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Un livreur noir de FedEx poursuivi et visé par des tirs par un père et son fils blancs dans le Mississippi

Demonterrio Gibson lors d’une conférence de presse le 10 février 2022.

© AP

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Par Grégoire Ryckmans

Un chauffeur noir de la compagnie de livraison FedEx affirme avoir été la cible de tirs d’un père et d’un fils blancs alors qu’il livrait des colis dans le Mississippi. Dans un entretien à CNN, il affirme qu’il "peut définitivement voir les similitudes" entre son cas et celui d’Ahmaud Arbery, un jeune homme noir qui alors qu’il faisait un jogging dans son quartier a été poursuivi et assassiné dans le sud de la Géorgie par trois hommes blancs en 2020.

D’Monterrio Gibson, 24 ans, raconte qu’il livrait des colis dans une maison à Brookhaven, une petite ville américaine de l’État du Mississippi. Il était aux alentours de 19 heures ce 24 janvier, lorsqu’il a vu un pick-up blanc arriver depuis la maison située derrière celle dans laquelle il venait d’effectuer sa livraison.

Selon son témoignage à CNN, le véhicule blanc se serait rapproché de sa camionnette et le chauffeur aurait commencé à klaxonner. Gibson, qui pensait qu’il était sur le chemin du pick-up blanc, essaie dès lors de partir mais le véhicule blanc commence à le suivre. Le chauffeur du pick-up aurait alors tenté de lui faire une queue de poisson pour essayer de lui couper la route.

"C’est à ce moment-là que mon instinct s’est manifesté et que j’ai fait une embardée, alors qu’il essayait de me couper la route, afin d’éviter de rester coincé dans le quartier", a expliqué le livreur à CNN.

Un peu plus loin, un homme au milieu de la route pointe une arme vers son véhicule et lui fait signe de s’arrêter. D’Monterrio Gibson secoue la tête pour lui indiquer "non", qu’il n’allait pas s’arrêter, puis se cache derrière son volant tout en essayant de contourner l’homme qui pointe le revolver dans sa direction.

C’est alors que le jeune homme affirme avoir entendu "au moins cinq coups de feu et entendu les balles toucher la camionnette", selon un rapport du département de police de Brookhaven. Selon NBC, qui a également interrogé D’Monterrio Gibson, l’homme a ouvert le feu sur l’arrière du véhicule. Le chauffeur a alors appelé son responsable chez FedEx qui lui aurait dit de revenir dans leurs locaux. Le pick-up l’aurait également pris en chasse le long du chemin jusqu’à une autoroute.

Le livreur a expliqué qu’il portait l’uniforme complet de FedEx au moment des faits et a déclaré que lui et les hommes n’avaient pas eu d’interaction avant l’incident. "Aucun mot n’a été échangé ou quoi que ce soit de ce genre", a-t-il déclaré.

L’homme qui conduisait le pick-up qui a poursuivi D’Monterrio Gibson a été identifié par la police comme étant Gregory Case. L’homme dans la rue qui a pointé son arme sur D’Monterrio Gibson se prénomme Brandon Case et est le fils de Gregory.

D’Monterrio Gibson ciblé à cause de sa couleur de peau ?

L’avocat de Gibson, Carlos E. Moore estime que son client a été ciblé par les "Case", qui sont blancs, "parce qu’il est afro-américain". "Il faisait simplement son travail de chauffeur FedEx en uniforme complet lorsqu’il a été poursuivi et agressé par des coups de feu".

Dans un entretien au média états-unien CNN, le jeune Afro-Américain a expliqué que selon lui, le père et son fils voulaient "essentiellement" le "chasser de la ville".

Interrogé sur le fait de savoir s’il croyait que les hommes essayaient de le tuer, Gibson a déclaré : "Honnêtement, à mon humble avis, je pense qu’ils le faisaient. Parce qu’après avoir tiré les premiers coups de feu, ils ont continué à me poursuivre en dehors de la ville."

"Si vous n’avez pas réussi la première fois, alors je ne peux qu’imaginer ce qu’ils allaient faire s’ils m’avaient attrapé", a-t-il ajouté.

