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Une île du Pacifique pourrait-elle devenir le paradis des cryptomonnaies ?

Eaux bleues et forêts tropicales de Hog habour, île d’Espiritu Santo, Vanuatu.

© Getty Images

Par Grégoire Ryckmans

"Bienvenue à Satochi Island, une île privée de 320 hectares en développement pour devenir une ville intelligente et autosuffisante. Créée pour être la première la première crypto économie au monde, elle fonctionnera exclusivement avec des cryptomonnaies et de la technologie issue de la blockchain". 

La bande-annonce d’une vidéo diffusée sur Twitter dévoile le projet de deux Britanniques de faire d’une île du Vanuatu, un "paradis" de la cryptomonnaie. Et le choix du lieu n’est pas vraiment un hasard, car ce pays archipel situé entre l’Australie et les îles Fidji n’est pas qualifié de "paradis" que pour ses eaux limpides et ses sublimes plages… c’est aussi un paradis fiscal.

Le Guardian, s’est entretenu avec Anthony Welch et sa compagne Theresa qui mènent une vie de Robinson Crusoé en solitaire sur une île du Pacifique Sud quasiment vierge de toute humanité depuis 12 ans.

Anthony Welch, un investisseur immobilier britannique à la retraite, espère que cette petite île tranquille sera bientôt animée par 21.000 investisseurs en cryptomonnaies qu’il tente de convaincre de s’installer sur son territoire afin de fonder une "crypto utopie", sans réglementation.

Selon le plan du couple Welch, l’île de 3 millions de mètres carrés qui bénéficie d’une forêt tropicale intacte à 90%, serait transformée en une "ville intelligente" durable" et futuriste, comprenant des blocs d’appartements à plusieurs étages et des bureaux pour les investisseurs en cryptomonnaies du monde entier. Des parties de terrains seraient achetées par les investisseurs via des NFT.

L’île de Lataro de l’archipel du Vanuatu, dans le Pacifique sud.
L’île de Lataro de l’archipel du Vanuatu, dans le Pacifique sud. © Capture d’écran Google Maps
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Une île, vendue initialement comme un "paradis écologique"

Pour attirer les futurs habitants de l’île, Anthony Welch a même décidé changé de son nom d’origine. Toujours appelée "Lataro" officiellement, le nouveau nom choisi, "Satoshi", fait référence à Satoshi Nakamoto en hommage au pseudonyme utilisé par la personne qui a inventé le bitcoin.

Afin de mener à bien son projet, il s’est également associé à des "évangélistes de la cryptomonnaie" en vue de créer la première "démocratie basée sur la blockchain" et en faire "la capitale cryptographique du monde", selon les informations publiées sur le site internet officiel de la Satoshi Island.

Cependant, le couple Welch devra d’abord composer avec la problématique de sa précédente tentative de commercialisation de l’île. En effet, lors d’une première mise en vente en ligne, celle-ci était décrite comme une "réserve naturelle sauvage" abritant des crabes géants rares. Le prix affiché : 12 millions de dollars pour ce paradis écologique "couvert de forêts tropicales luxuriantes, ainsi que d’un merveilleux éventail de flore et de faune qui se trouve ici depuis des milliers d’années sans être perturbé et qui fera sûrement croire à quiconque qu’il a remonté le temps"

Dans une vidéo de promotion de Lataro publiée en 2017, le commentaire évoque les plus de 6 km de "récif corallien vierge entourant l’île qui est une zone de conservation marine" et qui "regorge de poissons et de coraux magnifiques". Dans la vidéo, l’île est présentée comme une sorte de paradis terrestre où seuls quelques humains ont déjà pu plonger sur son récif coralien, dont "la plupart de ses parties n’ont jamais été explorées".

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Un territoire si riche en biodiversité que le couple de Britanniques a demandé au gouvernement du Vanuatu de désigner l’île comme réserve naturelle afin d’empêcher "l’extinction" du crabe des cocotiers, une espèce rare. "Le but ultime est de rétablir la race en force sur l’île", explique Theresa à nos confrères du Guardian.

"C’était le dernier endroit où il y avait des crabes cocotiers, ils [la population locale] les avaient décimés absolument partout ailleurs sur Espiritu Santo [la plus grande île voisine du Vanuatu]", explique l’investisseur britannique au Guardian. Il ajoute "Nous avons créé la réserve pour essayer de les empêcher de les décimer ici et d’en faire remonter le nombre… Le ministère de l’environnement du gouvernement a soutenu la création d’un refuge pour la faune sauvage."

Cependant le média britannique révèle qu’un site Web décrivant les efforts du couple pour faire de Lataro une réserve naturelle a été supprimé, peu après que le journaliste du Guardian les ait contactés pour obtenir l’interview. Dans ses réponses aux questions du Guardian sur la préservation de la biodiversité de l’île, Anthony Welch a déclaré que cette réserve naturelle était établie sur base "volontaire" et qu’il pouvait la "démanteler à tout moment" pour permettre la construction de la ville cryptographique.

