Patrimoine

Un retable brabançon trouvé à Milan... Épisode 1

La basilique San Nazaro Maggiore, à Milan, ou a été trouvé le retable brabançon…

© KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché x113445

L’ancien duché de Brabant a connu, au cours des XVe et XVIe siècles, une intense et remarquable production de retables d’autels sculptés, particulièrement à Bruxelles et à Anvers. Ces œuvres ont été exportées un peu partout en Europe : France, Espagne, Italie… jusqu’en Suède !

Retable de la Passion, Bouvignes.

Nombre d’entre eux demeurent évidemment en Belgique, soit dans les églises pour lesquelles ils ont été commandés, soit dans des musées. On peut ainsi citer en l’église Saint-Lambert de Bouvignes, le retable de la Passion, datable des environs de 1556 ; en l’église Sainte-Dymphne de Geel, le retable consacré à sa sainte, réalisé vers 1510-1520 ou encore les retables de l’église de Boendael, à Ixelles, celui de Saint-Adrien, daté vers 1490-1495, étant du bruxellois Jan II Borman et celui de Saint-Christophe, des environs de 1520, étant anversois…

Retable de Sainte Dymphne, Geel.
L'un ds fragments du retable de Saint-Adrien, en l'église de Boendael, de Jan II Borman...
Retable de Saint Christophe, église de Boendael à Ixelles.

La Belgique possède des spécialistes et des connaisseurs de ces productions. Parmi eux, Myriam Serck-Dewaide. Cette licenciée en histoire de l’art et archéologie s’est spécialisée en restauration d’œuvre d’art à l’Institut Royal du Patrimoine Artistique (IRPA), à Bruxelles, particulièrement en sculpture, de préférence polychrome…

De 1973 à 1999, Madame Serck sera directrice de l’atelier de sculpture et des travaux de conservation et de restauration de très nombreuses œuvres, dont 25 retables ! Elle dirigera aussi la restauration de décors architecturaux comme au pavillon chinois ou encore au palais royal. Elle prendra la direction de l’IRPA en 2003 et y finira sa carrière comme directrice générale en 2011.

Depuis, cette scientifique de haut vol goûte aux plaisirs d’une retraite… c’est-à-dire qu’elle continue ses recherches et travaux ! Petit retour en arrière. En 2004, en la basilique San Nazaro Maggiore, à Milan, Myriam Serck se retrouve face à un retable que ses yeux avertis lui font pressentir être sans aucun doute de conception bruxelloise.

Le retable de l’Adoration des Rois Mages, à San Nazaro Maggiore, à Milan.
Le retable de l’Adoration des Rois Mages, à San Nazaro Maggiore, à Milan. © KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché x113370

En chêne polychromé, l’œuvre illustre l’Adoration des Rois Mages, est haute de 2,12 m et large de 1,70 m. Elle est alors attribuée au sculpteur allemand Adam Kraft. Pourtant, l’historienne de l’art est convaincue : elle est face à une œuvre inconnue des spécialistes des retables brabançons !

En 2016, Myriam Serck retourne à Milan afin d’étudier l’œuvre et de la photographier, avec l’aide de l’historien d’art milanais Fabio Giuseppe Trezzi. Le retable étant enfermé dans une caisse vitrée, Madame Serck ne pourra pas déterminer s’il s’agit d’un caisson qui aurait perdu ses voisins ou encore s’il s’agit d’un retable complet dont les volets peints auraient été détachés. Quoi qu’il en soit, le travail est d’une grande qualité.

Elle compare en effet immédiatement la morphologie de l’œuvre à celle de retables à caisson unique ou multiple, conservés en Belgique : retable de Saint Adrien de Boendael ; de Saluces de la Maison du Roi, de la Vie de saint Georges des Musées Royaux d’Art et d’Histoire ou encore de l’église Notre-Dame de Lombeek.

Le retable de l’église Notre-Dame de Lombeek.
Le retable de l’église Notre-Dame de Lombeek. © KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché x131616

L’étude révèle de nombreux traits d’union avec bien des œuvres bruxelloises répertoriées. La frise de petites arcatures constituant le soubassement du retable en est un exemple typique. Nombre de détails vestimentaires sont, par ailleurs, comparables à ceux que l’on retrouve dans les productions de Jan II Borman : " Composition, attitudes et plissés sont particulièrement proches de l’esprit du retable du martyre de saint Georges (signé JAN et daté de 1493) et des fragments des deux caissons du retable de saint Adrien " explique l’historienne dans un article intitulé Découverte d’un retable bruxellois inconnu à Milan, en 2016.

Autre comparaison irréfutable : l’arrière-plan. Il est typique des travaux bruxellois où " se dessine un paysage de rochers, de monts et de vallées d’où arrivent, à cheval, à pied ou sur des chameaux, les rois et leurs caravanes, représentés en petite dimension pour donner l’illusion d’une scène lointaine rendue en perspective. "

Détail de l’arrière-plan du retable.
Détail de l’arrière-plan du retable. © KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché x113370

Pour encore mieux confirmer les lourds mais positifs pressentiments de Myriam Serck, les expressions des visages la mèneront à une attribution, sous réserve d’expertise plus poussée de l’œuvre sortie de son caisson de protection : il s’agirait d’un retable de Jan II Borman. Des lettres sont décelables : J ? A ?… Jan ? Si ce pouvait être vrai ! De plus, la polychromie originale pourrait se trouver sous les repeints, les dorures successives et les lourds vernis postérieurs !

Myriam Serck fera part de toutes ces découvertes auprès de l’IRPA. Grâce à la Fondation Périer-D’Ieteren, en mars 2017, l’Institut pourra mener une mission d’une semaine à Milan pour étudier, photographier et documenter l’œuvre qui constituerait peut-être une particularité, du fait de la grandeur inusitée de ses personnages… Suite de la saga, le 27 février…

Une tête du retable de Milan, en cours de restauration…
Une tête du retable de Milan, en cours de restauration… © KIK-IRPA, Brussels

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