Un dinosaure à la tribune de l’ONU pour implorer : "Ne choisissez pas l’extinction"

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Par Johanne Montay

La porte de la salle de l’assemblée s’ouvre, sur rai de lumière aveuglant. Le pas est lourd, pesant et sonore. Frankie, un dinosaure surgi du passé, apparaît dans la salle. Il fait trembler le sol du siège des Nations Unies. Les participants crient, effrayés. Pourtant, le dino qui franchit les travées n’est pas méchant. Il est venu parler à la tribune, de son extinction passée et de la nôtre à venir. Lui au moins, c’était à cause d’un astéroïde, qu’il a disparu il y a 66 millions d’années, nous dit-il. "Vous, quelle est votre excuse ?" lance-t-il à l’assemblée.

"Ne choisissez pas l’extinction"

Cette fiction en images de synthèse, plus vrai que nature, réalisée avec des acteurs, a été réalisée par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) pour demander aux dirigeants du monde d’intensifier leurs efforts en matière de lutte contre le changement climatique. "Don’t Choose extinction", "Ne choisissez pas l’extinction", voici le message adressé par le PNUD à quelques jours du début de la COP26 à Glasgow, la conférence des Nations Unies pour le climat.

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Cette campagne et ce film entendent mettre en lumière les subventions aux énergies fossiles qui ralentissent les progrès vers la fin du changement climatique, et bénéficient aux plus riches. D’après le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le monde dépense chaque année 423 milliards de dollars en subventions pour les combustibles fossiles (pétrole, électricité produite par combustion d’autres énergies fossiles, gaz, charbon). Le PNUD estime que cela pourrait couvrir le coût des vaccins contre le Covid-19 pour chaque personne dans le monde, ou payer trois fois le montant annuel nécessaire pour éradiquer l’extrême pauvreté dans le monde.

Extinction ? Ou "effondrement(s)" ?

Le terme "extinction" est-il un concept utilisé dans la littérature scientifique ? Non, pour Romain Weikmans, chercheur à l'Institut finlandais des affaires internationales, enseignement à l'ULB et spécialiste des politiques climatiques : "Dans la littérature scientifique, il n'est pas tellement question d'extinction de l'espèce humaine, en tout cas pas à court terme, pas pour les générations à venir. Ce dont il est question, dans une partie de la littérature scientifique, c'est d'effondrement. Au pluriel. Un certain nombre de travaux vont plutôt s'attarder sur des effondrements de la production industrielle, d'autres, sur des effondrements de la population humaine, par exemple."

Le rapport le plus ancien et le plus dramatique sur ces effondrements s’intitule "The limits to Growth" ou rapport "Meadows", du nom de ses principaux auteurs, remonte à 1972 : des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) avertissaient que dans un scénario de croissance économique constante (scénario BAU2, pour business as usual), si nous ne prenions pas en compte les coûts environnementaux et sociaux, nous assisterions passivement à l’effondrement de notre civilisation industrielle dans le courant de ce siècle. En 2040, ce serait l’apogée de la croissance, qui ensuite ralentirait, et provoquerait la diminution nette de la population, des ressources alimentaires et naturelles. Ce ne serait pas la fin de l’humanité, mais un tournant.

Un autre scénario tenait compte du fait que les progrès technologiques aideraient à limiter la pollution et à préserver l’alimentation (scénario CT, pour "technologie globale"). Ce modèle, moins dramatique, ne conduisait pas à un réel effondrement de notre civilisation, mais à un arrêt de la croissance mondiale d’ici une dizaine d’années.

Les réflexions sur la croissance économique, apparues dans ce rapport, ont fait naître le concept de développement durable. L’ouvrage a fait l’objet de deux mises à jour, l’une en 1992 (Beyond the Limits) et l’autre en 2004 (Limits to Growth. The 30-Year Update). Cette étude avait fait polémique, et a été critiquée, voire tournée en ridicule par des experts qui ont tordu ses conclusions et méthodes. Le principal reproche était qu'il basait le risque sur une échelle globale, là où les risques sont inégalement répartis. 

Et où on en est ?

Une chercheuse néerlandaise en développement durable, Gaya Herrington, également directrice dans le grand cabinet d’audit KPMG, aux Etats-Unis, a voulu voir où l’on se situait aujourd’hui, par rapport aux scénarios du rapport Meadows. Elle a effectué cette recherche à titre indépendant, dans le prolongement de sa thèse de maîtrise à l’Université d’Harvard. En novembre 2020, elle a analysé les données actuelles, les a comparées aux scénarios, et conclu que ça collait avec le rapport si controversé.

Ces données s’accordent d’après elle avec deux des modèles envisagés en 1972 par les chercheurs du MIT (le scénario à croissance inchangée, BAU2 et celui incluant la technologie comme facteur atténuateur, baptisé CT).

L’espoir d’une stabilisation

Un 3e scénario, plus optimiste, était envisagé par les chercheurs du MIT : celui d’un monde stabilisé (Stabilized World, SW). Dans ce scénario, les priorités changent et nous limitons volontairement notre croissance économique vers 2020, pour créer une société durable. 

