Et Dieu dans tout ça?

Va-t-on vers le crash ? "J’évite les images trop dramatiques, elles sont complices d’une certaine passivité", affirme le philosophe François Jullien

Et dieu dans tout ça ?

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Colère, manifestations et arrestations administratives : le recours à l’article 49,3 de la Constitution pour adopter, sans vote, le projet de réforme des retraites a avivé la colère de nombreux Français. Ils sont une fois de plus descendus dans la rue ce vendredi soir pour exprimer cette colère.

Le passage en force du gouvernement est presque unanimement considéré comme un revers pour le président français Emmanuel Macron. Une autre voie est-elle possible pour sortir la France des tensions autour de l’allongement de l’âge de la retraite à 64 ans ? François Jullien en est persuadé.

Cette autre voie se nomme "fissure" voire "dé-coïncidence", deux éléments clés de la pensée du philosophe. La réforme des retraites en est un exemple mais ce que propose le directeur de l’Institut de la pensée contemporaine, ce n’est rien de moins que de changer notre manière d’appréhender le monde. Il faut le débloquer, le fissurer pour le transformer et, surtout, chaque jour revenir sur le métier. C’est vrai aussi pour le débat sur les retraites.

Le philosophe des possibles, l’un des penseurs les plus traduits au monde, François Jullien vient de publier "La Transparence du matin" et "Rouvrir des possibles" aux éditions de l’Observatoire. François Jullien est aussi l’invité de "Et dieu dans tout ça ?" sur la Première, ce dimanche 19 mars, après le journal de 13 heures. 

Exit le plan de la société idéale

Est-ce que nous nous dirigeons tout droit vers le "crash" comme l’affirme Orelsan dans L’odeur de l’essence ? "J’évite les images trop dramatiques, confie François Jullien, elles sont un peu complices d’une certaine passivité". Le philosophe préfère l’action à la passivité, celle qui consiste à rendre une autre voie possible, à "repossibiliser" comme il le souligne lui-même.

Certes, mais pourquoi ce sentiment de crash imminent ? "Ce qui fait notre époque, par différence avec les précédentes, c’est qu’on ne peut plus tracer de plan de la cité idéale. […] Ce n’est plus possible parce que pour modéliser, il faut pouvoir isoler. Or, dans le monde contemporain, mondialisé, on ne peut plus isoler. D’autre part, pour projeter le plan de la cité idéale, ce qui aujourd’hui n’est plus possible, il faudrait qu’il y ait un avenir consistant sur lequel le projeter. Or cet avenir consistant s’est défait". Face à ce constat, l’humain revient au présent et s’y complaît de "manière morose".

C’est dans cette brèche que s’engouffre le penseur avec une notion salvatrice, celle de la "fissure". François Jullien nous propose de "détecter ce qui coince, ce qui bloque ce présent. Et ce qui bloque ce présent, il faut tenter de le défaire, de le fissurer ; fissurer cette carapace qui bloque pour rouvrir des possibles".

Cette carapace, c’est ce que le philosophe nomme les "coïncidences" c’est-à-dire des "adéquations qui se sont figées". Un exemple pour illustrer la pensée de François Jullien, celui du mot "résilience", désormais utilisé pour expliquer la capacité de dépasser n’importe quel traumatisme. "On met ça (ce mot, ndlr) comme sparadrap. C’est commode bien sûr. Et vous voyez bien que c’est un terme qui est devenu coïncidant c’est-à-dire qu’il n’est plus réfléchi. Or, résilience avait un sens pertinent, juste. En physique, en biologie. Mais dès lors que le mot devient collectivement assimilé, il n’est plus réfléchi, il n’est plus inquiété. Il est un terme coïncidant, un terme mort."

Le philosophe François Jullien.
Le philosophe François Jullien. © Anna Assouline

Décoincer notre société en la "dé-coïncidant"

Cette passivité, je m’y oppose. Je pense que si la plainte tourne à la passivité, à la résiliation ou à l’enlisement, oui je crois qu’il faut fissurer ça… pour débloquer, pour décoincer notre société.

Alors que faire ? Il faut, avance le philosophe, fissurer les termes coïncidants ou cadrés, des termes "largement produits par les médias". "Au fond, cette sorte de vox populi anonyme produite par la machine médiatique fait que nous sommes dans une sorte d’idées collectivement assimilées qui ne sont pas réfléchies, sur lesquelles on n’a plus prise, qui s’imposent à nous et qui nous rendent passifs. Or, cette passivité, je m’y oppose. Je pense que si la plainte tourne à la passivité, à la résiliation ou à l’enlisement, oui je crois qu’il faut fissurer ça… pour débloquer, pour décoincer notre société."

Pour François Jullien par exemple, les "dé-coïncidences" pourraient sortir la France des tensions autour de la réforme des retraites. "Il y a une coïncidence idéologique : le fait que le travail soit une aliénation. Ça a été vrai à une époque. Mais les conditions du travail ont changé. Je souhaiterais qu’au lieu de penser en années de travail, on pense en qualité de travail. Non pas en quantité mais en qualité. […] Il faut analyser ce qui peut désaliéner le travail", illustre encore le penseur. Et d’ajouter que "l’écologie devrait être le lieu privilégié des dé-coïncidences".

François Jullien est l’invité de "Et dieu dans tout ça ?" sur la Première,
ce dimanche 19 mars, après le journal de 13 heures.

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