Présidentielle en France

Une majorité "presse-bouton"? : la présidentielle 2022, tout un fromage (lichette n°4, en Beauce)

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Par Kevin Dero (graphisme: Quentin Vanhoof et Malaurie Gallez)

Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 246 variétés de fromage ?

La phrase claque, l’image est forte. On la doit à un président français, inventeur de la Ve République, Charles De Gaulle. Le général, verbe haut, voix chevrotante et képi étoilé vissé sur la tête, avait, lui-même une " certaine idée de la France ".

Eh bien, mon Général, héros du 18 juin, on a compris votre bon mot fromager comme un appel !    

Mêler fromage et politique… En voilà une manière curieuse d’aborder la campagne pour l’imminente élection présidentielle. Ben, pourquoi pas ? Aaah, cette France voisine, chacun en a une idée bien différente. Nation singulière, tout en étant plurielle. Telle cette dernière phrase, elle peut s’avérer parfois légèrement contradictoire. Un tous cas, force est de constater que nous sommes face à un pays au caractère fort et où les habitants se montrent profondément attachés à leur culture, à leur patrimoine. Il y a une multitude de petites France dans la France. Les résumer en quelques lignes serait une gageure. C’est un peu ce que le grand Charles voulait signifier par cette fameuse phrase… "Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 246 variétés de fromage ?" 

 

© Getty

Nous sommes partis de la vision - certes un peu clichée, on vous l’accorde - que dans le pays de la gastronomie, se retrouver autour d’une table, à " la bonne franquette ", face à un bout de pain et à un verre de rouge, est une chose souvent précieuse. Un contexte où les conversations se délient, où l’ambiance conviviale permet de délivrer des pensées de fond…  

Tentons le coup. Avec pour seul bagage un sac à dos contenant une planche en bois, une rawette de fromage local, une baguette de pain et une lichette de vin, un simple carnet à la main, partons quelques heures à la rencontre de quelques " terroirs ".

Vous l’avez compris, le fromage est un prétexte. Une manière d’aborder les choses sans chichi, propice à la rencontre… D’autant, confidence pour confidence, votre serviteur n’est pas un fanatique des laitages, ce qui rend d’autant plus humble (voire farfelue) la démarche aux yeux d’hexagonaux volontiers plus fromagivores…

Nous vous proposons dès-lors un petit tour en campagne(s), qui n’a prétention à l’exhaustivité, mais qui permettra, peut-être, de mieux appréhender quelques réalités vécues par nos chers voisins.     

Marchons vers vous, enfants de la Patrie ! Dans vos régions et votre patrimoine, avec un morceau de frometon, pour peut-être en espérer humer… un certain Etat d’esprit.

Vous l’avez compris, le fromage est un prétexte. Une manière d’aborder les choses sans chichi, propice à la rencontre… D’autant, confidence pour confidence, votre serviteur n’est pas un fanatique des laitages, ce qui rend d’autant plus humble (voire farfelue) la démarche aux yeux d’hexagonaux volontiers plus fromagivores…

Nous vous proposons dès-lors un petit tour en campagne(s), qui n’a prétention à l’exhaustivité, mais qui permettra, peut-être, de mieux appréhender quelques réalités vécues par nos chers voisins.     

Marchons vers vous, enfants de la Patrie ! Dans vos régions et votre patrimoine, avec un morceau de frometon, pour peut-être en espérer humer… un certain Etat d’esprit.

TOM(M)E 4 : La Beauce

On s’arrête généralement peu dans le Loiret. Dès la sortie de la gigantesque périphérie de Paris, place aux paysages plats et aux champs de céréales. Et on attend gentiment d’apercevoir les bords de Loire pour se sentir un peu dans le sud… Intéressons-nous quand même à ce bout de terre, la Beauce. A un jet de pierre de Paris mais si éloigné pour autant. Du moins, c’est le sentiment qu’ont certains habitants…

L’Olivet, un des fromages du département du Loiret
L’Olivet, un des fromages du département du Loiret © K.D.

Et oui, les réflexions déjà entendues le long de la Loire, se ressemblent à une quarantaine de kilomètres direction nord-est. Nous voici à Pithiviers. Petite ville entourée par des champs à perte de vue, ici c’est campagne et silos à grains. Un gâteau célèbre et un fromage au nom du patelin, aussi.

Eglise de Pithiviers, dans le Loiret
Eglise de Pithiviers, dans le Loiret © K.D.

Des écolos qui déraillent

Jacques, Sébastien, Renaud et Olivier ont, eux, le chemin de fer chevillé au corps. L’indécision est ici aussi de mise. Autour d’un bout de fromage et d’un morceau de sauciflard, les discussions vont bon train.

