Belgique

Un toit pour les enfants : le défi financier des parents solos

© Sawitree Pamee / EyeEm

Par Sylvia Falcinelli

Une séparation… Et voilà qu’on se retrouve à devoir déménager, les enfants sous le bras, les factures sous les yeux. A quel point cette image traduit-elle la réalité ? Comment la question du logement se pose-t-elle aux parents solos ?

La Ligue des familles donne un coup de projecteur à la question via une enquête en ligne (*) réalisée auprès de 1765 personnes, dont 1150 en Fédération Wallonie-Bruxelles, principalement des mamans solos, pour 82% des répondants. 

A noter que cette proportion est similaire aux statistiques wallonnes et bruxelloises : le parent solo dont il sera question ici est donc la plupart du temps une maman. Avec cette précision : les statistiques ne prennent pas toutes les réalités en compte, l’enfant ne pouvant être domicilié que chez un seul de ses parents, même en cas d’hébergement partagé.

On devient solo après une séparation

Premier constat, dans 7 cas sur 10, c’est une séparation qui change la donne. Pour le reste de l’échantillon, l’ex-compagnon n’a pas reconnu l’enfant (6%) ou vit à l’étranger (2%) et 5% sont veufs.

Qui dit séparation ne dit pas automatiquement nouveau logement ou du moins pas tout de suite : la moitié des répondants ont vécu plusieurs semaines avec leur ex avant de déménager. Une situation plus fréquente chez ceux et celles qui ont des revenus plus élevés. "24% des pères ont d’abord changé de logement sans les enfants contre seulement 5% des mères", précise La Ligue.

Avant de se stabiliser, nombre de parents solos ont logé temporairement chez des proches, pour un tiers d’entre eux. Une minorité est passée par une colocation (5%) ou un AirBnB/chambre d’hôtel (4%). 8% ont dû recourir à un logement temporaire fourni par les pouvoirs publics ou une association. 2% se sont retrouvés sans abris (véhicule/ hall d’entrée/abri de fortune/en rue) ou dans un squat (3%).

"On remarque que le genre du parent influence la solution d’hébergement temporaire : les femmes ont plus recours aux proches (35%) que les hommes (25%). […] Les hommes sont plus nombreux à avoir recouru à la colocation (13%), à une chambre d’hôtel/un AirBnB (9%) ou encore un squat (9%)", note le rapport de La Ligue.

Pour trouver un premier logement stable, il a fallu compter entre 1 et 6 mois pour 50% des répondants. Un quart a mis plus de 6 mois. Ceux qui étaient propriétaires sont 30% à être devenus locataires.

Un nouveau toit, à quel prix ?

Les difficultés financières sont au rendez-vous pour une proportion importante de parents solos. Un indice parlant : 45% des locataires ont rencontré des difficultés à constituer leur garantie locative. C’est vrai en particulier pour les mamans (49%, contre 27% des papas).

De manière générale, les chiffres de La Ligue des familles montrent un besoin d’accompagnement et d’aides financières au moment de la séparation, surtout pour les femmes, les locataires et les Bruxellois.

Je vis seule avec 3 enfants, je dirais par chance elles ont une chambre pour 3, et moi je dors dans le divan. Cela fait depuis 2014 que je suis sur une liste d’attente pour un logement social. Pas de place pour les vêtements mais je me dis que finalement nous avons un toit… (témoignage recueilli par La Ligue des familles)

Durant la recherche de nouveau logement familial, les parents sont ainsi 49% à estimer qu’une aide financière pour le déménagement, la garantie locative, le préavis ou l’achat de meubles leur a manqué (55% des femmes contre 25% des hommes). Par ailleurs, une aide financière pour payer le loyer, le prêt hypothécaire ou les charges a manqué à 39% des répondants (43% des femmes contre 21% des hommes). Les parents bruxellois sont 45% à signaler ce manque d’aide financière, les Wallons 38%.

Pour certains parents solos, la galère se poursuit une fois que leur situation est stabilisée : on peut par exemple souligner que 18% des parents solos consacrent plus de la moitié de leur revenu à leur loyer ou à leur crédit hypothécaire. A Bruxelles, ils sont même plus d’un quart dans ce cas. Un répondant sur deux signale avoir eu des difficultés à payer son logement durant l’année écoulée.

