Un loup tue 20 moutons dans une réserve naturelle à Nassogne : une menace pour la biodiversité ?

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Plus de 20 moutons ont été tués par (vraisemblablement) un loup dans une réserve domaniale de Nassogne. Le pâturage extensif y permet d’entretenir et préserver les zones ouvertes de réserves naturelles rares et riches en biodiversité comme les tourbières. Si le loup s’y installe, cela va lourdement compliquer la tâche.

"Nous savions qu’il allait venir. Mais maintenant nous aurons peur qu’il se soit passé quelque chose de grave à chaque fois que nous irons voir nos moutons, déplore Sophie Deger, l’éleveuse attaquée deux fois successivement par un grand prédateur les nuits de dimanche et lundi dernier avec plus de 20 moutons tués, euthanasiés ou disparus à la clef. Nous venions de les déposer dans une parcelle de 12 hectares et il les a directement attaqués. Il devait déjà être dans le coin ".

"Il", c’est le loup. Sophie en est convaincue et les experts du réseau loup, rapidement descendus sur place pour trouver des indices, aussi : " Nous devons encore attendre les résultats ADN pour en être totalement convaincus mais ce sera sans doute le cas. D’ailleurs une déjection, très probablement de loup, a été découverte dans la zone à peine une semaine avant cette attaque", explique Alain Licoppe du Département d’étude de la Nature (DEMNA) de la Région wallonne. Alors, un loup est-il en train de s’installer dans le massif de Saint-Hubert ? Selon l’expert, il est encore beaucoup trop tôt pour l’affirmer : " Nous attendons 6 mois de traces à répétition de leur présence dans une zone donnée pour déclarer une zone de présence permanente. Que ce soit des crottes, des prédations sur mouton ou animaux sauvages ou encore des photos prises par des caméra-pièges. Nous en avons justement installé énormément dans la réserve pou r un suivi des autres espèces et nous allons éplucher les photos pour vérifier si un loup est présent depuis un moment ".

L’inspection des indices à Nassogne a permis de conclure qu’un loup est responsable de l’attaque. Mais seules les analyses ADN vont permettre d’en avoir la certitude.
L’inspection des indices à Nassogne a permis de conclure qu’un loup est responsable de l’attaque. Mais seules les analyses ADN vont permettre d’en avoir la certitude. © RTBF

Quand le loup s’installe, tout change

La région de Saint-Hubert et Nassogne est propice à l’installation d’une meute. De grandes forêts, de la quiétude, des proies sauvages, autant de facteurs, semblables à ceux rencontrés par l’unique meute wallonne dans les hautes fagnes. Exactement les critères que cherche un loup pour s'établir définitivement et attendre un(e) partenaire. Quand la présence permanente du grand canidé sera confirmée inévitablement avec ce loup ou un autre à l’avenir, il faudra modifier la façon de gérer la réserve de la Région wallonne qui couvre des milliers d’hectares : " L’attaque a fait beaucoup de dégâts et ce n’est évidemment pas une bonne chose pour l’image du loup, commente Thierry Petit du Département Nature et Forêt en charge de la gestion de la réserve. Ici, nous entretenons des zones comme des tourbières et des landes grâce aux moutons sur plusieurs centaines d’hectares et nous avons installé, à nos frais, des bergeries et des clôtures sur plusieurs kilomètres. Les moutons, c’est un peu le seul moyen d’empêcher la forêt de revenir. Or ces milieux ouverts sont rares et très riches en biodiversité et bénéficient de budgets européens dans le cadre de projets LIFE. Mais avec le loup, il faudra revoir notre copie".

