Le dossier de la vaccination obligatoire du personnel soignant s’envenime. Entre 4000 et 5000 personnes étaient dans la rue hier à l’appel des syndicats. Une mobilisation qui place le Gouvernement fédéral dans l’embarras. Doit-il continuer son bras de fer avec le secteur des soins de santé ?
Bras de fer
C’est la question qui chaque jour se pose avec plus d'acuité. Est-ce que le Gouvernement fédéral, le ministre de la santé Frank Vandenbroucke en particulier, doit continuer son bras de fer avec le secteur des soins de santé ?
Qu’il le veuille ou non, la réalité est là désormais. Les syndicats sont parvenus à mobiliser assez largement contre l’obligation vaccinale, pas seulement le personnel non vacciné donc. Ils ont réussi en plus à associer à cette question celle de la pénibilité du travail dans le secteur des soins. Le Gouvernement se retrouve donc aujourd’hui avec un double problème. Celui de l’obligation vaccinale et celui de la colère sociale. Une convergence des colères que le ministre n’a pas voulu voir venir malgré les très nombreux signaux qui remontent du terrain depuis au moins le début de l’automne.
Théorie et pratique
Sur le fond, le ministre continue à soutenir le bien-fondé de la mesure. Sur un plan théorique et juridique il est inattaquable. Oui, il est logique d’obliger le personnel de santé de se protéger et de protéger les patients. Le comité consultatif de bioéthique l’a rappelé, et cela existe déjà d’ailleurs pour le vaccin contre l’hépatite.
Frank Vandenbroucke, aime la théorie, lui qui a effectué un parcours de théoricien de la politique à l’université d’Oxford, il a publié une thèse sur l’État social actif, l’État providence censé justifier les droits par un équilibre avec les devoirs. Mais le problème n’est pas, ou plus théorique, il est pratique. Et Frank Vandenbroucke semble avoir du mal à admettre que plus les jours passent, plus il sera difficile d’imposer cette vaccination. Plus les jours passent, plus le Gouvernement affaiblit son action contre la pandémie. Il y a peut-être eu une fenêtre en été, pour imposer cette vaccination, aujourd’hui c’est sans doute trop tard.
Enfin, autre dimension, importante, la dimension communautaire. Au nord du pays cette obligation est beaucoup plus largement acceptée, et réclamée par des directeurs d’hôpitaux ou des experts. Or c’est dans le sud que les taux de vaccination sont les plus bas, et que les problèmes de pénuries sont les plus criants. Ce qui veut dire que c’est dans le sud qu’on risque de refuser du monde aux soins intensifs et de reporter le plus de soins. Et ne comptez pas trop sur des transferts vers le nord pour remédier au problème. Dans le Standaard ce matin, l’influent médecin Geert Meyfroidt de (UZ Leuven) le dit : accepter des patients en Flandre, c’est non. Il estime que si la Flandre à su convaincre son personnel, le sud peut le faire aussi.
Contre-productif
Insister sur la vaccination obligatoire des soignants est contre-productif. Pour plusieurs raisons.
D’abord il n’est pas opportun pour le Gouvernement de se mettre à dos le personnel des soins de santé en pleine pandémie. Pourquoi donc s’aliéner les soldats qu’on envoie au front ?
Deux, l'obligation vaccinale (comme la réquisition du personnel en temps de crise évoquée il y a un an et demi par Maggie De Block) joue un rôle de catalyseur d’un malaise social grandissant. Pourquoi donc jeter de l’huile sur un feu qui couve ?
Trois, voir des soignants dans la rue contre la vaccination obligatoire, donne du grain à moudre à ceux qui dans la population générale refusent ou hésitent sur la vaccination. Le raccourci est très souvent fait sur les réseaux sociaux : si les soignants se battent contre l’obligation c’est que la vaccination n’est pas si importante que ça. Pourquoi donc prendre le risque de saper le travail de sensibilisation mené depuis des mois ?
L’abandon du projet semble désormais l’option la plus raisonnable. En Belgique il y a des tas de moyens d’abandonner un projet sans perdre la face. Envoyer le dossier aux partenaires sociaux de la santé qui, faute de se mettre d’accord, pourraient enterrer l’affaire. Entamer un débat plus large au Parlement. Créer un groupe de travail… Bien sûr Frank Vandenbroucke peut aussi choisir de s’entêter, mais il prendrait un risque politique énorme.