"Untold Stories" un portrait intime de Peter Lindbergh à travers 40 ans de photographies de mode.

'SI VOUS ENLEVEZ LA MODE ET L’ARTIFICE, VOUS POUVEZ ALORS VOIR LA VRAIE PERSONNE'

Untold Stories est l'unique exposition conçue par  Peter Lindbergh lui-même. Ce n’est pas un travail rétrospectif, mais un travail introspectif que Lindbergh a mis trois années à réaliser à la fin de sa vie ( il est décédé en septembre 2019). Celui qui a introduit la narration et la fiction dans la photo de mode, nous en propose une par des assemblages d’images choisies parmi l’ensemble de sa carrière. Une image de 1983 peut côtoyer une des dernières de 2018. Une photo de studio contraste avec un paysage ou un shooting dans les rues de New-York.

Ce travail intuitif se décline en diptyque, triptyque… Jusqu’à un mur de 30 images. "C’est une carte d’identité de Peter Lindbergh à cette période de sa vie" explique son fils Benjamin Lindbergh. L’exposition d’une vie à travers des Untold Stories, des histoires inédites que Lindbergh nous laisse le soin d’interpréter suivant notre imaginaire et notre sensibilité. Pour capter le sensible, l’intimité, ce moment de vérité émanant du corps et du visage du modèle, le photographe devait obtenir la confiance totale du mannequin. Ce lâcher-prise enveloppe littéralement l’ensemble des 152 images de cette exposition où, tant pis pour les fashonistas, l’on ne retrouvera aucune des photos emblématiques de l’icône de la photographie de mode.

Par exemple cette emblématique couverture du Vogue anglais de 1990 qui symbolise la nouvelle décennie avec l’image d’une femme "naturelle, décontractée, presque pas maquillée, écrit Edward Enninful, l’actuel chef éditeur du magazine. "Nous avons appris les noms de ces filles qui allaient devenir les mannequins les plus incroyables de la décennie." Les fameuses supermodels Naomi Campbell, Cindy Crawford, Linda Evangelista et tant d’autres qu'on retrouve dans l'expo bien évidemment.

Reflets visages et paysages

Peter Lindbergh qui voulait que son œuvre s’inscrive dans la réalité du monde a concrétisé ce désir en refusant d’utiliser le verre anti-reflet habituel pour protéger les œuvres. On contraire ici, l’espace et notre propre image s’incrustent dans celle du maître. Une option conceptuelle radicale qui mériterait d’être signalée aux visiteur.teuse.s.

Avec une icône de la photo de mode incarnée et narrative, on ne s’étonne pas de retrouver dans Untold Stories pas mal de paysages voire des gros plans d’objets; semblables à des repérages avant de tourner une fiction. Comme par exemple, ce triptyque du visage dévasté de Heidi Mount après ce qui pourrait être une nuit blanche passée à pleurer ou à danser pour oublier. Ou thème de la dualité (d’après mon interprétation) dans l’image du corps nu d’une femme, jouxtant un cheval blanc qui jouxte un taureau pour terminer par des mains de travailleur. Une expression – toute personnelle – du féminin et du masculin.

Testament

Le dernier étage du Vanderborght est entièrement consacré à un projet très personnel du photographe sobrement intitulé Testament. Lindbergh s’interroge sur la peine de mort et sur les éléments qui nous font basculer "d’un côté ou de l’autre du mur de la prison" écrit-il. Il sonde la nature humaine, avec ses facettes d’empathie et de violence. Dans ce projet, très loin de la mode, il va chercher la même chose : voir la personne et pas le personnage, mais d’une façon radicale. Derrière un miroir sans tain – et avec son accord – il photographie et filme le visage d’Elmer Caroll, condamné à mort, confronté à son reflet. Une série d’une vingtaine de portraits et d’une longue vidéo dans laquelle la personne – non le meurtrier — plongé dans son propre regard, se laisse voir totalement à nous. L’homme sera exécuté deux mois plus tard. Sa seule demande au moment d’accepter la proposition de Lindbergh était qu’il retrouve sa fille et lui donne une copie de Testament, témoignage de son père en vie.

L’unique exposition conçue par le photographe lui-même, est une sorte d’héritage généreux qui active notre imaginaire. "D'où vient l'histoire ? Elle ne vient jamais des vêtements "disait Peter Lindbergh.

Untold Stories au Bâtiment Vanderborght – 1000 Bruxelles du 15 décembre au 14 mai 2023.