Vous croyiez le connaître par cœur, et pourtant il n’a jamais été joué tout à fait tel qu’il a été pensé ! Quelque 130 ans après sa création, le célébrissime ballet Casse-Noisette de Piotr Ilitch Tchaïkovski nous réserve encore des surprises. Un violoniste américain a récemment découvert que la partition imprimée de ce chef-d’œuvre romantique comportait une erreur de retranscription au niveau de l’instrumentation : un passage interprété par une flûte et un piccolo devait être joué par deux flûtes.
Il s’appelle John Stubbs et, âgé de 68 ans, il est un des violonistes vétérans de l’Orchestre symphonique de San Diego, aux États-Unis d’Amérique. Il est aussi un admirateur et spécialiste reconnu du ballet Casse-Noisette, l’un des chefs-d’œuvre du compositeur romantique russe Piotr Ilitch Tchaïkovski. Au point que l’orchestre fait appel à lui pour diriger la pièce, chaque fois qu’elle est représentée ! Ce n’est pas tout : John Stubbs a également la réputation d’être un grand partisan du respect de la lettre des œuvres, c’est-à-dire d’une interprétation qui s’en tient rigoureusement à ce qui est écrit. Au point de militer activement en se faisant tatouer sur le bras l’aphorisme "Como è scritto" ("Comme c’est écrit"), cher à Toscanini.
Privé de son activité d’interprète par la pandémie de Covid-19, John Stubbs a mis son temps libre à profit pour se pencher sur la partition originale du ballet. En la comparant à sa version imprimée, sur laquelle se sont basées toutes les versions ultérieures, il a eu la surprise de découvrir une erreur de retranscription susceptible – selon lui – de trahir la volonté initiale du compositeur.
Une interprétation plus sombre de la pièce
C’est la Danse chinoise du troisième tableau (acte 2) qui est incriminée. Elle correspond au moment où Clara et le Prince Casse-Noisette sont au Royaume des friandises, où ils sont accueillis par la Fée Dragée et le Prince Orgeat et où Clara est invitée à un festin mêlant saveurs, danses et cultures du monde entier. Associée au parfum du thé, la Danse chinoise est la troisième de la série, juste après la Danse espagnole et la Danse arabe, et avant la célèbre Danse russe (Trépak). La pièce est construite sur un contraste entre une basse rythmique constante jouée par les instruments graves (bassons, contrebasses) et une mélodie cristalline dans le suraigu, qui est habituellement interprétée par une flûte traversière et un piccolo, tandis que les pizzicati des cordes et les arpèges de la clarinette donnent du corps à l’ensemble dans le registre médium.
Ce que nous révèle John Stubbs, après avoir consulté la partition originale manuscrite, c’est que ce morceau avait en fait été pensé pour être interprété par deux flûtes, sans piccolo. C’est une nuance qui paraît limitée, mais qui est susceptible, en atténuant le contraste éclatant du suraigu sur le grave, de modifier toute l’atmosphère du morceau. Selon l’historienne Betty Schwarm, interrogée par Radio Classique, cela peut même suffire à faire la différence entre un air plutôt gai et une interprétation plus sombre, dans la version avec deux flûtes.