Monde Europe

Un demi-million de manifestants dans les rues de Varsovie : le vent est-il en train de tourner en Pologne ?

Donald Tusk et Lech Walesa, deux hommes forts de l’opposition

© Montage Claire Pineux

Par Isabelle Huysen

Monika fait partie des quelque 500.000 Polonais qui sont descendus dans les rues de Varsovie hier. C’était pourtant le jour de son anniversaire. Mais pour elle, il n’était pas question de le passer autrement qu’en participant à cette manifestation : "Quand je vois s’écrouler tout ce pour quoi mes parents se sont battus pendant des années, je ne peux pas rester indifférente et inerte", nous écrit-elle. 

"Depuis quelques années et plus exactement depuis que PIS (ndlr : il s’agit du parti Droit et Justice, parti de droite conservateur) est au pouvoir, nous participons à une vraie folie…

Monika nous donne quelques exemples de ce qu’elle appelle la folie actuelle : la politique polonaise très restrictive en matière d’avortement ou encore l’omnipotence du ministre de la justice, "qui est en même temps Procureur général !". Elle conclut par ces mots : "nous en avons marre de cette situation, de la manipulation de l’opinion publique par de fausses informations sur ce qui se passe réellement dans notre pays."

Il faut dire qu’hier, la télévision publique polonaise, la TVP, n’a pas diffusé d’images de cette manifestation. Comme l’écrit le Polska Newsweek, "nous avons pu voir un reportage direct du bord de mer, où les Polonais partent en masse grâce à des programmes gouvernementaux, une émission en direct du premier défilé national des cercles de ménagères rurales, auquel le maréchal Witek s’est produit, ou un discours de Jacek Sasin, ouvrant le festival Pologne depuis la cuisine de Łomża ". Étonnant ? Pas tant que ça quand on sait que la TVP est sous le contrôle de l’actuel gouvernement conservateur.

Les manifestants d’hier souhaitent clairement la fin de l’ère du parti PIS au pouvoir 2015. L’ampleur de la protestation, qui serait la plus importante depuis la chute du régime communiste en 1989, leur donne des raisons d’espérer. Mais leur espoir doit être nuancé.

De cruciales élections législatives en automne

Une marée humaine dans les rues de Varsovie
Une marée humaine dans les rues de Varsovie © AFP

Un demi-million de manifestants, c’est clairement une victoire pour celui qui a appelé à manifester. À savoir Donald Tusk, leader de l’opposition, président du parti PO (Plate-forme Civique) et ancien président du conseil européen. À ses côtés, il y avait un homme qui compte dans l’histoire de la Pologne : Lech Walesa, ancien Prix Nobel de la paix, figure légendaire du mouvement qui a contribué à la fin du régime communiste.

Cela pourrait amener à penser que Donald Tusk est désormais le grand favori pour les élections législatives qui auront lieu cet automne. Mais il faut se méfier, nous dit Jean-Michel De Waele, politologue à l’Université Libre de Bruxelles, spécialiste de l’Europe centrale et orientale : "Ces 500.000 personnes sont sans doute des partisans déjà acquis de l’opposition, ils viennent sans doute de grandes villes, comme Varsovie, Cracovie ou Poznan, qui sont pour la plupart déjà gérées par l’opposition. Très peu de ces manifestants viennent de la majorité de la Pologne, de petites villes. Nous oublions souvent les invisibles, les silencieux. Et ces personnes-là risquent plus de soutenir le PIS que l’opposition."

Pologne : manifestation massive contre le gouvernement à Varsovie (AFP 4/06/2023)

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Sur cette question, il fait un parallèle avec ce qui vient de se passer en Turquie avec la réélection de Recep Tayyip Erdogan ou ce qui s’est passé en Hongrie avec Viktor Orban : "dans ce genre de régime de plus en plus autoritaire, soit l’opposition est divisée et perd parce qu’elle est divisée, soit elle est unie mais dans une diversité gigantesque qui ne la rend pas crédible."

Selon le politologue, la grande faiblesse de l’opposition polonaise, c’est de ne pas avoir quelque chose de véritablement neuf à proposer : "on ne gagne pas une élection en étant contre, ce n’est pas suffisant. Il faut proposer quelque chose au niveau économique et social qui soit mobilisateur. Et il faut avoir le leader qui peut le faire."

Le problème de Donald Tusk, c’est aussi l’image qu’il a laissée dans la mémoire collective des Polonais quand il a été chef du gouvernement de 2007 à 2014. Jean-Michel De Waele rappelle que "quand il était au pouvoir, il a mené une politique ultralibérale et antisociale. Et c’est cette politique qui a permis à Jaroslaw Kaczynski de gagner les élections car il a proposé une politique sociale. Les zones en déshérence, les zones en crise ont été attirées par sa politique sociale."

Lors des prochaines élections législatives, il faudra aussi tenir compte du parti appelé Confédération qui a été lancé lors des élections européennes de 2019. Il s’agit d’un parti d’extrême-droite qui, aujourd’hui, est en troisième position dans les sondages. Il pourrait prendre des voix à l’actuel chef de gouvernement. "Mais l’électorat de M. Kaczynski est fait de citoyens des petites villes, de citoyens qui se sentent abandonnés, de citoyens habitant des zones en crise économique. La Confédération pourrait recevoir des voix d’une partie de la jeunesse, et des villes", explique le politologue de l’ULB.

De difficiles relations avec l’Union européenne

Il n’y a pas que ces manifestants qui sont inquiets. Les autorités européennes le sont régulièrement aussi. Ce fut encore le cas la semaine dernière lorsqu'à été promulguée une loi créant une commission d’enquête sur l’influence russe : les personnes visées allaient être interdites d’accès à des fonctions publiques pendant 10 ans.

Le commissaire à la Justice, Didier Reynders, a fait part de ses inquiétudes aux autorités polonaises : "cette nouvelle loi soulève de sérieuses inquiétudes en termes de conformité avec le droit de l’UE, car elle accorde des pouvoirs importants à un organe administratif qui pourrait être utilisé pour interdire à des individus d’exercer une fonction publique et qui pourrait donc restreindre leurs droits".

Même préoccupation du côté de Washington qui estime que "cette loi visant à créer une commission d’enquête sur l’influence russe pourrait être utilisée pour bloquer les candidatures des hommes politiques de l’opposition sans procédure régulière".

Cette loi a même reçu le surnom de loi Tusk car pour beaucoup, elle vise à empêcher l’arrivée du leader de l’opposition au pouvoir lors des prochaines élections législatives. Le tollé fut tel que le président polonais, Andrzej Duda, a décidé vendredi de modifier cette mesure par cette formule : une personne qui agit sous influence russe ne garantit pas un bon exercice des activités d’intérêt public.

Il y a eu d’autres sujets de discorde avec l’union européenne. Comme la restriction du droit à l’avortement, le droit des LGBTQIA +, la contestation de la suprématie du droit européen ou encore sa loi sur les médias. La liste des frictions est longue.

Mais la guerre en Ukraine a modifié les relations de la Pologne avec l’Europe. Pour Jean-Michel De Waele, "nous n’avons jamais eu autant besoin de la Pologne. Et certains, dans le gouvernement polonais, pourraient être tentés d’en profiter pour prendre des mesures en se disant que jamais ils n’oseront s’en prendre à la Pologne qui est au cœur de la résistance en Ukraine et de la lutte contre Poutine. Mais en même temps, la Pologne ne peut pas s’affaiblir et s’isoler si elle veut être un acteur majeur sur la carte européenne, ce qu’elle est avec la guerre en Ukraine", conclut l'expert.

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