" Les gens sont désabusés. Chaque fois c’est comme si on nous faisait des promesses en l’air. Il y a eu la déception après Hollande et son discours sur la finance, par exemple. Et nous, ici, on se sent un peu loin des décisions de Paris " explique Sébastien, conducteur de train. Notamment la vision écologiste des villes. " Ici, dans notre coin, nous sommes très attachés au patrimoine " enchérit Olivier.

C’est comme si on nous faisait chaque fois des promesses en l’air

" Les écolos des villes sont extrêmes. Et ça ne les dérange pas de délocaliser dans les campagnes ce qu’ils ne veulent pas voir dans leurs villes. Des enfouissements de déchets, des éoliennes qui gâchent le paysage…". "Pourquoi aucun Ecolo ne s’attaque directement au transport routier par camions ? " assène Jacques, cheminot maintenant retraité. " Au lieu des autoroutes à camions, le ferroutage, ou taxer les conducteurs qui traversent le territoire avec leurs marchandises, ça existe quand même, comme chez vous. Mais ils ont peur depuis les bonnets rouges et les gilets jaunes" continue Sébastien. " Il faut mettre beaucoup plus d’argent dans la recherche, comme sur l’hydrogène et la méthanisation " enchérit Renaud, qui travaille comme aiguilleur.

Pause déjeuner, autour d’un morceau de fromage et de saucisson, en toute convivialité.
Pause déjeuner, autour d’un morceau de fromage et de saucisson, en toute convivialité. © Kevin Dero, RTBF

Désert médical

Les motifs de mécontentement sont nombreux autour de la table. Comme sur l’argent dégagé par les grosses compagnies du BTP (thème souvent revenu au gré des personnalités rencontrées…). Bouygues, Eiffage, Vinci, tout y passe. " Vinci se fait un bénéfice énorme. Notamment grâce aux partenariats public-privé sur les autoroutes. Mais pourquoi ces bénéfices n’iraient pas vers l’Etat ? Pourquoi ne pas réinjecter tout cet argent vers les zones rurales, pour plus de maternités par exemple " poursuit Jacques, retraité du rail. Celle de Pithiviers a, de fait, fermé dernièrement.

De plus, dans le département du Loiret, 24 % des habitants n’auraient pas de médecin traitant.

Pourquoi ne pas réinjecter cet argent vers les zones rurales?

 

Au gar(d)e-à-vous!

Et de soulever un autre élément revenu souvent dans la bouche de nombreux témoins lors de ce reportage : le quinquennat. Pour beaucoup, la fausse-bonne idée par excellence. La présidentielle, couplée aux législatives (qui ont lieu un mois plus tard), transformerait donc des députés de la majorité en " presse-bouton ", au service du gouvernement. Très peu de chance de cohabitation (telle que celle Chirac-Jospin, vantée de-ci de-là) et des élus au garde-à-vous. Un véritable hic démocratique. Et la Ve République en général, avec son chef tout-puissant suscite une flopée de réflexions… " Faut pas oublier que la Ve République a quand même été créée par un militaire ! " ricane Sébastien.

La haute stature du Général de Gaulle domine une des places de Pithiviers.
La haute stature du Général de Gaulle domine une des places de Pithiviers. © Kevin Dero- RTBF

Musée vivant

A un jet de pierre de Paris, mais se sentant pourtant si loin. Les quatre passionnés du ballast sont dubitatifs sur la politique. Tous n’iront même peut-être pas forcément jusqu’aux urnes. Entourés de 25 autres bénévoles et d’environ 100 adhérents, nos quatre cheminots mettent leurs mains dans un autre cambouis. Celui de la gestion d’une petite ligne de tramway touristique de 3 kilomètres de long ainsi que d’un musée des transports. Ils y bichonnent une impressionnante collection de trains à vapeur ou diesel et les font rouler aux beaux jours pour le bonheur des amateurs. Ils ne comptent pas leurs heures. La tâche est titanesque. Ils bricolent durant leurs jours de congé, sont en contact avec d’autres associations partout en Europe, se démènent pour mettre en valeur les lieux et les locos (souvent classées d’ailleurs " monuments historiques ").

Bricolage et discussions…
Bricolage et discussions…

Des tramways nommés désir

Pistons, essieux, rails, volants, rivets, graisseuses, drapeaux, panneaux d’affichage, cartes de réseau… Le musée et les ateliers qui le jouxtent en sont truffés. Nos gaillards peuvent s’en donner à cœur joie. Véritables spécialistes, ces employés des chemins de fer discutent joyeusement (mais avec précision) de gabarit de voies, d’aiguillages, de transport de fret, de vitesse commerciale, de correspondances, de possibles réouvertures de lignes… Convaincus de l’importance du train dans la société du XXIe siècle, ils déplorent cependant un réseau vieillissant et un cruel manque de moyens.