D’autres projets de "crypto nation"

L’idée de cette "crypto utopie" avec l’intention de fonder une "crypto nation", un "État crypto", n’est pas nouvelle. La Satoshi Island, s’inscrit dans une série de projets visant à attirer les fanatiques de cryptomonnaies et à les sortir de leurs écrans et machines dédiées à la blockchain pour les faire entrer dans la communauté réelle, dans des petits États insulaires.

Palau, une autre nation insulaire du Pacifique située à environ 5000 km au nord-est du Vanuatu, a lancé des plans en novembre 2021 pour que sa cryptomonnaie puisse devenir "la première monnaie stable nationale soutenue par le gouvernement" d’ici la fin de l’année 2022.

Son président a déclaré que le pays s’est associé à Ripple, une société américaine de cryptomonnaies dont les dirigeants ont été accusés d’avoir volé pour une valeur de 1,3 milliard de dollars en tokens.

Ailleurs, les plans visant à établir "Cryptoland" sur une île des Fidji, où les investisseurs pourraient "profiter d’un style de vie cryptographique de première classe", a pris du plomb dans l’aile dernièrement lorsque les promoteurs du projet n’ont pas réussi à acheter l’île.

Les personnes derrière Satoshi Island estiment qu’ils réussiront là où Cryptoland a échoué parce qu’ils possèdent déjà l’île. Ils affirment également que les plans de développement de leur projet ont le soutien du gouvernement du Vanuatu et de la communauté locale.

Cependant, contacté par le Guardian, le gouvernement du Vanuatu n’a pas répondu aux demandes de commentaires, et Anthony Welch n’a pas été en mesure de fournir les coordonnées des résidents locaux actuels.

Des crypto évangélistes à la recherche d’un coin de paradis

Au cours de l’interview du Gardian réalisée par liaison satellite avec l’île qui n’a actuellement ni électricité, ni eau, ni téléphone, ni connexion Internet, M. Welch a expliqué qu’ils essayaient de "construire une communauté". "Nous n’essayons pas de nous développer et de faire du profit", a-t-il également ajouté.

Lors de cet entretien il a déclaré qu’il avait été contacté par une équipe "d’évangélistes de la cryptomonnaie" qui cherchait dans le monde entier un endroit pour former une "société de la cryptomonnaie". Ils ont alors approché M. Welch après avoir vu son île, mise en vente pour 12 millions de dollars sur un site Web d’immobilier d’îles privées.

L’île de Lataro a été ensuite retirée du marché et un partenariat complexe avec un architecte, un entrepreneur orienté crypto et le directeur des opérations du "Vanuatu Investment Migration Bureau", une agence qui vend la citoyenneté du Vanuatu, a été conclu.

Ce partenariat a pris forme car Anthony Welch a été convaincu par l’idée : "Le paradis de la crypto qu’ils veulent construire est une idée vraiment cool, et une utilisation merveilleuse d’un endroit où nous avons pu vivre pendant 12 ans".

Avantage de poids : pas d’impôts sur le revenu au Vanuatu

Un petit coin de paradis qui n’a pas que son décor pour avantage. L’une des clés de la réussite potentielle de ce projet, repose sur la fiscalité.

"L’équipe travaillait pour trouver un emplacement depuis un certain temps, la question clé était d’essayer de trouver un gouvernement qui… permettrait à une société d’exister sur les transactions crypto. La plupart des pays du monde veulent collecter des impôts et ne veulent donc pas que des transactions cryptographiques aient lieu, car ils ne peuvent pas contrôler ce qui se passe. Le Vanuatu n’a pas d’impôt sur le revenu d’aucune sorte", explique M. Welch.

En effet, le Vanuatu est considéré comme un paradis fiscal. Le pays archipel figure sur la liste de l’UE des "pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales".

La Commission européenne a même proposé de suspendre un accord qui existe avec l’archipel qui permet l’exemption de visa. En cause : des inquiétudes européennes suscitées par le système controversé des "passeports dorés" qui permettent d’octroyer la citoyenneté à des candidats figurant dans les bases de données d’Interpol.

Par ailleurs, dans ce pays considéré comme l’un des pays les plus pauvres au monde, la vente de passeports est la plus grande source de revenus pour le gouvernement. Selon une analyse réalisée par la société "Investment Migration Insider", ce marché représentait 42% de l’ensemble des revenus du gouvernement en 2020.

Par ailleurs, le Vanuatu est très attractif sur le plan fiscal car il ne prélève pas de taxes sur le revenu, les plus-values, les propriétés immobilières ou les héritages. Pour les entreprises, des droits de douane sont actuellement de 5% et la seule taxe à payer est une TVA qui s’élève à 12,5%.

Le trio à la tête du projet de Satoshi Island promet à 21.000 investisseurs que l’île "deviendra le foyer des professionnels et des passionnés de crypto, avec pour objectif d’être considérée comme la capitale mondiale de la crypto". Mais les questions autour de la préservation de la biodiversité de l’île et les questions éthiques soulevées par l’évasion fiscale pourraient empêcher "l’utopie crypto" de se matérialiser.

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