Pour modéliser les déplacements des araignées vers leur proie, l’équipe de chercheurs s’est rendue sur le terrain, en Guyane française. Violette Chiara, première auteure de la publication, était doctorante lors de la recherche : "On a filmé ces colonies, et pour cela, on a eu besoin de déclencher les chasses. On a fait ça grâce à un leurre, une proie artificielle qui vibrait sur commande, créé exprès pour ces expériences en laboratoire, et on a filmé tout cela. De retour au laboratoire, on a regardé pour chaque image qui constituait cette vidéo, la position de chacune des araignées, et bien sûr, la position de cette fausse proie. On a pu calculer, pour chaque individu la distance entre une araignée et tous ces camps spécifiques, et on a pu savoir également si ces camps spécifiques étaient en mouvement ou à l’arrêt. Et donc, on a pu estimer la quantité de vibrations que chaque araignée recevait, que ce soit de la part de ces camps spécifiques ou de la part du leurre."
Un deux trois soleil…
Et qu’ont-ils découvert de particulier, nos modélisateurs de partie de chasse sur toile ? Un modèle de synchronisation parfaite : "Chaque individu arrive à se mettre dans le rythme et à participer à cette synchronisation sans qu’il y ait aucun leader", explique Violette Chiara. "Ça veut dire que ce n’est pas une araignée qui va diriger les autres, mais que chaque individu a exactement la même information que ses voisins à tout moment. Ce qu’on a démontré avec notre étude, c’est que les araignées, ce qu’elles vont faire, c’est s’avancer et s’arrêter par à-coups mais toutes exactement en même temps et donc, cette phase d’arrêt pendant laquelle toutes les araignées sont parfaitement immobiles, va permettre de détecter la proie. Ce qui va se passer, c’est que si toutes les araignées bougent en même temps sur la toile, ça va faire énormément de vibrations et donc, ça va masquer les vibrations qui sont produites par la proie. Or, les araignées ont besoin de ces vibrations pour trouver la proie. Donc, elles vont toutes s’arrêter et voir à ce moment-là les seules vibrations qui persistent sur la toile, qui sont celles de la proie. Pendant ces phases d’arrêt, ça va permettre aux araignées de voir la proie."
Un peu comme dans ce jeu d’enfants baptisé "Un deux trois soleil" où tous les participants s’immobilisent en même temps, mais là, pour ne pas être vus du meneur de jeu qui se retourne mais compte en leur tournant le dos. Ici, la proie n’est pas le participant, mais le meneur de jeu et les gagnantes, sont les joueuses, capables de s’immobiliser de façon synchrone et d’avancer en parfaite harmonie vers la proie.
Pas comme les fourmis
Quand on pense à des modèles d’organisation sociale, l’exemple des fourmis vient souvent s’imposer. Très médiatisé, ce type de division du travail n’a cependant rien à voir avec celui des araignées sociales. Raphaël Jeanson, Directeur de Recherche FNRS et coauteur de l’étude : "Un des attributs des fourmis est l’existence d’une division du travail reproductif, avec une reine qui accède à la reproduction, alors que chez les araignées sociales, toutes les femelles peuvent pondre. Après, il y a des formes de coopération qui sont plus remarquables chez les araignées sociales, comme celles décrites dans notre article, que celles qu’on peut trouver dans certaines colonies de fourmis. Mais la caractéristique principale des fourmis et qui est commune à certaines espèces d’abeilles ou guêpes ou les termites, avec l’existence d’une division du travail reproductif, est absente chez les araignées sociales."