Guerre en Ukraine

Un an de guerre en Ukraine : l’Europe au cœur de la recherche de preuves contre des milliers de criminels de guerre

Les corps de civils dans la ville de Boutcha, au nord-ouest de Kiev le 2 avril 2022.

© Photo by RONALDO SCHEMIDT / AFP

Le 24 février 2022, le président russe Vladimir Poutine lançait son "opération militaire spéciale" contre l’Ukraine. Une invasion massive et meurtrière. Un an plus tard, la justice ukrainienne a identifié plus de 71.000 crimes de guerre présumés. Pour faciliter les enquêtes et, un jour, juger les responsables, l’Union européenne a mobilisé Eurojust, son agence de coopération judiciaire. Elle faisait aujourd’hui le bilan d’un an de guerre.

Boutcha comme déclic

En mars 2022, très tôt après le début du conflit, le monde découvrait les atrocités commises à Boutcha, une petite ville proche de Kiev, que l’armée russe venait d’abandonner. Les images montraient des passants abattus, gisant dans les rues, parfois encore sur une bicyclette. Au total, 458 corps sont retrouvés. Le sort de cette ville martyre a poussé l’Union européenne à agir. Elle a mis Eurojust à la disposition de l’Ukraine. Créée en 2002, basée à La Haye, aux Pays-Bas, cette agence a pour mission de soutenir et de coordonner l’action de ses pays membres dans leur lutte contre le crime organisé. Parmi eux, il y a l’Ukraine qui a signé avec Eurojust un accord de coopération dès 2016.

71.000 crimes de guerre présumés

"Cela fait un an que la Russie a envahi l’Ukraine, que les atrocités et les destructions causées par la Russie sont colossales et sans fin. Des millions de personnes ont été forcées de tout abandonner derrière elles. Des tirs massifs de missiles détruisent les infrastructures civiles. Ces dommages ne peuvent pas être réparés. Mais ce que nous pouvons faire, c’est nous assurer que les responsables soient traduits en justice", a déclaré Myroslava Krasnoborova, procureure de liaison pour l’Ukraine à Eurojust lors d’une conférence de presse à la Haye ce jeudi 23 février.

Un bâtiment civil détruit dans la ville de Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine, le 29 novembre 2022.
Un bâtiment civil détruit dans la ville de Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine, le 29 novembre 2022. © Photo by STRINGER / AFP

Et les chiffres qu’elle a annoncés par la suite révèlent l’ampleur du travail que la justice ukrainienne aura à accomplir.

A ce jour, on a enregistré plus de 71.000 crimes de guerre présumés.

"276 personnes ont été inculpées. 99 personnes ont déjà été envoyées devant les tribunaux et 26 verdicts pour crimes de guerre ont été prononcés." Les condamnations portent notamment sur des faits de viols, de pillages, des traitements cruels imposés à des civils.

Une équipe d’enquête commune

Pour aider l’Ukraine à traquer et condamner les coupables de ces crimes, Eurojust a déployé plusieurs outils. Dès le mois de mars 2022, l’agence européenne de coopération judiciaire a soutenu une "Equipe d’enquête commune" créée par l’Ukraine, la Lituanie et la Pologne. Les procureurs et les policiers membres de cette équipe collectent des preuves et se les partagent pour faciliter les enquêtes sur des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et d’autres principaux crimes internationaux.

Eurojust est l’agence de coopération judiciaire de l’Union européenne.
Eurojust est l’agence de coopération judiciaire de l’Union européenne. © Photo by Kenzo TRIBOUILLARD / AFP

Eurojust fournit une aide opérationnelle, analytique, juridique et financière à cette "Equipe d’enquête commune" qui, avec le temps, joue un rôle de plus en plus important. Depuis avril 2022, elle coopère avec le bureau du procureur de la Cour Pénale Internationale. En avril 2022, l’Estonie, la Lettonie, la Slovaquie et, plus tard encore, la Roumanie ont rejoint cette équipe.

Centraliser et sécuriser les preuves

La guerre en Ukraine a également poussé l’Union européenne à renforcer le mandat d’Eurojust. Désormais, si l’agence ne peut toujours recueillir elle-même des preuves sur le terrain, elle peut stocker les éléments de preuve récoltés par ces pays membres et ses partenaires, comme des images satellites, des photographies, des vidéos, des enregistrements audio, des profils ADN et des empreintes digitales. Eurojust peut également analyser ces éléments et les partager avec des autorités judiciaires nationales et internationales, y compris la Cour pénale internationale.

Pour gérer au mieux ces éléments de preuve, Eurojust a créé cette année une banque de donnée centralisée appelée CICED (Core International Crimes Evidence Database). Cet outil est censé garantir la transmission et la sauvegarde en toute sécurité. Et d’ici l’été prochain, le CICED devrait disposer des outils d’analyse performants. Pour le président d’Eurojust, Ladislav Hamran, ce nouvel outil numérique présente des avantages multiples. Tout d’abord, il offre "la possibilité d’un stockage sécurisé en dehors d’un conflit armé peut empêcher la perte de preuves". Mais plus que ça, ce serait un "game changer", il va clairement changer la donne.

C’est très important pour la qualification juridique des crimes, car nous pouvons maintenant nous attaquer à différents crimes et, bien sûr, à différents auteurs.

Un autre avantage du CICED est l’identification précoce d’enquêtes parallèles. Car, aujourd’hui, en plus des enquêteurs ukrainiens, il y a sur le terrain les enquêteurs de la Cour pénale internationale et des enquêteurs de 21 autres Etats, dont 14 membres de l’Union européenne comme l’Allemagne, la France, la Suède ou l’Espagne et hors Union, comme les Etats-Unis et le Canada. Tous ces états envisagent d’intenter des poursuites sur base du principe de "compétence universelle". Le CICED va donc permettre "d’identifier de manière précoce les enquêtes parallèles et des doublons, ce qui va conduire à une utilisation efficace des ressources et réduire le risque d’erreurs juridiques". Le dernier des bénéfices est "pour les victimes interrogées afin d’éviter de les faire souffrir deux fois en leur imposant des entretiens répétés".

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Autre nouveauté, Eurojust va prochainement accueillir dans ses murs le Centre international de coordination pour la poursuite du crime d’agression. "Le centre fera partie de la structure de soutien de l’Equipe d’enquête commune existante et se concentrera sur la collecte et l’analyse et la préservation des éléments du crime d’agression commis contre l’Ukraine", selon les explications de Margarita Sniutytè-Daugèlienè, la vice-présidente d’Eurojust. Il s’agirait donc d’une sorte de parquet international qui aurait pour mission de recueillir des preuves d’agression imputable à hauts dirigeants russes, à commencer par le président Vladimir Poutine.

Agir vite

Enfin, au siège d’Eurojust se trouve le "Réseau Génocide", un réseau d’experts européens sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides, un savoir qu’ils partagent avec les Etats membres, ils forment des magistrats nationaux sur ce type de crimes ou proposent des lignes de conduite destinés à des représentants de la société civile qui récoltent également des preuves sur le terrain qu’elles ne s’avèrent pas irrecevables devant la justice.

Un an après le début de l’invasion russe, les combats font toujours rage en Ukraine. Jour après jour, le nombre de crimes augmente, façon " boule de neige ", comme le disait aujourd’hui l’ukrainienne Myroslava Krasnoborova. Sécuriser un maximum de preuves en temps réel permettra qu’un maximum de crimes de guerre soient jugés.

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