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Un Parlement fédéral exemplaire sur les questions de genre en 2030 ? "Nous vivons un moment particulier"

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Le 8 mars dernier, la présidente de la Chambre, Éliane Tillieux (PS) et la présidente du Sénat, Stephanie D’Hose (Open Vld), présentaient les résultats d’un audit, mené par un groupe de travail interne, sur la question de l’égalité des genres au sein du Parlement fédéral.

"Nous vivons un moment particulier", explique Éliane Tillieux aux Grenades. "Puisque pour la première fois de notre histoire, les deux chambres de notre Parlement sont présidées par des femmes. Ça avait déjà été le cas pour le Sénat auparavant, mais c’est la toute première fois pour la Chambre des représentants. 51 hommes se sont succédé avant qu’une femme puisse accéder à cette place. C’est une opportunité dont il faut se saisir pour faire évoluer notre démocratie grâce à l’institution parlementaire."

Les deux femmes politiques unissent d’ailleurs leurs forces pour que, d’ici 2030, le Parlement belge devienne "exemplaire".

Une réelle évolution

Les résultats de l’audit montrent une réelle évolution de la place des femmes : dans la Chambre de représentants en 2019, on comptabilisait 43% de femmes (64 femmes sur les 150 parlementaires au total). En 1999, elles étaient 19%. "C’est déjà un sacré bond en avant", réagit Éliane Tillieux. "Maintenant, il faut s’assurer que cela continue de progresser et qu’il n’y ait pas de retour en arrière". Au niveau du Sénat, parmi les 60 sénateurs et sénatrices qui y siègent, on compte actuellement 29 femmes et 31 hommes.

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En termes de présence féminine au sein du Parlement, la Belgique se classe donc 5ème en Europe. "Cette évolution est notamment due à la loi de 1994 qui impose la présence de femmes sur les listes électorales. On sait les critiques qu’entrainent les quotas, mais cela fonctionne ! Quand les femmes sont présentes sur les listes, elles se font élire et peuvent montrer leur travail. C’est un outil pour faire évoluer les mentalités", souligne la présidente de la Chambre.

Après la création de la Belgique, en 1830, il a fallu presque un siècle pour qu’une femme soit élue. Pendant 100 ans, les femmes n’avaient pas de voix dans cette institution démocratique, ne pouvaient pas participer aux débats

Très complet, l’audit analyse également les prises de parole selon le genre. En 1999 - 2000, 16% des prises de paroles dans la Chambre étaient le fait des députées et ministre ; en 2022, c’est le cas pour 38% des prises de paroles, c’est-à-dire une augmentation de 22% du temps de parole.

"Du pain sur la planche"

"Il nous reste encore du pain sur la planche", admet cependant Éliane Tillieux. Car l’audit montre aussi "des choses dont on se doute mais qui sont maintenant indéniables, grâce aux statistiques".

Au sein des commissions parlementaires par exemple, "une répartition genrée demeure. Si on parle des commissions Santé ou Action sociale, qui s’y retrouvent majoritairement ? Ce sont les femmes, à 80% ou 90%, car ce sont des matières liées au care, au soin. Les commissions Finances ou Défense sont dominées par des hommes, dans une proportion inverse. C’est étrange car les femmes s’occupent aussi du budget dans les ménages. Alors pourquoi retrouve-t-on cette différence au Parlement ? Sûrement parce que les budgets publics sont des moyens d’actions… donc des leviers de pouvoir. Il faut être conscient·es de ces différences genrées pour mieux pouvoir s’en détourner", explique-t-elle.

A mon arrivée en tant que présidente de la Chambre, j’ai dû me battre pour pouvoir utiliser la forme féminine ‘Présidente’. Certains parlementaires utilisaient systématiquement le masculin

L’administration de la Chambre reste également nettement masculine dans les postes de direction : sur les différentes fonctions de direction qui existent à la Chambre, 70% sont occupées par des hommes.

Face à ces constats, une note d’intention a été présentée qui devra se traduire en un plan d’action. Parmi les propositions : la mise en place d’une étude qualitative sur l’équilibre entre la vie professionnelle et vie privée, ainsi que sur la discrimination, le sexisme et le harcèlement ; la mise à disposition de serviettes hygiéniques dans les toilettes femmes ; l’installation de toilettes permettant de nettoyer sa coupe menstruelle, une meilleure communication sur l’existence des locaux de repos et d’allaitement pour femmes enceintes ou encore l’installation d’un certain nombre de coussins à langer, tant dans les toilettes hommes que les toilettes femmes.

Un langage sensible au genre au sein de la Chambre

Plusieurs propositions vont par ailleurs dans le sens de l’écriture inclusive, notamment la création de directives pour l’utilisation d’un langage sensible au genre au sein de la Chambre, l’élaboration d’une charte ou d’une procédure formelle concernant le langage (neutre ou inclusif) utilisé dans le cadre de la communication externe, mais aussi une attention à porter aux équilibres en matière de genre dans le choix de photos et de vidéos utilisées pour communiquer.

"A mon arrivée en tant que présidente de la Chambre, j’ai dû me battre pour pouvoir utiliser la forme féminine ‘Présidente’. Certains parlementaires utilisaient systématiquement le masculin. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas en français. Certains parlementaires néerlandophones, en revanche, continuent d’utiliser la forme masculine, ‘Voorzitter’, au lieu de ‘Voorzitster", déplore Éliane Tillieux.

Pourquoi est-ce si important pour elle ? "Il faut que les gens intègrent que cette fonction peut être exercée par une femme. Ce n’est pas le cas si on continue à masculiniser. Nous pouvons porter une diversité au sein de la Chambre, qui doit ressembler au reste de la société. Nous avons une fonction de modèle pour les jeunes filles, elles doivent pouvoir s’identifier ! Il faut leur donner confiance", répond la Présidente avant de plonger dans l’histoire de la Belgique : "Après la création de la Belgique, en 1830, il a fallu presque un siècle pour qu’une femme soit élue. Pendant 100 ans, les femmes n’avaient pas de voix dans cette institution démocratique, ne pouvaient pas participer aux débats. Quand Lucie Dejardin est élue en 1929, elle n’a même pas le droit de voter ! Les femmes ont accès au droit de vote complet en Belgique en 1948. Aujourd’hui, elles sont 64, mais quand on parle de grandes décisions politiques, on continue à parler des hommes et donc à avoir une vision masculine du Parlement. Il faut faire évoluer ces représentations. Et il faut que le Parlement représente toute la société, qu’il ait un équilibre en termes de genre, c’est l’un des enjeux pour retrouver la confiance des citoyens et des citoyennes. Participer à la vie politique est un droit."

Puisque pour la première fois de notre histoire, les deux chambres de notre Parlement sont présidées par des femmes

D’autres propositions concernent encore la composition des jurys lors des entretiens d’embauche, et également la création d’un poste de référent·e genre, dont la fonction sera de suivre l’évolution et la mise en place de ce plan d’action.

Éliane Tillieux ne compte pas s’arrêter là. Elle souhaite d’ores et déjà promouvoir ces "bonnes pratiques" au niveau européen, auprès des autres président·es d’assemblées parlementaires.

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