unité à Varsovie, en Pologne, le 22 janvier 2023.

© Jaap Arriens/NurPhoto via Getty Images

L’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes provoque une onde de choc le 24 février 2022, il y a tout juste un an. Très vite, le président russe Vladimir Poutine est condamné de toute part, à l’exception notable de la Chine et de l’Inde. L’idée de juger l’agression contre l’Ukraine voit le jour tout aussi rapidement.

Le 28 février, soit quatre jours à peine après le début de l’offensive russe, le professeur de droit international Philippe Sands qualifie l’invasion de l’Ukraine comme le plus grave défi international de l’après deuxième guerre mondiale dans un article du Financial Times et propose de créer un tribunal pénal international pour juger "Poutine et ses acolytes" (Putin and his acolytes).

La publication de ce court article prend rapidement de l’ampleur. Très vite, l’idée est défendue par l’Ukraine elle-même. Suivront des spécialistes de droit international, des chefs d’États et de gouvernements, des représentants d’organisations internationales et d’ONG…

Un an plus tard, le débat sur la création d’un tribunal pénal international pour juger l’agression de l’Ukraine est plus vif que jamais et les problèmes juridiques auxquels il se heurte sont mieux connus. Des voix s’élèvent par ailleurs pour que la CPI, la Cour pénale internationale, joue sa partition.

L’immunité des dirigeants

L’objectif de ceux qui veulent créer un tribunal pénal international est de traduire en justice Vladimir Poutine et les hauts responsables de l’État russe pour juger l’agression contre l’Ukraine. Or, le droit international protège les dirigeants des États. Vladimir Poutine bénéficie ainsi d’une immunité tant qu’il est en fonction.

Une seule exception à cette immunité : que l’affaire soit jugée par une juridiction pénale internationale. Autrement dit, si un tribunal est créé pour juger l’agression de l’Ukraine, il devrait l’être par l’ONU, via un vote au Conseil de sécurité. Un scénario impossible dans la mesure où la Russie, membre permanent de ce conseil, opposerait son véto, sans compter que d’autres États pourraient faire de même ou s’abstiendraient (il faut une majorité de 9 États sur 15).

La légitimité du tribunal international

Si le Conseil de sécurité est bloqué, l’assemblée générale pourrait constituer une porte de sortie selon le professeur de droit international de l’ULB et coauteur d’une évaluation juridique sur le sujet pour le Parlement européen, Olivier Corten : "L’Assemblée générale de l’ONU pourrait déférer l’affaire à la CPI. C’est une interprétation très large mais c’est le prix à payer pour qu’on ait un véritable tribunal avec de vrais pouvoirs".

Olivier Corten ajoute que "ces problèmes juridiques ne sont pas que des problèmes techniques. Il s’agit aussi de problèmes de légitimité. Le dilemme, c’est soit on veut un tribunal légitime et il faut passer par l’ONU, soit on veut contourner le problème et on crée un tribunal entre l’Ukraine et ses alliés, mais alors ça n’apparaîtra pas comme un tribunal de la communauté internationale".

L’analyse de professeur de droit pénal et de procédure pénale à l’UCLouvain Damien Vandermeersch est similaire : "Je me pose des questions sur le modèle qui sera choisi parce qu’au niveau international, ce devrait être les Nations Unies mais ça me semble difficile… et au niveau national se posera quand même la question de la légitimité de la juridiction (juridiction mixte où siégeraient des juges nationaux (ukrainiens) et internationaux, ndlr)".

Deux poids, deux mesures ?

Si l’agression contre l’Ukraine est assez unanimement condamnée, le "deux poids, deux mesures" est par ailleurs mis en évidence par certains États du Sud. Ceux-ci déplorent que toute la communauté internationale doive se mobiliser pour condamner une agression quand elle vise un pays allié des Occidentaux alors que la même condamnation n’a pas lieu d’être quand les Occidentaux sont les agresseurs, par exemple quand les États-Unis et ses alliés ont envahi l’Irak en 2003.

Et la CPI ?

La CPI aussi est réticente à la création d’un tribunal pénal international ad hoc parce qu’elle serait elle-même contournée voire affaiblie. "Le problème ici, c’est que la cour pénale peut juger en Ukraine des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime de génocide mais pas le crime d’agression parce que les États n’ont pas voulu lui donner cette compétence […] Ce sont les États, y compris ceux qui veulent un tribunal spécial, qui ont tout fait pour que la cour pénale n’ait pas de pouvoir étendu pour juger l’agression", commente le professeur de droit international de l’ULB Olivier Corten.

En réalité, la CPI pourrait juger le crime d’agression mais les conditions sont telles qu’un dirigeant comme Vladimir Poutine ne pourrait y être jugé. Pour que la CPI juge un crime d’agression en effet, il faut l’accord du dirigeant de l’État concerné. Mis à part un changement de régime, un tel scénario est improbable.

Si la Cour pénale internationale ne peut pas juger Vladimir Poutine pour le crime d’agression, pourquoi ne pas le juger pour crime de guerre ? C’est la question que pose Damien Vandermeersch : "Là, la CPI est compétente. Elle pourrait déposer demain un mandat d’arrêt international en ce compris à l’égard de Poutine car il n’y a pas d’immunité devant la CPI. Et si on commençait par ce qui est le plus à portée de la compétence de la CPI ? J’ai un peu peur qu’en créant cette juridiction internationale (tribunal pénal international ad hoc, ndlr), on affaiblisse cette compétence de la CPI. Si le but est de mettre en accusation Vladimir Poutine, la seule voie réaliste, c’est la CPI".

© Quentin Vanhoof – RTBF

Le coût

La question du coût financier pèse également dans le débat sur la création d’un tribunal pénal international pour juger l’agression de l’Ukraine. Comme le montre le tableau ci-dessus, de tels tribunaux sont onéreux. Le moins cher est celui créé pour juger l’ancien président tchadien Hissène Habré (11 millions de dollars) et le plus cher est le tribunal spécial des Nations Unies pour le Liban chargé de poursuivre les responsables de la mort de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri, dont le budget est évalué à ce jour à 800 millions de dollars.

Philippe Sands interrogé ce vendredi 24 février 2023, dans Matin Première :

Matin Première : itv Philippe Sands

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