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Un "Nouveau Kazakhstan": la promesse du président plus grand pays d’Asie centrale

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Le président sortant du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, 69 ans, arrivé au pouvoir en 2009, a nettement remporté l’élection présidentielle de dimanche. En l’absence d’opposition, il a donc confirmé son statut de nouvel homme fort du plus grand pays d’Asie centrale ; même si l’année écoulée a été plutôt sombre pour cet Etat très riche en ressources naturelles.

Il a, selon les résultats préliminaires donnés ce lundi par la Commission électorale, a obtenu 81,31% des voix et la participation s’est élevée à 69,44%. Comme attendu, aucun de ses cinq opposants n’a dépassé les 3,42%. Curiosité de ce scrutin, l’option de vote "contre tous", une nouveauté, a séduit 5,8% des électeurs, arrivant en deuxième position.

Les observateurs électoraux internationaux de l’OSCE, qui ont regretté avant le scrutin que leurs recommandations "relatives aux libertés fondamentales et aux conditions d’éligibilité et d’inscription des candidats" soient "restées sans suite".

Dans la nuit dimanche, Kassym-Jomart Tokaïev, qui avait obtenu près de 71% des voix aux élections précédentes qui se sont déroulées en 2019, a appelé à l'"unité" pour réaliser le programme de sa réforme constitutionnelle de juin. "Cette élection ouvre une nouvelle ère et toutes les principales institutions du pouvoir seront réformées", a-t-il promis. Il a répété son attachement aux réformes économiques et à la "fin du monopole au pouvoir", comme l’a connu le Kazakhstan durant les trois décennies du règne de Noursoultan Nazarbaïev, démissionnaire en 2019.

Le président candidat avait fait campagne en portant son projet visant à créer un "Nouveau Kazakhstan", plus juste, selon les promesses.

La fin de l’omnipotence de Nazerbaiev, l’homme fort des années '90

Ces élections se sont tenues moins d’un an après que le pays est plongé dans le chaos en janvier lorsque des manifestations contre la vie chère ont dégénéré en émeutes. Ces dernières ont été brutalement réprimées. Bilan : 238 morts. Situé au carrefour d’importantes routes commerciales, le Kazakhstan reste néanmoins traumatisé par cette crise. Signe que les tensions persistent, les autorités avaient annoncé jeudi avoir arrêté sept partisans d’un opposant en exil, accusés de fomenter un "coup d’Etat".

Après avoir été considéré comme l’homme de main de son prédécesseur, Noursoultan Nazarbaïev, le président kazakh a officiellement entrepris de couper le cordon à la faveur de la crise de janvier. Il s’est mué cette année en dirigeant implacable, faisant tirer sur les émeutiers en janvier, arrêtant des proches du clan Nazarbaïev.

L’ancien président kazakh Noursoultan Nazerbaïev aux Etats-Unis en janvier 2018
L’ancien président kazakh Noursoultan Nazerbaïev aux Etats-Unis en janvier 2018 © 2018 Getty Images

"Les précédentes élections de 2019 se sont déroulées au moment où l’ancien président Nazarbaïev avait décidé de se retirer, explique Jean de Glignasty, enseignant, directeur de recherche à l’Institut des Relations internationales et stratégiques (IRIS) et ambassadeur de France à Moscou entre 2009 et 2013. Nazerbaïev a mis le pied à l’étrier à son protégé, Kassim-Jomart Tokaïev, qui était un brillant élément de son administration, et qui lui semblait être un homme qui préserverait les acquis de sa famille et de son pouvoir. Mais Tokaïev est une personnalité forte, et il a très rapidement essayé de prendre ses marques au pouvoir. Même si la séquence des événements en janvier 2022 n’est pas totalement lisible, s’agissait d’abord d’émeutes sociales puisque c’était le prix du gaz liquéfié pour les voitures qui étaient trop chères, celles-ci ont rapidement dégénéré en émeutes des partisans de Nazarbaïev qui se sentaient écartés du pouvoir. Ils ont forcé Tokaïev à faire appel à la Russie ou plus exactement au Traité d’Organisation de la sécurité collective, qui a envoyé 5000 hommes pendant pour remettre de l’ordre."

La rupture est donc consommée, et le président Tokaïev, après avoir éliminé en douceur les précédentes équipes, avait donc besoin de refonder sa légitimité, avec de nouvelles élections, et une nouvelle constitution, qui, elle, a été adoptée lors d’un référendum en juin dernier.

Distance avec la Russie de Vladimir Poutine

Le président russe Vladimir Poutine a salué lundi la victoire de son homologue kazakh.

Allié traditionnel de Moscou, le pouvoir kazakh a reçu l’aide en janvier d’un contingent militaire russe envoyé au Kazakhstan alors que la capitale économique, Almaty, était secouée par des émeutes meurtrières. Quand en janvier 2022 des contestations sociales à travers le pays dégénèrent en émeutes, en particulier à Almaty, la capitale économique, Kasdsim-Jomart Tokaïev se révèle être un dirigeant implacable. Il ordonne de "tirer pour tuer" sur les manifestants, coupe les communications avec le monde extérieur et appelle à la rescousse les membres du Traité de l’Organisation de sécurité collective qui regroupe autour de la Russie pays d’Asie centrale et ex-pays proches de l’Union soviétique. Bilan, 238 morts en neuf jours.

Vladimir Poutine et Kassym-Jomart Tokaïev, à Astana, lors d’un sommet régional (CICA) le 13 octobre 2022.
Vladimir Poutine et Kassym-Jomart Tokaïev, à Astana, lors d’un sommet régional (CICA) le 13 octobre 2022. © Tous droits réservés

Déterminé à ancrer son pouvoir, le président kazakh agit à toute vitesse : il signifie à Vladimir Poutine que ses soldats doivent partir. Et malgré cette aide décisive, Kassym-Jomart Tokaïev a pris une certaine distance avec Moscou après l’offensive du Kremlin en Ukraine fin février.

"Même s’il a fait appel à la Russie, après l’invasion de l’Ukraine, il est manifeste que Tokaïev a pris certaines distances avec le pouvoir russe, explique Jean de Glignasty. Le Kazakhstan est entré en contact avec d’autres pays, et il est désormais acquis au niveau du pouvoir kazakhstanais de penser qu’il faut élargir la diplomatie déjà multisectorielle du pays vers les pays occidentaux ou la Chine, même si avec la Chine le Kazakhstan est très prudent à cause de la communauté Ouïgour. Implicitement dans ces élections, il y a donc l’idée que le Kazakhstan doit s’ouvrir et consolider cette ouverture."

Une ouverture qui pourrait s’étendre vers l’Union européenne. Les pays européens regardent déjà attentivement ces grands pays d’Asie centrale, richement dotés en hydrocarbures. Il y a d’ailleurs un accord de coopération qui a déjà été signé entre l’UE et le Kazakhstan en 2015, entré en vigueur en 2020. Une réunion dans le cadre de ce traité a par ailleurs eu lieu en juin dernier. "En ce qui concerne l’Union européenne, elle s’intéresse surtout aux Droits humains, aux droits de la justice et cetera. Les intérêts et les relations économiques sont surtout le fait des États membres actuellement : la France achète de l’uranium par exemple, d’autres achètent des hydrocarbures. Il y a donc un champ ouvert pour le développement des relations de l’Union européenne", conclut Jean de Gliniasty.

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