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Un colloque au parlement bruxellois pour entendre les voix des aides-ménagères

Un colloque au parlement bruxellois pour entendre les voix des aides ménagères. Photo d'illustration.

© Getty Images

Par Camille Wernaers pour Les Grenades

"On n’y arrive plus. On travaille pourtant, et nos corps en sont meurtris juste pour que nos patrons fassent des bénéfices. On doit répéter des gestes, on doit tenir une certaine cadence. Nous tombons malades". Salima (nom d’emprunt) à 45 ans et est aide-ménagère depuis 11 ans. "J’ai un peu trop d’expérience", reprend-elle avec humour. Elle prendra la parole devant les député·es et le grand public lors du colloque organisé au sein du parlement bruxellois ce 9 juin et intitulé "Aides-ménagères, vous êtes essentielles !" (accessible au grand public via Facebook).

"Je suis stressée mais je veux faire entendre nos voix. Je vais déverser toute ma colère de n’avoir jamais été entendue toutes ces années", explique-t-elle. Déléguée syndicale dans son entreprise, elle explique "parler à un mur" lorsqu’elle évoque les situations que rencontrent les travailleuses des titres-services.

Et ce mot peut être laissé au féminin : sur les 150.000 personnes employées en Belgique par le secteur des titres-services, 98% sont des femmes. 24% d’entre elles ne sont pas nées en Belgique, 30% ont plus de 50 ans et 46% sont peu qualifiées. Une étude de l’ULB en 2018 montre que la probabilité d’être en incapacité de travail à long terme est de 260% pendant les 5 années qui suivent l’embauche. "Ce travail ménager est effectué en grande majorité par des femmes. Personne ne se soucie de nous. Beaucoup de clients ne font pas attention à nous. Il y a beaucoup de préjugés qui nous entourent, par exemple que nous ne serions pas intelligentes. Nous sommes également les parents pauvres du monde du travail", souligne quant à elle Marie-Virginie Brimbois, 48 ans, aide-ménagère et déléguée syndicale FGTB qui participera au colloque.

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Pas d’accord dans le secteur des titres-services

Le secteur des titres-services est d’ailleurs le seul à n’avoir pas encore conclu d’accord sectoriel pour la période 2021-2022. Malgré de nombreuses actions menées par les aides-ménagères pour une revalorisation salariale, Federgon (la fédération des entreprises de travail intérimaire et des titres-services) propose que la revalorisation de ces petits revenus se fasse avec la norme salariale de 0,4%.

Insuffisant, selon les syndicats CSC-FGTB-CGSLB rassemblés en front commun qui expliquent que la combinaison des bas salaires, des frais de déplacement élevés et des conditions de travail compliquées fait du métier d’aide-ménagère l’un des emplois les plus précaires en Belgique. Il n’y a pas d’accord non plus pour une augmentation de l’indemnité kilométrique qui reste pour l’instant de 13 cents/km. Or, de nombreuses aide ménagères utilisent leur voiture pour se déplacer entre leurs clients.

Selon la CSC Alimentation et Services, le salaire mensuel d’une aide-ménagère moyenne s’élève à 1279 euros brut, c’est-à-dire à 1170 euros net. "Trois aides ménagères sur quatre ont des difficultés financières", concluait une étude du syndicat chrétien en 2021. Et la situation des aides-ménagères est en train de se dégrader avec l’inflation en Belgique qui culmine à plus de 8%, le niveau le plus élevé depuis plus de quarante ans.

Dans ces conditions, "augmenter les salaires de 0,4%, c’est nous donner des cacahuètes", réagit Mare-Virginie Brimbois. "Quant à l’indemnité kilométrique, je connais des femmes qui doivent se mettre en congé maladie à la moitié du mois car elles en savent plus payer l’essence pour aller travailler. Nous avons aussi plus de femmes qu’avant, dont de nombreuses mamans solos, qui nous demandent des avances sur salaire. Avec l’inflation, des clients arrêtent également d’engager des aide ménagères, car c’est dur pour tout le monde, mais notre salaire dépend du nombre de clients que nous avons. La situation n’est plus tenable."

De son côté, Federgon précise que la marge financière des entreprises de titres-services est "minime". Certaines entreprises font payer aux clients un supplément de 10, 20 ou 30 euros (en plus du titre-service) pour "mieux rétribuer" les aides ménagères. "C’est difficile car des travailleuses perdent des clients de longue date à cause de cela", observe Salima.

On pense que les femmes qui travaillent dans le secteur du soin le font naturellement, qu’elles n’ont pas besoin de compétences pour le faire. Ce serait naturel pour les femmes de s’occuper des enfants ou de faire le ménage.

Pandémie et prise de conscience

A l’origine du colloque qui donnera la parole aux aides-ménagères, aux collectifs qui les accompagnent et aux syndicats, la députée bruxelloise Delphine Chabbert (PS) explique : "Comme tout le monde pendant la période du confinement, j’ai beaucoup réfléchi. J’ai l’impression qu’il y a eu des prises de conscience collectives, notamment sur la question des aide ménagères. Quand tout le monde s’arrêtait, elles ont continué à travailler comme de nombreux métiers du care, du soin, qui sont des métiers féminins."