© Herrington, adapté de Limits to Growth : The 30-Year Update

1,5 ° C mais gare au "deadlinsm"

Les efforts à accomplir sont, depuis l'accord de Paris, formulés en degrés. Par ce traité international contraignant adopté lors de la COP21 en 2015, 196 parties se sont engagées à limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2 °C, de préférence à 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. C'est ce cap qui va faire l'objet d'une évaluation au sommet de l'ONU sur le climat, la COP 26, à Glasgow. 

La définition d'un seuil est galvanisante et engage à l'action. Cependant, pour Romain Weikmans, spécialiste des politiques climatiques à l'ULB, il faut prendre garde au "deadlinism", une vision binaire où la deadline marquerait un cap fatal: "Cette façon de communiquer, l'urgence climatique - parce que l'urgence climatique, elle est là -, elle a aussi un certain nombre de risques. Le premier, c'est de penser qu'il est trop tard, qu'on ne peut plus rien faire, que tout est déjà perdu. Parce que, quand on se rend compte que pour rester sous les 1,5°C, il faudrait diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre mondiales d'ici 2030, on se rend bien compte de l'ampleur du chantier, en fait, de la quasi impossibilité d'y arriver ! Mais ce serait vraiment une grosse erreur, en fait, de penser qu'il est trop tard, parce qu'évidemment, chaque dixième de degré compte ! Il y a des choses qu'il est déjà trop tard pour sauver ; il y a un certain nombre d'impacts qui vont se produire et il est nécessaire de les anticiper, de s'y adapter. Mais il y a tout une série d'autres impacts auxquels on peut encore échapper grâce à des actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre très fortes."

Dernier bulletin

Pas plus tard qu’il y a deux jours, cependant, l’ONU tirait la sonnette d’alarme sur les gaz à effet de serre : dans son dernier bulletin, l’Organisation météorologique mondiale, une de ses agences, montrait qu’en 2020 encore, les concentrations des trois principaux gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique (dioxyde de carbone, méthane et protoxyde d’azote) ont atteint un sommet, malgré la pandémie de Covid-19 qui a ralenti l’économie.

Le taux d’augmentation annuel de ces concentrations a même dépassé la moyenne de la période 2011-2020. L’agence a conclu qu’à ce rythme-là, l’élévation des températures à la fin de ce siècle sera bien supérieure aux objectifs de l’Accord de Paris.

Des efforts variables : de nuls à compatibles

Pour évaluer les efforts des pays du monde en termes d’engagements climatiques et leur impact potentiel, un outil utile est le site Climate action tracker (CAT), un consortium d’organisations scientifiques et universitaires. Comme le relate la revue scientifique Nature dans un remarquable dossier immersif scientifique avant le sommet de la COP26 qui démarre ce dimanche à Glasgow, sur quelque 40 pays suivis par Climat Action Tracker, la toute grande majorité a été classée négativement en termes d’efforts climatiques :

- Action minimale ou nulle : 6 pays dont la Russie et l’Arabie saoudite qui continuent de dépendre et d’exporter du pétrole et du gaz naturel ;

- Très insuffisant : 15 pays dont le Canada, le Brésil et l’Inde, ayant des politiques incompatibles avec l’objectif défini par l’accord de Paris ;

- Insuffisant : 8 pays, dont les Etats-Unis et le Japon, mais aussi notre Union européenne. Les Etats-Unis arrivent à Glasgow avec engagement de réduire les émissions de 50% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005, mais cette ambition paraît difficile à mettre en œuvre politiquement. Le classement "insuffisant" indique que des "améliorations substantielles" sont nécessaires pour être compatibles avec l’objectif de 1,5° ;

- Presque suffisant : 7 pays, dont le Kenya, le Costa Rica et le Royaume-Uni, ont reçu la meilleure note des pays les plus riches. Il manque encore cependant au Royaume-Uni une feuille de route précise pour tenir ses engagements (-68% d’émissions d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990) ;

- Compatible avec 1,5 °C : Un seul pays est classé comme tel par le CAT. Il s’agit de la Gambie, qui accélère sa production d’énergie renouvelable, et pourrait réduire les émissions d’environ 55% d’ici 2025.

Pour autant, l’humain n’a pas perdu sa capacité d’agir. La COP26 en montrera la volonté. Gaya Herrington, la chercheuse évoquée plus haut, disait au quotidien britannique The Gardian en juillet dernier : "La principale conclusion de mon étude est que nous avons toujours le choix de nous aligner sur un scénario qui ne se termine pas par un effondrement. Avec l’innovation dans les entreprises, ainsi que les nouveaux développements des gouvernements et de la société civile, continuer à mettre à jour le modèle offre une autre perspective sur les défis et les opportunités que nous avons pour créer un monde plus durable."

Une note d’espoir, qui permet d’éviter, et le fatalisme, et le catastrophisme, et laisse son libre arbitre à l’humain, responsable de ses choix.

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