Un parallèle avec le meurtre de Ahmaud Arbery

D’Monterrio Gibson a également fait le parallèle entre son histoire et celle de Ahmaud Arbery, un homme noir qui a été poursuivi et assassiné dans le sud de la Géorgie alors qu’il faisait un jogging. Il a affirmé à CNN qu’il "peut certainement voir des similarités" entre son cas et celui du jeune homme de 25 ans pris en chasse par trois hommes blancs puis victime de coups de feu qui causeront son décès. Les trois hommes blancs, dont un père et son fils, ont été reconnus coupables et condamnés à la prison à perpétuité en novembre 2021 pour le meurtre d’Arbery. Dans une autre procédure judiciaire en cours qui vise les trois hommes pour crime à caractère raciste, la sélection du jury est toujours en cours.

La mort de ce joggeur afro-américain en février 2020 compte parmi les éléments importants qui ont donné une chambre d’écho internationale au mouvement de lutte contre le racisme systémique envers les noirs "Black Lives Matter".

"C’est pourquoi je pense qu’il est de ma responsabilité de prendre la parole", a déclaré D’Monterrio Gibson, 24 ans, lors d’une interview vendredi dans l’émission New Day de CNN. "Parce qu’Ahmaud Arbery n’a pas survécu pour parler en son nom, alors je veux prendre sur moi de le faire pour moi et pour lui aussi".

Des suspects laissés en liberté huit jours avant d’être arrêtés

L’avocat de D’Monterrio Gibson soulève également la question du délai qu’a mis la police avant d’arrêter les suspects et celle de la différence de traitement par la police des affaires, selon la couleur de peau des personnes impliquées.

Lorsque Gibson a appelé la police pour signaler la fusillade, l’opérateur lui aurait répondu qu’ils venaient de recevoir un signalement concernant une personne suspecte à la même adresse. Cependant, Carlos E. Moore estime que la police "ne l’a pas pris au sérieux", et qu’il a fallu que le responsable de D’Monterrio chez FedEx l’emmène au poste de police le lendemain pour leur montrer le véhicule et les paquets qui avaient été endommagés par les balles.

"Et là, ils ont commencé à le croire", a déclaré Moore. "Cependant, ils ont tout de même accordé aux Case huit jours de liberté avant qu’ils ne se rendent à la police de Brookhaven".

Officiellement, le père et son fils ont effectivement été enregistrés et leur liberté mise sous caution par la police le 1er février, soit huit jours après les faits. La caution de Brandon Case était de 150.000 dollars et celle de Gregory Case de 75.000 dollars. Les avocats de M. Gibson ont fait valoir que les charges retenues contre le père et son fils, à savoir : voies de fait graves pour avoir tiré sur un véhicule en mouvement pour Brandon Case (35 ans) et "conspiration" pour Grégory Case (58 ans) étaient trop légères.

Interrogé sur les raisons pour lesquelles Brandon et Gregory Cases n’ont pas été arrêtés plus tôt, le chef de la police de Brookhaven, Kenneth Collins a déclaré dans une interview accordée à CNN que les enquêtes prennent du temps. Des mandats d’arrêts ont été rédigés, et lorsqu’ils se sont présentés au commissariat pour leur audition, ils ont été effectivement arrêtés, a déclaré Collins. Pour autant, Kenneth Collins, qui est noir, estime que la race n’a rien à voir avec la façon dont l’enquête a été menée.

Requalification en acte criminel à caractère raciste ?

Pourtant, l’avocat du livreur a déclaré à CNN qu’il voulait que les charges contre les prévenus soient renforcées et qu’ils y ajoutent celle de "tentative de meurtre". "Parce que si les rôles étaient inversés, et qu’il leur avait fait ça, il aurait été immédiatement arrêté pour tentative de meurtre et serait allé en prison la même nuit", a déclaré Moore au sujet de son client. "Il n’aurait pas été autorisé à attendre une semaine pour se rendre."

Ils ont également demandé à la police de Brookhaven de confier l’enquête à une agence extérieure et de requalifier les charges en tentative de meurtre. M. Moore a également demandé au FBI d’enquêter sur l’affaire comme un possible acte criminel à caractère raciste. Collins, le chef de la police, a déclaré à CNN que le FBI était venu à son bureau jeudi et avait pris le dossier de l’affaire.

"Cet homme est pleinement employé par FedEx, il fait son travail, et pourtant vous le poursuivez, lui coupez la route et lui tirez dessus plusieurs fois", a déclaré l’avocat Carlos Moore. "C’est écœurant d’être aussi haineux, aussi raciste et aussi plein de malice juste à cause de la couleur de sa peau".

Au niveau de la suite, l’affaire doit passer par un "grand jury". Ce "grand jury" pourrait décider d’inculper les deux hommes pour d’autres charges que celles initialement retenues pour justifier leur arrestation.

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