Personne n’accepterait les conditions dans lesquelles ces femmes travaillent.

"J’ai un engagement féministe depuis longtemps dans mon travail et je pense qu’il est temps de donner la parole à ces femmes, elles ont des revendications précises, trois d’entre elles sont des déléguées syndicales et je trouve cela intéressant : les syndicats leur font une place, elles apprennent à lutter mais avec leurs propres mots et leurs propres outils de défense. Nous travaillons sur ce colloque depuis des mois et espérons qu’elles seront entendues et qu’il y aura un changement de regard de la société sur ces femmes. Ce qu’elles font est essentiel, nous avons besoin de lieux de vie et de travail propres".

Selon la députée, il y a un lien entre les conditions de travail du secteur et sa féminisation : "L’économiste Florence Degavre l’expliquera lors du colloque. On pense que les femmes qui travaillent dans le secteur du soin le font naturellement, qu’elles n’ont pas besoin de compétences pour le faire. Ce serait naturel pour les femmes de s’occuper des enfants ou de faire le ménage. Personne n’accepterait les conditions dans lesquelles ces femmes travaillent et pourtant elles doivent l’accepter et ce n’est pas sans conséquence sur leur santé mentale et physique.C’est un emploi d’une grande pénibilité."

Un secteur subventionné

Par ailleurs, le secteur des titres-services est subventionné à 70% par de l’argent public. "Il y a des entreprises privées qui en bénéficient. Comment est-ce que l’octroi de cet argent public n’est-il pas soumis à des conditions de travail décentes pour ces femmes ?", questionne Delphine Chabbert.

Le momentum politique autour du colloque est important : outre les négociations au fédéral concernant la revalorisation salariale, une réforme régionale des titres-services est sur table du gouvernement bruxellois pour améliorer les conditions de travail dans le secteur. "J’ai interrogé le ministre Clerfayt à ce sujet, il y a eu du retard dans l’avancée de cette réforme", précise Delphine Chabbert. En Wallonie, sous l’égide de la ministre de l’Emploi Christie Morreale (PS), une réforme du secteur a été votée par le gouvernement en 2021 qui prévoit de nouvelles obligations pour les entreprises, par exemple veiller à ce que la moyenne de la durée de travail des travailleuses titres-services atteigne au moins 19 heures par semaine pour leur garantir un salaire suffisant et offrir aux travailleuses chaque année au moins neuf heures de formation.

J’espère que ce colloque sensibilisera un grand nombre de citoyens à notre situation car cela les concerne aussi ! Le secteur des titres-services est financé avec leur argent, avec l’argent des impôts.

Des travailleuses "enfermées dans ce système"

"Le secteur des titres-services a été créé en 2001 pour sortir ces personnes du travail au noir et leur donner accès à la protection sociale mais aussi pour leur permettre d’évoluer dans leur carrière vers des métiers moins pénibles", rappelle Delphine Chabbert. "A ce sujet, on n’y est pas du tout ! Elles se retrouvent enfermées dans ce système et quand elles vont chez Actiris ou au Forem, on leur répond qu’elles n’ont pas accès aux formations car elles ont un emploi, en plus dans un métier en pénurie… En termes de politiques publiques, je trouve cela inadmissible, on maintient ces femmes dans des métiers pénibles et peu valorisés. Nous ferons attention à ce dossier, moi et d’autres députées bruxelloises sensibles au précariat féminin."

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La députée termine avec espoir : "Je suis membre d’un parti de la majorité à Bruxelles et au fédéral, les idées qui font fuser durant le colloque pourront aussi infuser au sein de mon parti. En plus d’avoir un minimum d’heures de travail garanti et une obligation de formation, je pense qu’il est important de prévoir aussi un contrôle des entreprises, avec un cahier des charges précis concernant les conditions de travail." Un contrôle qui sera compliqué selon Marie-Virgnie Brimbois : "Nous travaillons dans des domiciles privés, c’est là qu’on peut vraiment contrôler nos conditions de travail. Si nous étions à l’usine, les lois sociales s’appliqueraient mais comment les appliquer chez quelqu’un ?"

L’aide-ménagère continue : "J’espère que ce colloque sensibilisera un grand nombre de citoyens à notre situation car cela les concerne aussi ! Le secteur des titres-services est financé avec leur argent, avec l’argent des impôts. Et je veux encore dire que j’adore ce secteur, il est rempli de femmes et d’hommes formidables qui méritent la visibilité et le respect."

Aussi les travailleuses domestiques

En termes d’invisibilité, les travailleuses domestiques cumulent. Sans papier, elles n’ont pas accès au système des titres-services. Certains ménages aisés recrutent des jeunes femmes en séjour irrégulier pour profiter d’une employée à domicile à temps plein. Elles seront présentes au colloque avant leur grève du travail domestique, ce 16 juin à Bruxelles, pour la Journée internationale des travailleuses domestiques.

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L’impact du covid pour les aides ménagères – Un podcast Les Grenades série d’été

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