Hainaut

Un retable montois vendu aux enchères à la Trinité

Retable de Saint-Denis-en-Brocqueroie, près de Mons 1450-60

© Antenor Auction

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Par Fabien Van Eeckhaut

C’est l’histoire d’un joyau méconnu de notre patrimoine.

Un "retable" : du latin "retro tabula altaris", qui signifie "en arrière d’autel". Soit une construction verticale qui porte des décors sculptés, en arrière de la table d’autel dans un édifice religieux. Un retable ici exceptionnel en pierre calcaire de grès, doré, polychrome, et reprenant des scènes de lamentations au pied de la croix du Christ. 1m50 de long, 1m19 de haut, 24 cm de profondeur.

Son berceau : le Hainaut des années 1450-1460. Une œuvre issue de l’abbaye de Saint-Denis-en-Brocqueroie, près de Mons. Abbaye de 700 ans d’Histoire, finalement démantelée et détruite à la Révolution française, ses biens étant alors dispersés. C’est ainsi qu’en 1798, le retable est acheté par un certain Jean Constant Fidèle Duval de Beaulieu, alors bourgmestre de Mons. Ses héritiers l’ont conservé dans leur collection privée, du côté de Havré… Jusqu’à présent.

Car ce dimanche 30 mai, dimanche traditionnelle des fêtes de la Trinité si importantes en région montoise, il constituait le lot 52 des enchères de la salle de vente bruxelloise Antenor. Estimé entre 150 et 200.000 euros, il a finalement été adjugé à 1.0007.500 euros, frais compris. Tout de même !

Vendu au grand dam des historiens

La vente a bien eu lieu. Alors que des historiens, historiens d’art, avocats et autres professionnels du patrimoine, s’étaient mobilisés pour l’empêcher ou en tout cas pour veiller à ce que l’œuvre ne quitte pas au final le territoire belge. Comme raconté par François De Vriendt (de la Société des Bollandistes) notamment sur la page Facebook des "Historiens de Louvain", en quelques jours, ils avaient élaboré un dossier de classement en urgence déposé auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles. "De nos jours, vu les facilités qu’offre Internet, les ventes d’œuvres d’art se déroulent à l’échelle mondiale. Vu cette globalisation du marché, nous savions qu’il y avait un gros risque de voir cette œuvre unique quitter la Belgique, pour enrichir les collections d’un musée américain, d’un milliardaire chinois, d’un cheikh des émirats".

Parallèlement, le monde politique aurait été "sensibilisé" et différentes institutions dont la Fondation Roi Baudouin avaient manifesté leur intérêt pour acquérir le retable, plusieurs institutions hennuyères avaient proposé d’accueillir le retable en cas d’acquisition. Même le Palais aurait, dit-on, apporté son soutien.

Mais côté Fédération Wallonie-Bruxelles, même si elle se dit " attentive à la préservation du patrimoine culturel mobilier ", la ministre de la Culture Bénédicte Linard (Ecolo) n’a pu valider la procédure de classement " dans les délais impartis ", en urgence, une fois la vente connue. "La commission des patrimoines culturels n’a pas pu analyser le dossier afin de se prononcer sur la demande de classement en urgence. Dans ces conditions, si la ministre de la Culture ne disposait pas de suffisamment d’éléments permettant de justifier que la Fédération Wallonie-Bruxelles intervienne dans le processus de vente et restreigne la libre circulation du bien. Le classement reste en effet une procédure exceptionnelle et doit être spécialement motivé", nous a fait savoir son cabinet.

La vente a bien eu lieu et la Fondation Roi Baudouin n’a pu suivre les enchères. Au grand regret des historiens et experts. "Puisse cette affaire particulièrement décevante pour le patrimoine hennuyer, wallon et belge, influer sur l’élaboration du futur décret sur la protection du patrimoine en cours de rédaction". La Fédération Wallonie-Bruxelles planche en effet depuis plusieurs mois sur une réforme de son décret Patrimoine en vue de mieux protéger ses biens culturels.

Aux dernières nouvelles, l’acquéreur final n’est pas connu, tout au plus la salle de ventes bruxelloise a-t-elle fait savoir qu’il s’agissait d’une fondation privée. Ajoutant simplement dans son communiqué "bilan des ventes" se féliciter que ce "joyau du patrimoine national soit conservé en Belgique". Sans autre précision…

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