Protéger des centaines de moutons contre le loup dans des milieux si compliqués et inaccessibles relève de la gageure : accidenté, en pente, des énormes surfaces à clôturer pour une faible densité de moutons, la tâche est ardue voire impossible "sans investissement financier majeur, explique Patrick Verté, un éleveur de moutons du Sud de la province de Luxembourg, qui lui aussi, entretient des réserves naturelles avec des moutons. En Wallonie, beaucoup de subsides existent pour verser des primes aux dizaines de bergers qui entretiennent ces zones naturelles et ces budgets ne donnent pas beaucoup de marge de manœuvre. Avec le retour inéluctable du loup, l’argent nécessaire à la protection et à l’entretien des clôtures pourrait signer le glas de ces pratiques: "et je crains bien que nous ne soyons qu’au tout début du problème. Quand on regarde les pays qui ont connu le retour du loup voici 15-20 ans, les investissements dans les protections contre le loup ont explosé et dans le cas de la restauration ou la préservation de réserves naturelles, tout devient plus compliqué et plus cher encore". Difficile en effet d’installer des clôtures électrifiées efficaces contre le loup, en pleine tourbière toute bosselée, inaccessibles en voiture, sur des immenses distances sans exploser les budgets, le tout sans garantie totale de succès.

La présence de loup pourrait-elle rendre l’entretien des milieux ouverts, riches en biodiversité, impossible à payer ?
La présence de loup pourrait-elle rendre l’entretien des milieux ouverts, riches en biodiversité, impossible à payer ? © Tous droits réservés

Chiens, chasseurs et cohabitation

D’autant que dans ces réserves, l’éleveur ne fait pas ce qu’il veut et quand il le veut. Les clôtures ne leur appartiennent souvent pas, les périodes de pâtures doivent suivre un calendrier qui ne nuit pas à la biodiversité du lieu, aux cycles des reproductions et il faut souvent changer de prairie pour ne pas dégrader le milieu : " Et puis, si on investit dans les chiens de protection, qui sont une solution utilisée dans tous les pays, cela posera toute une série de questions, détaille Patrick Verté. Comment faire cohabiter des molosses qui tuent parfois des loups, qui sont eux-mêmes parfois tués par des loups avec les visiteurs d’une zone de loisir touristique où cohabitent déjà la faune et la flore sauvage, les promeneurs, les naturalistes et les chasseurs ".

Un contexte parfois déjà tendu dans lequel la présence de loups ne peut qu’aggraver la situation au point de questionner la possible coexistence de politiques de protection stricte du prédateur en corollaire à la préservation de milieux rares comme les tourbières ou les pelouses calcaires en Belgique ou partout en Europe. Comment parvenir à protéger un carnivore qui mange les moutons qui eux-mêmes entretiennent les milieux rares qu'on tente de sauvergarder? Le serpent se mord un peu la queue: " Il y a un paradoxe c’est vrai, avoue Alain Licoppe. Et puis le fait de tenter de préserver l'environnement crée justement un milieu propice à l'installation du loup! Mais c'est vrai qu'il peut devenir aussi théoriquement une vraie menace pour le pâturage de moutons ou de chèvres qui préserve ces milieux ouverts qui disparaîtraient sans intervention de l’homme. C’est un patrimoine important et c’est pour cela qu’on l’entretient. Cela a demandé beaucoup d’investissements en temps et en argent de la part de la Région, de l’Union européenne et j’imagine mal qu’on les abandonne mais c’est un véritable défi. Nous allons devoir être créatifs parce que les budgets prévus et alloués pour protéger les troupeaux de la dent du loup ne sont pas infinis et il n’existe à l’heure actuelle aucune solution miracle sans beaucoup d’argent". Les experts peuvent-ils se passer de moutons dans certains cas ? Et que fait-on, et avec quel budget, quand ce n’est pas possible ? Doit-on abandonner certaines réserves naturelles, moins importantes, au loup ? Doit-on strictement empêcher le loup de s’installer dans des zones riches en biodiversité que sa seule présence pourrait détruire ? Ces questions restent en suspens et génèrent parfois même des tensions entre naturalistes.

Sophie Deger, l’éleveuse, veut croire en une cohabitation. Elle garde l’espoir de pouvoir tenir les loups loin de ses moutons avec les bonnes protections, sans chiens pour le moment. Mais si les attaques se multiplient à l’avenir, elle sait déjà qu’une autre difficulté se présentera : garder les moyens, l’envie et la force de continuer son activité. Même avec la meilleure volonté du monde

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