Le prestige de la SNCF, pour eux, disparaît aussi, peu à peu. " Avant, on était fier d’y travailler. Un boulot dans le train, c’était aussi l’assurance d’un bon emploi stable pour ceux qui n’ont pas le bac. Maintenant, j’ai l’impression qu’on accepte peut-être moins de contraintes. On demande plus de temps libre, on ne veut plus travailler le dimanche… Les cheminots ne sont plus très bien perçus, et on n’ose plus beaucoup dire qu’on travaille là " déplore un des compères.

Fierté de se sentir utiles.
Discussions au soleil…
Loco flambant neuve.

Les Parisiens ont redécouvert qu’on était juste à côté de chez eux

Un certain manque de considération qui n’empêche pas les membres de la corporation d’être liés et solidaires. Et de voir aussi le bon côté des choses. Et de penser à la passion qui les anime, et aux opportunités de la communiquer :

" Le covid apporté un truc bon quand même. Lors du confinement, où la " règle des 100 kilomètres " s’appliquait. Les Parisiens ont alors redécouvert qu’on était juste à côté de chez eux. On est à 80 kilomètres… " dit Sébastien dans un sourire un peu ironique. " Et ils sont venus en nombre pour découvrir notre ligne et nos trains ".

Arrêt de tram (reconstruit) du tramway, à Pithiviers
Arrêt de tram (reconstruit) du tramway, à Pithiviers © Kevin Dero

Moissonneuses-batteuses

C’est ça, la Beauce. La campagne à perte de vue. Plate. Des champs de blé parsemés de villages et de grandes éoliennes. Une région de passage, à l’image des énormes autoroutes allant vers le sud qui la traverse. Mais c’est aussi un terroir, et une proximité géographique avec l’île de France qui étonne. Et a même valu à cette plaine fertile d’être une des visions de la modernité à la française dans les années 60.

Paysage de Beauce
Paysage de Beauce © K.D.

A toute berzingue

Lors des "30 glorieuses", un grand projet se mit en place dans la plaine beauceronne. L’aérotrain. Sur une longue ligne droite s’élançait à des vitesses alors vertigineuses (les records s’enchaînaient, allant jusqu’à 430 km/h) des trains montés sur coussins d’air. Un monorail en forme de " T inversé " qui promettait une propulsion décoiffante de la France dans l’avenir. Des villes nouvelles sortent alors de terre. Ce nouveau moyen de transport pourrait d’abord les relier au quartier de la Défense, à Paris, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. " Welcome to the future ! " Une ligne est construite pour les essais. Gigantesque ligne droite de 18 km, coupant complètement le paysage au nord d’Orléans. Jean Bertin, un ingénieur qui n’a pas froid aux yeux, est à la manœuvre. Le gouvernement suit.

Vestige de l’aérotrain, près de Chevilly
Vestige de l’aérotrain, près de Chevilly © Kevin Dero, RTBF

Les développements épastrouillent, de juteux contrats sont signés mais soudain, ça déraille. Brusquement, les trente glorieuses s’achèvent. C’est que ce transport hors du commun fonctionnait au diesel. Et il lui en fallait beaucoup. La crise pétrolière est là. Et sonne du projet le glas. Il s’agit à présent de moins rêver, et d’être réalistes. Depuis, l’impressionnant viaduc (dont des prototypes de " gares " avaient été construits) continue de dominer, statique et froid, la plaine de Beauce. Témoin d’un temps où le progrès technique était bien visible dans le paysage. Et la vision d’un Paris proche, et d’un pari sur l’avenir, était à portée de main.

"Gare" de l’aérotrain

A présent, ce fantomatique ruban de béton n’est seulement troublé que par la présence de tracteurs venant labourer les champs attenants. Et le bruit lointain du trafic de l’autoroute du sud, qui passe à trois kilomètres seulement.

L’ingénieur Jean Bertin et le président de l’aérotrain, Léon Kaplan, à Paris- Le Bourget en 1969.
L’ingénieur Jean Bertin et le président de l’aérotrain, Léon Kaplan, à Paris- Le Bourget en 1969. © Getty

Petite pause fromagère

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Roses et malice

Retour à Pithiviers. Dans une petite épicerie, deux femmes âgées passent à la caisse. Leur conversation est troublée par la caissière. " C’est la journée des femmes ! " lance-t-elle. Et les yeux des deux mamies de s’allumer. Deux belles roses sont offertes. " Ooh, ça fait plaisir, c’est gentil d’avoir pensé à nous. Ça n’arrive pas tous les jours ". L’une des dames être légèrement émue. Elle pose délicatement en évidence les deux fleurs dans son cabas. " Ça nous a fait notre journée " lance l’autre, en se mettant en route. " Elles sont tellement mignonnes " dit la caissière, sourire aux lèvres.

Une journée dans le centre de la France qui se termine, calmement, dans un sourire. Au loin, des champs de blé. A perte de vue.

La Beauce, "grenier à blé" de la France
La Beauce, "grenier à blé" de la France © Getty

Retrouvez-nous demain pour la cinquième étape de notre périple fromager. Direction: la Touraine et ses châteaux. 

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