Après avoir payé les factures (loyer, eau…) la fin du mois se retrouve vite au 10 du mois. Quand mon fils n’est pas là je ne mange quasi rien. Soins reportés. Souvent des logements précaires… et je dois déménager souvent… C’est épuisant… (témoignage recueilli par La Ligue des familles)

Autre indice parlant : un quart des répondants a dû renoncer à une ou plusieurs chambres pour trouver un logement à la portée de leurs revenus. Résultat : 17% des parents solos dorment dans la même pièce qu’un ou plusieurs enfants, par manque de place. C’est encore plus vrai pour les Bruxellois qui sont 22% dans ce cas, les familles nombreuses (23%) et celles avec un membre en situation de handicap (24%).

A noter que l’échantillon de la Ligue des familles n’est pas totalement représentatif : les familles gagnant moins de 1300 euros sont sous-représentées, peut-on lire dans le rapport. Ce qui signifie que les difficultés financières pourraient être plus importantes encore que celles signalées dans le cadre de cette enquête. Les statistiques officielles montrent qu’en Wallonie, 39% des familles monoparentales ont un revenu net équivalent inférieur au seuil de pauvreté et à Bruxelles, 33% (chiffres de 2019, cités par la Ligue).

Les discriminations dans l’accès au logement restent une réalité : 4 parents solos sur 10 estiment y avoir été confrontés et parmi eux, 27% lient cette discrimination justement à leur situation de famille monoparentale.

Discrimination au logement : les chiffres d'Unia

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Rester solo pour ne pas perdre de revenus

Pour faire face à ces difficultés financières récurrentes, entre autres obstacles quand on se retrouve seul avec ses enfants, pourquoi ne pas envisager une colocation entre mamans solos ? Sauf que cette option risque de peser sur les revenus.

Il est significatif de noter que 28% des parents ont déclaré avoir déjà dû renoncer à un projet de colocation, d’habitat groupé, à l’accueil d’un proche et même à une remise en couple parce qu’ils risquaient de perdre des revenus…

Une réalité massive pour les locataires de logements publics (49% ont renoncé à une remise en couple et/ou à l’accueil d’un proche) et importantes également pour les locataires de logements privés (30%). Pour les familles nombreuses aussi (35%).

Certaines catégories de personnes voient leurs choix de vie profondément influencés à ce niveau : 45% des parents ayant les revenus les plus bas (moins de 1700 euros) déclarent avoir dû renoncer à une remise en ménage, une colocation, un habitat groupé ou à l’accueil d’un proche. Renoncer à se remettre en couple, c’est une décision fréquente chez les familles monoparentales sans emploi : 44% déclarent avoir dû y renoncer. Et c’est pire encore pour les parents en situation de handicap (60%) ou ayant un enfant en situation de handicap (45%).

"Pourquoi un tel renoncement à l’accueil de quelqu’un sous son toit ?", questionne La Ligue des familles. Réponse : "Parce qu’en Belgique, la plupart des allocations et aides sociales sont conditionnées à la situation familiale (RIS, allocations-chômage, indemnités en cas de maladie…). Dans ces systèmes, les personnes cohabitantes sont défavorisées financièrement par rapport aux isolés ou aux chefs de ménage. L’accueil d’un nouveau membre dans la famille est synonyme de perte de revenus pour les parents à la tête de familles monoparentales. Ce système laisse les familles dans un choix impossible : renoncer à un projet de vie ou renoncer à des revenus, ce qui pourrait encore plus les précariser. La Ligue des familles réclame depuis plusieurs années la suppression de ce statut qui pérennise un modèle de société injuste à l’égard des familles les plus précaires."

En termes de solutions adaptées à leur situation, les parents solos ayant répondu à l’enquête citent avant tout des aides financières pour le logement (56%) et pour les charges (49%) et une hausse de l’offre de logements privés abordables et de qualité (52%).


(*) Précisions de la Ligue des familles :"Ce sondage Ipsos a pu être mené grâce au soutien financier d’Ikea. La Ligue des familles a toutefois élaboré le questionnaire puis rédigé le rapport en toute indépendance, sans qu’Ikea n’intervienne ni dans le traitement des résultats, ni dans l’analyse des données, ni dans les propositions émises." Comment analyser la démarche d’Ikea, en termes de positionnement marketing ? Nous y reviendrons dans un autre article.

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