Energie

Un Œil sur demain : quel carburant pour les avions de demain ?

Voler avec du carburant plus "vert" est possible. Tout remplacer prendra du temps.

© Airbus

Par Jean-Christophe Willems

En 2035, les nouvelles voitures vendues en Europe devraient être électriques. L’hydrogène alimentera les plus gros véhicules et les carburants de synthèse, les e-fuel, joueront également un rôle dans la mobilité du futur. Mais comment voleront les avions ? L'Union Européenne vient de décider en ce mois d'avril que le carburant deviendra de plus en plus durable. Le principe même du réacteur est de provoquer une inflammation du kérosène dont la réaction propulse l’appareil vers l’avant. Avec un avion à réaction, impossible de se passer de ce carburant spécifique. Un peu partout dans le monde, on cherche des alternatives, qui portent un nom commun : SAF, pour Sustainable Aviation Fuel.

© RTBF

Plusieurs méthodes

Et ce SAF, on peut le produire de différentes manières. Aurore Richel, docteur en Sciences Chimiques, dirige le Laboratoire de biomasse et technologies vertes de l’université de Liège. Avec ses étudiants, elle a déjà créé du SAF, mais cela demande beaucoup de travail et d’énergie pour un résultat de quelques millilitres.

Aurore Richel, Directrice du laboratoire de Biomasse et Technologies Vertes - ULiège

"Il y a actuellement plusieurs façons de fabriquer les SAF", explique-t-elle. "A base d’alcool issu de sucre, à partir d’algue, de déchets organiques comme les huiles et les graisses alimentaires ou encore par le procédé des carburants de synthèse créés à partir de CO2, d’hydrogène et d’électricité. Mais toutes ces filières sont énergivores et nécessitent plusieurs étapes avant d’arriver à un résultat final. Les productions à partir d’huiles usagées sont plus avancées et c’est ce qu’on a utilisé à Brussels Airport au mois de janvier pour faire voler un avion de Brussels Airlines."

A moins d’augmenter la consommation de frites, on n’aura pas assez de graisses usagées pour faire voler tous les avions. On parle de 2% tout au plus. Alors on cherche. Et à Pomacle, près de Reims, on a trouvé.

L’entreprise Global Bioenergies y produit de l’isobutène, une molécule issue du pétrole mais qu’elle reproduit en utilisant plutôt des résidus de sucre.

Des champs de betteraves mis à contribution.
Des champs de betteraves mis à contribution. © RTBF

C’est d’ailleurs pour cela que la production est installée chez ARD, un incubateur de projets et accélérateur d’innovation en biotechnologies industrielles. ARD propose son matériel, d’immenses cuves de fermentation, ainsi que ses compétences en chimie. Global Bioenergies fournit la recette. Une recette basée sur du glucose ou de la mélasse, en provenance directe de la sucrerie installée juste à côté. Des bactéries spécifiques sont insérées pour produire une fermentation et récupérer un gaz extrêmement inflammable, l’isobutène. Ce gaz est purifié, refroidi à -6° où il devient liquide, et stocké dans de grandes bonbonnes.

Des fermenteurs pour produire de l’isobutène
Des fermenteurs pour produire de l’isobutène © Jean-Christophe Willems

Ces molécules doivent encore être agglomérées afin de rentrer dans des composants divers (caoutchoucs, plastiques, carburants…). Pour l’instant, le principal client, c’est le secteur de la cosmétique. Il est vrai qu’avec un coût de fabrication des dizaines de fois plus élevé que la même molécule issue du pétrole, on ne peut trouver de débouchés que dans le luxe, en attendant une augmentation de la production et une diminution des prix. Comme l’explique Marc Delcourt, le cofondateur et directeur général de l’entreprise :

Marc Delcourt, cofondateur et Directeur Général de Global Bioenergies.

"Nous visons trois débouchés. Celui de la cosmétique, que nous fournissons actuellement. Dans un futur proche, il y aura les carburants de synthèse pour la Formule 1 ou la MotoGP. Notre molécule est un excellent additif pour augmenter l’indice d’octane (en gros, le pouvoir antidétonant du carburant, NDLA). Enfin, nous attendons la certification pour l’aéronautique. Nous avons déjà fait voler un avion avec notre produit et nous espérons le faire à grande échelle, dans une usine bien plus imposante. Pour l’instant, nous commercialisons 100 tonnes par an. Notre prochaine usine permettra d’en faire 2.000 tonnes et pour l’aéronautique, il en faudrait des dizaines de millions !"

Pas encore prêt

L’Europe prône un maximum d’indépendance énergétique. La crise ukrainienne a encore renforcé cette tendance. S’affranchir du pétrole est évidemment une bonne chose mais dans les faits, c’est beaucoup moins évident. Quand un automobiliste est habitué à payer moins d’un euro le litre de carburant, c’est compliqué de lui demander le double pour des prestations similaires. C’est aussi le cas des compagnies aériennes, qui devraient répercuter la hausse des tarifs sur le prix des billets, qui s’envolent déjà (sans mauvais jeu de mots). D’autant que la production, même si elle est lancée à grande échelle par la société finlandaise Neste, reste marginale. Neste fabrique en effet son SAF à partir des huiles usagées.

© Airbus

Les autres filières de développement du carburant sont à l’état de recherches ou de production en très faible quantité. Et puis, il ne faut pas oublier que même produit à partir de végétaux, le carburant nécessite énormément de chimie et de transformations énergivores. Une fois synthétisé en kérosène et brûlé, il émet du CO2 et d’autres rejets polluants. D’accord, en moindre quantité que le pétrole, mais une combustion n’est jamais propre. Selon Aurore Richel, les grandes annonces de vols effectués à partir de SAF ont plus un effet de greenwashing car le remplacement complet du kérosène prendra encore de très longues années. Dans sa récente décision, l'Europe ne prévoit que 2% de carburant durable mélangé au kérosène en 2025. Progressivement, on devrait atteindre 70 % en... 2050 ! D'ici-là, nos voitures seront normalement passées à l'électricité depuis bien longtemps.

Journal télévisé du 30/04/23

Un Œil sur Demain

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